Natation: "Je ne pouvais plus voir l’eau, sentir l’odeur du chlore", le témoignage fort de Fantine Lesaffre sur sa dépression

Elle avait perdu le fil de sa carrière au point de tout vouloir arrêter. Fantine Lesaffre a remporté le 400m 4 nages du meeting de Marseille samedi avec un chrono de 4'39''82. La sixième performance mondiale de l’année, et surtout un temps qu’elle n’avait plus réalisé depuis plus de trois ans. Car la championne d’Europe de la distance en 2018 commence à sortir d’une zone de très fortes turbulences qu’elle raconte à RMC Sport.
Deux années de burn-out natatoire, de dépression, de crises d’angoisses, de pleurs et une décision d’arrêter sa carrière sur laquelle elle est finalement revenue. Fantine Lesaffre, aujourd'hui âgée de 28 ans, s’est "retrouvée" à Toulouse, où elle s’entraîne désormais avec Nicolas Castel.
Fantine, vous êtes championne d’Europe en 2018, et derrière vous perdez le fil de votre carrière, que s’est-il passé ?
En 2018 je m'entraînais à Marseille, et mon coach a arrêté d'entraîner, donc j'ai dû partir. J'ai pris la décision de rejoindre Antibes avec Franck (Esposito) que je connaissais déjà. Au début ça allait et ça se passait bien. En 2019, je ne fais pas une saison dégueulasse, j'ai fait mon record de France sur le 400 4 nages en petit bassin. Mais je me suis perdue. Je ne remets pas la faute sur lui, mais Franck avait une façon de voir mon 400 4 nages qui était différente de la mienne. Mais c'était le coach, je l'ai écouté. Et je me suis perdue, en tant que nageuse et je me suis un peu perdue en tant que femme aussi. C'est ce qui a fait que j'ai commencé un petit peu, entre guillemets, à dégringoler. J’ai perdu la confiance en moi, la confiance envers le staff, le coach.
Ça a été compliqué, j'ai eu des moments difficiles. Je n’avais jamais pris de pause depuis que j'ai commencé à nager, donc mon corps et mon esprit… Tout simplement j’étais en burn-out pendant presque deux ans. J’ai pris presque six mois de pause l’année dernière, et au départ je pensais même que ce serait définitif. Si je reviens aujourd’hui c’est que justement j'ai laissé le du temps pour mon esprit et pour mon corps d'accepter d'être mal, J'ai vécu des moments compliqués, j'ai pleuré tous les jours, je ne dormais plus. Mais j’ai accepté, j'ai laissé mon corps vivre ce qu'il avait besoin de vivre et ce que je repoussais depuis déjà quelques mois.
A quel moment vous avez dû dire stop et vous arrêter ?
L’année dernière, je suis partie aux États-Unis m’entraîner avec mon compagnon, et quand je suis rentrée en France pour les championnats de France (à Limoges), tout m’est retombé dessus. En plein milieu des championnats France j'ai dit stop, j'ai dit c’est fini. J’ai fait forfait sur toutes mes dernières courses. Je suis rentrée chez moi, je ne suis pas repartie aux USA alors que j'étais censée y retourner, j'avais mon billet d'avion. Je suis restée à Antibes, je ne suis pas sortie de ma chambre pendant un mois. Ça a été compliqué et puis petit à petit j'ai commencé à rebouger un peu. Je n’ai pas vu mes potes pendant longtemps aussi. Je me suis laissée du temps. J'avais besoin d'un moment pour moi, moi seule, et me retrouver avec moi-même.
Vous avez été dégoûtée de la natation ?
Ah oui ! Ça a été un ensemble de choses, mais la natation est une grosse partie de notre vie. On s'entraîne entre 25 et 30 heures par semaine. J’ai commencé tard à 14 ans, mais aujourd'hui j’ai 28 ans donc, H 24 pendant 14 ans, ça fait beaucoup ! Il y a tout un tas de trucs à côté, et avec mon psy j'ai travaillé sur d'autres choses que la natation aussi. J'ai mon passé, mon enfance et il s'est passé pas mal de choses. Mais ouais, la natation ça a été le "trop", j'ai été dégoûtée. Trois semaines après mon stop des championnats de France, je devais venir au club à Antibes pour faire un point sur ma situation.
"J'ai fait une vraie crise, je n’arrivais plus à respirer. J’ai fait une crise d'anxiété, rien qu'en voyant la piscine"
Je me ramène un samedi matin, je rentre dans la piscine et en fait, instinctivement, je me mets à pleurer. Mais pas à pleurer un petit peu. J'ai fait une vraie crise, je n’arrivais plus à respirer. J’ai fait une crise d'anxiété, rien qu'en voyant la piscine. C'était devenu trop (elle marque une pause en disant "j’ai la main qui tremble"). Je ne pouvais plus voir l'eau. Ça me dégoûtait parce que ça me ramenait à la nageuse que j'avais été un moment donné. C'était un trop plein, je ne pouvais plus ! L’odeur du chlore… Je ne m’arrêtais pas de pleurer.
Et finalement la décision d’arrêter votre carrière ?
Au mois d’août, je leur ai dit que c’était fini pour moi et que je ne reviendrai plus. Je ne pouvais plus voir une piscine. Pendant les deux années où j’étais en burn-out, en dépression, je faisais des crises de panique à chaque fois que j'entrais dans l'eau. J'avais des crises d'anxiété quasiment toutes les semaines. Ça a été vraiment dur, c'était une face de moi que je n'avais jamais connue. La natation m’a apporté tellement de bonheur, qu’on ne se dit pas qu’un jour ça peut nous achever aussi.
Je suis contente de reprendre justement du plaisir. J'ai toujours été quelqu'un de souriante, très enjouée aux entraînements, je pousse toujours les gens vers le haut, j'encourage tout le monde, je rigole beaucoup et les gens qui me connaissent savent que j'ai un rire qui est très imposant (rire). Et j'avais perdu tout ça. Je m'étais perdue complètement et c'était dur aussi de me voir comme ça, de savoir que j'étais au fond du trou.
Comment avez-vous retrouvé du sens à la natation ?
Ça a été compliqué. J'ai regardé les championnats du monde un peu et les championnats d'Europe d'un œil l’été dernier. Je regardais les résultats une fois de temps en temps, mais je ne me suis pas intéressée plus que ça. Je n’étais pas tous les jours devant ma télé.
Et c'est vrai que de voir les coéquipiers et surtout de voir une équipe de France qui remontait comme ça, il y a eu un petit engouement de ma part. Mais je n'étais pas prête pour revenir. J’ai laissé ça de côté et puis un jour mon frère est venu pendant les vacances chez moi à Antibes. Il est triathlète et il allait nager à Antibes. Et une fois, je suis allée nager comme ça avec lui. On a fait un kilomètre, rien de bien fou. Mais j'étais au soleil, j'étais avec mon frère et ça m'a fait du bien. Et début septembre comme ça, un peu sur un coup de tête, j'ai appelé Nicolas Castel, qui est mon entraîneur maintenant et je lui ai exposé les faits : "Je n'ai pas nagé depuis plus de cinq mois, ça a été compliqué la natation pendant deux ans. J'ai pris du poids et je ne suis plus aussi athlétique parce que pendant cinq mois je n’ai pas fait pas de sport".
Je lui ai expliqué tout ce qui ce qui n’allait pas. Je lui ai dit que j'étais encore faible psychologiquement, mais qu’il y avait un truc. Je sentais qu'il y avait un petit truc. Au lieu de prendre peur avec tout ce que je lui avais dit (rire), il a été très réceptif et il m'a dit qu'il avait un bon feeling, qu’il pensait que ce n’était pas fini. Comme il n’a pas eu peur et qu'il était même plutôt enjoué de ce petit projet qu'on pouvait mettre en place, moi ça m'a donné confiance et en une semaine, j'ai fait mes bagages pour Toulouse.
Comment s’est passé le retour à une vie de nageuse ?
J’ai pris doucement mes marques. On a repris doucement les premières semaines avec Nico avant de réattaquer un peu plus. Il y a eu des moments de doute, ça n’a pas été facile tout de suite. Ca fait à peu près huit semaines que ça se repasse bien dans l'eau, que je suis assez régulière, que les temps sont corrects, mais avant ça, ça a été dur. Il y a des moments où je me suis demandée si j’avais pris la bonne décision. Est-ce que ce n’était pas un peu trop hâtif ? Est-ce que, à vingt-huit ans, je ne suis pas finie en fait ? Il y a des moments où je repartais en crise de pleurs, parce que j'ai je perdais confiance. Donc je me suis accrochée. Nico s'est accroché aussi parce que des fois ce n’était pas facile à entraînement… Mais Nico a toujours eu les bons mots et on a réussi à passer outre. Et donc ces dernières semaines, ça se passait super bien.
On vous retrouve effectivement avec le sourire après ce 400m 4 nages…
Je suis vraiment contente de refaire ce genre de performance, de retrouver mon sourire. Sur le compte Instagram de la Fédération, il y avait des photos où j'avais le sourire et je n’en avais plus. Je cherchais dans toutes mes photos et il n’y en avait aucune où je souriais ! J'étais un peu morte. Donc là de retrouver des photos dans une piscine avec un bonnet, des lunettes avec le sourire… Ça fait du bien. De se retrouver, ça fait du bien. J'avais perdu mon sourire et j'avais perdu cette flamme que j'avais pour la natation, qui revient doucement grâce à Nico mon coach, grâce à mon compagnon également (l’ancien nageur, Nicolas D’Oriano). Grâce à mes amis comme Charlotte (Bonnet) qui a toujours été là.
Charlotte elle m'a vue tout au fond et elle ne m'a jamais lâchée. Mais là, voir ce que j'ai fait (samedi à Marseille), je pense que j’ai passé un petit cap psychologiquement. Parce que j'avais encore peur du 400m 4 nages. Le matin quand je pars, j'ai encore une boule au ventre parce qu’il m'a traumatisée ce 400 4 nages et que même si je sais qu'à l’entraînement je nageais bien, ça restait ma course. Et là d’avoir passé la barre des 4'40", ça fait plaisir, ça fait quelque chose au cerveau, ça fait quelque chose dans mon petit cœur et donc ça fait du bien. J'en ai de moins en moins peur de ce 400m 4 nages et je reprends du plaisir dans l'eau. Je retrouve la Fantine que j'étais avant. Je retrouve mes marques en étant consciente que je suis quelqu'un de différent. Je suis une femme différente, je suis une nageuse différente.
"Il y a des moments où je me suis demandé si j’avais pris la bonne décision"
Vous n'êtes pas la première nageuse à décrire ces symptômes, cette dépression. Est-ce que la natation est une cause majeure dans ce qui vous arrive ?
C’est un tout et je pense qu’on ne peut pas dissocier la femme et la nageuse. Je suis vraiment une personne entière et donc je ne peux pas me couper et me scinder en deux comme ça. La natation est liée à notre vie. Il n’y a pas que la natation, j’en ai beaucoup parlé aussi avec Beryl (Gastaldello) quand elle était dans cette période-là et il n’y avait pas que ça, il y avait beaucoup de choses qui jouaient. Même si aujourd'hui je trouve qu'on commence à en parler, on n'en parlait pas, c'était tabou. On est sportifs de haut niveau, on a été aux JO, les gens nous prennent pour des surhumains, des super héros, ce genre de choses. Et on n'a pas le droit de parler de ça. On n'a pas le droit d'afficher des moments de faiblesse.
Donc on garde tout pour nous et ça agrave le truc. J’ai repoussé le truc, je n'en parlais pas. Les gens ne savaient pas ce qui se passait à part les personnes très proches comme Charlotte par exemple. Et l'année dernière j'ai pété un câble et j'ai dit c'est fini, j'ai accepté le fait d'être mal. Je pense qu’il faut aussi écouter son corps, dans la natation mais aussi dans la vie de tous les jours. Et je me suis écoutée, j'ai accepté le fait d'être mal. J'ai accepté de rentrer chez moi et d'être en pleure tous les jours. J'ai accepté de ne pas être capable de sortir de mon lit pendant des semaines.
J'ai accepté toutes ces émotions parce que j'avais besoin. J'avais besoin d'être mal, j'avais besoin de pleurer, j'avais besoin de ne pas être bien. C'est ce qui fait que mon corps a su tout relâcher complètement et que petit à petit j'ai réussi à bouger de mon lit, j'ai réussi à sortir dehors, j'ai réussi à de nouveau aller au resto avec des potes. Ça fait du bien parce que j'accepte. J'accepte d'être heureuse, j'accepte d'être un petit peu moins bien de temps en temps parce que j'ai encore des hauts et des bas. Et s'accepter, ça fait beaucoup de bien.
Mardi on sera à 500 jours des Jeux olympiques, cela vous inspire quoi ?
C'est un renouveau déjà parce que quand j'ai repris avec Nico, j'ai repris à zéro. Je lui ai dit que je faisais table rase de tout ce qui s'est passé. Aussi bien de ma période difficile mais aussi bien de mon titre de championne d'Europe. Je savais quand j'ai repris je n’étais plus la même femme, plus la même nageuse. Je savais qu'il fallait que je refasse avec cette nouvelle personne et du coup j'étais partie sans a priori et je pense que c'est aussi ce qui m'a aidé. J’ai pour objectif toujours la médaille olympique et on ne vise pas une médaille olympique en étant forte que quelques semaines, ça se construit sur des mois et des années.
Quand j’ai repris avec Nico, on s’est directement projeté sur 2024, pour la médaille. On a repris doucement, on a accéléré un petit peu le pas à certains moments, on a travaillé d'autres choses comme ma force, ma puissance. Donc c'est un renouveau. J’appréhende les choses de façon différente, un peu plus posée, un peu plus calme. J'ai toujours cette flamme, mais je suis aussi plus réaliste que ce que j'étais à l'époque. Je sais que j'aurais des étapes. Là, je viens d'en passer une ce qui me fait très plaisir. Etape par étape. Cet été j'espère déjà être aux championnats du monde, j'espère faire de nouveau une finale. Revenir doucement sur la plus haute marche internationale.