Jossinet-Nishida, même combat

Aux côtés de Frédérique Jossinet, Yuka Nishida porte le T-shirt « Dream is Power » dont le produit de la vente ira aux sinistrés du 11 mars - -
Le 11 mars 2011 la Française Frédérique Jossinet (-48 kg) et la Japonaise Yuka Nishida (-52 kg) s’affrontaient à l’entraînement à Tokyo quand le terrible tsunami, provoqué par un séisme de magnitude 8.9 sur l’échelle de Richter, dévastait Sendai et la préfecture du Tohoku, au nord-est de l’archipel. Les deux filles combattront vendredi au match France-Japon, au POPB, tournoi caritatif dont le profit ira aux sinistrés japonais. « Joss », en tenue de ville après une réception au ministère des Sports, et sa « pote du Japon », survet' et claquettes, et de dix ans plus jeune qu’elle, sont revenues sur ces évènements tragiques. Entretien croisé à l'hôtel de la délégation nipponne, 24h avant Bercy.
Ce rendez-vous à Bercy, c'est un peu le tournoi du coeur ?
Yuka Nishida : Oui, oui, on n’y va pas pour aller au carton, on y va pour que le Japon aille mieux. Ce tournoi, c’est notre contribution pour relever le pays. Les judokas français et japonais se mettent ensemble, on unit nos forces pour apporter notre aide.
Frédérique Jossinet : Je le prends comme ça aussi. Il y a des filles qui adhèrent, d’autres pas. Ça ne me fait pas plaisir de reprendre, mais je me sens investie parce qu’on était là-bas. J’aime beaucoup le Japon, la relation France-Japon au niveau du Japon, mais aussi au-delà de tout ça. S’il nous arrivait la même chose, je serais bien contente que les autres pays le fassent aussi.
Que retenez-vous de ce 11 mars ?
YN : Je connais des élèves et des entraineurs qui viennent du Tohoku. Kana Abé (-63kg) a sa famille là-bas. Je me suis beaucoup inquiétée pour elle et ses proches. On s’est tous demandé si on avait des amis ou des connaissances parmi les victimes. C’est l’effet du tsunami qui nous a marqués. On est habitué des tremblements de terre, on vit avec, mais là cette fois, c’était quelque chose qu’on n’avait jamais vu.
FJ : On s’est trouvé au milieu de toutes ces Japonaises, en rang dans la cour. Les filles de Sendai ne savaient pas ce qui se passait, elles étaient encore plus sérieuses que les autres, mais j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’anormal. Le lendemain, après avoir vu les images à la TV, on les a recroisées. Le séisme nous a fait peur, mais on savait que c’était fréquent à Tokyo. Gévrise et moi, on avait les larmes aux yeux. On était happé par les images en boucle.
Pourquoi êtes-vous retournées à l'entrainement le jour d'après ?
YN : On n’était pas avec nos entraîneurs fédéraux, c’était un regroupement national, on était avec nos équipes d’entreprises (Komatsu, Sumitomo…). Je pense qu’en temps normal, on ne se serait peut-être pas entraîné. Au fond de nous-mêmes, on n’en n’avait pas vraiment envie. Mais les coaches nous ont dit d’y retourner.
FJ : On ne savait pas trop quoi faire. On voulait être solidaires, et puis on ne voulait pas être seules, on pensait que ce serait plus rassurant d’être avec les Japonaises. Même si l’entraînement, c’était n’importe quoi.
Avez-vous songé à quitter le Japon ?
YN : C’est mon pays… Il y a eu des coupures de courants, on manquait de certains biens de première nécessité, mais je n’ai jamais pensé le quitter. Je fais ce que je peux pour l’aider à mon niveau, avec des tournois de charité pour lever des fonds. Les Championnats du monde à Paris nous ont motivés pour nous relever.
Est-ce que cet évènement a changé votre vision des choses ?
YN : J’ai compris qu’à Tokyo et dans la région du Kanto, on avait eu beaucoup de chance. On a connu que des problèmes matériels, mais on n’a pas été directement touché. Ça nous a fait comprendre qu’on était très vulnérables.
FJ : Personnellement, je me suis découverte. J’ai compris que je pouvais être hyper réactive, que je pouvais entourer les gens, et faire actionner des leviers politiques en France pour nous faire rentrer rapidement.
Est-ce que ça a resserré vos liens en équipe nationale ?
YN : On s’est beaucoup inquiété de savoir comment allaient les uns et les autres. Abe a perdu des amis, mais « heureusement » pas des membres de sa famille. L’université de Miki Tanaka (-63kg) a été inondée, le dojo n’était plus praticable. Entre judokas, on s’est beaucoup serré les coudes pour préparer les Mondiaux de Paris, parce qu’un certain nombre de salles n’étaient plus utilisables.
FJ : Ces évènements ont cassé un peu les petits groupes qui peuvent exister, ça nous a changées. Quand on se déplace, on fait toujours beaucoup de bruits, on est tout le temps en train de rigoler. Mais après ce qui s’est passé, on a compris qu’on avait besoin des autres filles pour y arriver. On avait envie de faire du bruit sur les tatamis.
N'est-ce pas trop dur de revenir à Paris trois semaines après les Mondiaux ?
YN : C’est très dur, les filles sont très fatiguées, on a beaucoup donné pour les Mondiaux. Mais on sait pourquoi on est ici, et comme c’est la France en face, ça va. On est toujours contentes d’affronter les Françaises. On a trouvé qu’il y avait une super ambiance dans cette équipe. Les Françaises ont toujours été fortes, mais cette fois il y a avait quelque chose de plus.
FJ : On le fait aussi parce que c’est le Japon. On a une relation particulière. Je ne suis pas sûre qu’on ait fait la même chose avec un autre pays.
Le titre de l'encadré ici
Le match du coeur|||
Quand les rois du judo s’affrontent, cela donne forcément un choc. Presque six mois après le séisme et le tsunami qui ont ravagé le Japon, trois semaines après les Mondiaux à Paris, les équipes du Japon et de France vont se retrouver sous le dôme de Bercy. Mais pour la bonne cause, devant 4000 personnes. Ce match France-Japon a pour but de récolter des fonds pour reconstruire la région de Sendai. Côté français, les cadors ne seront pas là. Teddy Riner, Lucie Décosse et Gévrise Emane, champions du monde, sont excusés. L’équipe japonaise comptera huit champions du monde. « C’est une façon de participer à la reconstruction du pays », selon Yuka Nishida, championne du monde 2010. Les combattants ne sont plus tout à fait en vacances mais n’ont pas encore repris l’entraînement à haute dose. « Je me sens investie. S’il nous arrivait la même chose, on serait bien content que les autres pays le fassent », explique Frédérique Jossinet. Quatorze combats sont programmés (7 chez les filles et 7 chez les garçons). Premier Hajime (coup d’envoi du combat) à 20 heures. M.M.