Leveaux : « Il est temps de tourner la page »

Amaury Leveaux - -
C’est l’un des plus grand palmarès de la natation française qui raccroche le maillot. Double médaillé d’argent en 2008 à Pékin sur le 50m nage libre et le relais 4x100m nage libre, double médaillé à Londres avec l’or du 4x100m et l’argent du 4x200m : Amaury Leveaux (28 ans) est le seul nageur français, avec Alain Bernard, à avoir décroché quatre médailles olympiques. Par ailleurs, il détient toujours le record du monde du 100m nage libre en petit bassin. Au-delà du CV, c’est un personnage de la natation qui arrête. Grande gueule, fantasque et parfois maladroit, il est longuement revenu sur sa carrière pour RMC Sport. La reconversion, le burger avalé quelques heures avant sa finale olympique, la mort de son père pendant les Mondiaux de 2009… Leveaux explique pourquoi il a décidé de dire stop. C’est l’un des plus grand palmarès de la natation française qui raccroche le maillot. Double médaillé d’argent en 2008 à Pékin sur le 50m nage libre et le relais 4x100m nage libre, double médaillé à Londres avec l’or du 4x100m et l’argent du 4x200m : Amaury Leveaux (28 ans) est le seul nageur français, avec Alain Bernard, à avoir décroché quatre médailles olympiques. Par ailleurs, il détient toujours le record du monde du 100m nage libre en petit bassin. Au-delà du CV, c’est un personnage de la natation qui arrête. Grande gueule, fantasque et parfois maladroit, il est longuement revenu sur sa carrière pour RMC Sport. La reconversion, le burger avalé quelques heures avant sa finale olympique, la mort de son père pendant les Mondiaux de 2009… Leveaux explique pourquoi il a décidé de dire stop.
Amaury Leveaux vous avez donc choisi de mettre un terme à votre carrière...
Oui, j’ai décidé d’arrêter définitivement. En 2009, j’avais déjà eu cette réflexion suite au décès de mon père. Et là, après les Mondiaux de Barcelone, où j’ai décroché la médaille d’or avec le relais 4x100m, je me suis dit : « T’as tout gagné ». Au fond de moi, je me dis que Rio ce n’est pas très loin et que c’est possible. Il y a moyen d’y aller pour faire des médailles mais je me suis dit j’avais envie de passer à autre chose. Pour une fois, je veux prendre les choses en mains et pas que la natation décide pour moi. Là, c’est moi qui décide pour la suite.
Qu'est-ce qui a précipité ce choix ?
Ce qui a joué, c’est que j’ai quatre médailles aux Jeux et, dans le sport français, il n’y en a pas 50 qui ont fait ça. J’ai surtout pensé à ma reconversion. Comment ça va se passer en 2016 ? On est toute une génération qui va arrêter au même moment, donc je me suis dit que, pour une fois, j’allais prendre les devants. BeIN Sport m’a proposé de travailler avec eux, de créer une émission. En 2009, je me suis demandé : « Si tu arrêtes, tu fais quoi ? Tu vas vite t’ennuyer dans la vie ! » J’en ai parlé à l’époque avec Laurent Blanc. Lui, il faisait du golf tous les jours et il buvait son café. Il m’a dit : « Tu vas vite t’ennuyer. » J’ai commencé à réfléchir et à regarder ce qui me plaisait. Les choses se sont faites naturellement avec BeIN Sport et ma reconversion est assurée. Je ne sais pas si c’est un soulagement. Depuis tout petit, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je disais : « Rien ou Jet-Setter » (rires), ce qui est un peu nul… Mais la natation m’a permis de mûrir. En tout cas, je ne me voyais pas dans un bureau.
Pourtant vous avez eu une proposition intéressante pour aller vous entraîner aux Etats-Unis avec Yannick Agnel chez Bob Bowman...
A Barcelone, j’ai beaucoup discuté avec Fernando Canales, l’assistant de Bowman. Il m’a dit : « Viens essayer si tu veux, viens faire un training camp. » Je l’ai rencontré à New York, on a beaucoup parlé. Il m’a dit de prendre mon ton temps, de réfléchir à ce que je voulais faire et que je pouvais nager vite à Rio si je venais. Il m’avait envoyé sur Facebook un lien vers la vidéo de mon record du monde du 100m nage libre en me disant : « Qu’est-ce que tu en penses, c’est un beau chalenge ? » Donc c’était drôle. Il sentait qu’il y avait encore quelque chose à faire. Mais je me dis que j’ai tellement de bons souvenirs, que je me suis tellement régalé qu’il est temps de tourner la page.
Avez-vous des regrets ?
Non, pas de regrets ! Et puis à BeIN, je reste dans un milieu où c’est jeune, avec un travail en équipe et je suis quelqu’un qui marche au challenge. Je ne pense pas que je vais avoir envie de revenir. Ma mère était là il y a quelques jours pour mon anniversaire et, quand je lui ai dit que j’arrêtais, je lui ai dit : « T’en connais beaucoup des mecs qui sortent d’un petit quartier, un branleur qui parlait mal, qui se comportait mal, qui ne savait pas se tenir et qui a eu tout ce que j’ai eu ? » Les médailles, être connu, s’éclater... J’ai connu trop de belles choses.
Tout au long de votre carrière, on a parlé de « gâchis ». On dit que vous aviez un talent fou mais que vous ne faisiez pas tout ce qu'il fallait pour l'exploiter vraiment. Qu'en pensez-vous ?
J’ai réfléchi à ça, je me suis demandé pourquoi ils disaient ça. J’ai du talent, c’est ce que tout le monde dit. Moi, je ne m’en rends pas forcément compte. Mais à chaque fois qu’il fallait que je sois là, j’ai répondu présent. Quand on pose le palmarès, j’ai 4 médailles aux Jeux, 4 médailles aux championnats du monde et quasiment 25 médailles sur des championnats d’Europe. J’ai eu la légion d’honneur, l’ordre du mérite. J’ai suivi un début de parcours à Sciences Po. J’ai fait un peu les comptes pour voir. T’as des mecs qui ont aussi du talent mais qui n’ont pas tout ça. En 2012, avant les JO de Londres, je me mets vraiment à m’entrainer qu’en janvier, mais je ne me dis pas pour autant : « Si jamais tu t’étais entrainé plus tôt, peut-être que… » Non. Si ma tante en avait, ce serait mon oncle.
Quelle image pensez-vous laisser dans votre sport ?
L’image d’un mec qui arrive d’un milieu… D’une famille d’ouvriers, donc avec peu de moyens. Je suis bon vivant et je m’éclate. Les gens disent que je suis un électron libre, mais non. Je vis comme tout le monde. Mais quand on fait du sport, on n’a pas le droit à des choses à côté. Un mec du CAC 40, on n’en parle pas et pourtant il y a beaucoup plus d’enjeu. Nous, c’est juste du sport. J’ai juste profité et je profite toujours. C’est une chance inouïe d’avoir eu tout ce que j’ai eu et de faire ce que je fais au quotidien. J’en ai parlé avec ma mère il y a quelques jours. Je ne suis pas un électron libre, j’ai profité de tous les trucs. Comme on dit, on ne vit qu’une fois. Je dis ce que je pense, je ne suis pas lisse, je n’ai pas été forcément dans le top 3 de ma fédération. Mais à chaque fois que je marche dans Paris, les gens me demandent une photo, un autographe, me remercient pour ce que j’ai fait. Moi, ça me suffit amplement.
Ça ne devait pas être évident d'entrainer Amaury Leveaux...
Je voudrais remercier mes coaches, de Vincent Léchine à Delle, celui qui m’a repéré et qui a proposé à ma mère de me mettre au club en me payant ma licence parce qu’elle n’avait pas d’argent. Puis le Pôle Espoir de Besançon avec Eric Rebourg et Brian Grandjean, où je passe de trois entraînements par semaine à deux par jours, donc assez dur. Je me fais même une cassure au dos. J’ai ensuite dû partir au Pôle France à Mulhouse avec Lionel Horter, où j’ai été très bien accueilli. En 2008, il récupère Laure Manaudou et il est très occupé, donc Stéphane Gallo s’occupe de moi. En fait, je fonctionne par challenge j’ai l’impression. A chaque fois, il me faut une nouvelle personne. Je me lasse vite des gens ou des choses.
Et Philippe Lucas ?
Oui Philippe ! Une des meilleures années de ma vie (rires). J’ai découvert vraiment ce que c’était de travailler, d’avoir mal dans l’eau. Mais en même temps d’avoir quelqu’un à coté qui est cool, avec qui tu peux boire une bière. On se découvre en mai 2010 au camping de Port Grimaud, où Philippe s’était installé avec son groupe. Tout le monde se moque et dit : « Ouais, Lucas et Leveaux dans un camping… » Et résultat, ça a donné de jolies choses ! Deux médailles aux Jeux, l’or et l’argent, donc c’est quand même exceptionnel. Il est tout le temps content d’entrainer, il arrive avec la banane il te charrie dès le matin. Il prend soin de toi. C’est l’entraineur, avec mon premier Vincent Léchine, qui me laisse le plus de souvenirs. C’était tellement dur. Personne ne croyait en nous. On a fait notre truc et on a réussi.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
Je pense que c’est aux Jeux de Pékin en 2008 avec Hugues Duboscq. Je le vois rentrer au village avec sa médaille de bronze du 200m. Moi, j’ai déjà l’argent sur le relais et il me reste le 50m. Lui, il lui reste le 100m brasse. Le matin de mon 50m, je me suis levé à 4h pour le réveil musculaire car les finales étaient le matin. Juste au moment de partir à la piscine je vois Hugues qui sort de sa chambre. Il avait mis le réveil juste pour moi et il m’a dit : « Allez mec ! » Ça m’a touché. D’ailleurs, ce matin-là, je descends au petit déjeuner avec Alain (Bernard, déjà champion olympique du 100m et en finale du 50m avec Leveaux). Il est 6h du matin, il arrive avec son plateau, ses petites tartines de confiture. Moi je suis allé au Mac Do prendre un Big Mac et je l’ai mangé devant lui. Peut-être que si je ne l’avais pas pris, je n’aurais pas fait de la merde derrière, même si c’est une médaille d’argent aux Jeux. Je n’en avais pas encore mangé, mais là, j’en avais envie. Lionel (Horter, son entraineur) me dit : « C’est moyen là non ? » Je lui ai dit : « Non mais j’en ai envie, il ne faut pas se priver. »
Et votre pire souvenir ?
Les Mondiaux de Rome en 2009 avec le décès de mon père pendant la compétition. C’était un moment dur et c’est là qu’il y a eu la rupture avec Lionel Horter. Une vraie rupture. Je le prenais un peu comme mon père. Il a fait beaucoup de choses pour moi et je ne l’en remercierai jamais assez. Je suis à l’hôtel en train de faire la sieste je vois mon téléphone sonner. C’est Lionel. Il me demande de venir, si j’ai appelé ma mère. Je lui dis : « Non, pas de nouvelle bonne nouvelle. » Et là, il appelle ma mère et lui dit : « Je vous le passe. » J’entends ma mère partir en sanglots… Lui et son frère Franck ont mal fait les choses. Ils n’avaient pas à faire ça car ma famille avait décidé de ne pas me le dire pendant la compétition pour me préserver. Ils savaient très bien que ça allait me démolir. Ma mère m’a dit de rester, de terminer la compétition. Moi, je n’avais qu’une envie c’était de partir. Elle me dit : « Fais ça pour ton père. » Avant la finale, je reçois un message d’encouragement de ma mère qui me dit : « Défonce-toi, il va te regarder. » C’était le jour de l’enterrement. C’était spécial.
Vous ne le connaissiez pourtant quasiment pas ce père...
Il est parti de la maison quand j’avais 6 ans. Je me souviens qu’il rentre du boulot et casse tout. Il avait tout une collection de Formule 1 signées par les pilotes. Il envoie tout valdinguer. Je ne comprends pas du tout ce qu’il se passe. On part chez la meilleure amie de ma mère. Je me souviens leur avoir dit : « Vous allez faire la paix ? » Je ne l’ai revu qu’en 2004 avant les Jeux d’Athènes et après les Jeux de Pékin en 2008. Il était fier de son fils malgré le fait qu’il ne s’était pas occupé de nous, qu’il avait laissé ma mère avec des dettes. Même s’il n’a jamais vraiment été là, ça reste ton père.
Londres c'est une belle conclusion avec le titre sur le relais 4x100m ?
A Pékin, à 50m du mur sur le dernier relais d’Alain (Bernard), je dis à Fabien (Gilot) qu’on ne sera pas champions olympiques… Et à Londres, à 50m, je lui dis en voyant Yannick (Agnel) : « C’est bon, on gagne. » Et à Pékin et Londres, il a eu la même réaction et m’a dit : « Mais non, arrête ! » Ah oui, on en a quand même un peu chié pour faire ce truc. Et je pense que ça a marché à Londres parce qu’on a imposé notre choix, nous les nageurs. Et en s’imposant un peu, ça a marché. Peut-être qu’à Pékin, si on s’était un peu plus imposé, si on avait tous dit : « C’est comme ça et pas autrement », on aurait gagné.
Qu'est-ce que vous souhaitez à vos ex-coéquipiers de l'équipe de France ?
Je dis à tous ceux qui vont pousser jusqu’en 2016 : « Ne lâchez pas l’affaire, continuez, profitez, ça passe super vite. Après, les jeunes qui arrivent, il ne faut pas qu’ils pètent plus haut que leur cul. Ce n’est pas parce qu’il y a eu une génération super forte avant eux qu’ils vont être super forts sans rien faire. C’est peut être ça le problème en France. Quand tu as eu une génération super forte, c’est que derrière, il faut continuer à construire pierre par pierre. Si, à un moment donné, il y en a qui arrêtent de mettre les pierres, tout s’effondre et c’est plus dur de reconstruire sur des ruines.
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