Natation: Marc-Antoine Olivier raconte sa "descente aux enfers" après l’échec des JO de Tokyo

Il était un des grands espoirs de médailles d’or l’été dernier à Tokyo sur le 10km de natation en eau libre des Jeux olympiques, mais il n’a terminé que sixième, loin du vainqueur, l’Allemand Florian Wellbrock. Marc-Antoine Olivier, médaillé de bronze quatre ans plus tôt à Rio est passé à côté de sa course au Japon. Et l’après JO s’est transformé en "descente aux enfers" pour le Nordiste de 25 ans qui avait décidé avant les JO de quitter Philippe Lucas à l’issue des Jeux. Parti brouillé avec l’entraîneur qui l’a suivi pendant six années, Marc-Antoine Olivier s’est senti "livré à lui-même", a "perdu des sponsors" et a mis quatre mois à retrouver une stabilité.
Après un départ infructueux d’à peine deux semaines aux Canaries avec l’entraîneur Français Frédéric Vergnoux, il a posé ses valises à Ostia en Italie près de Rome où il a intégré un groupe d’entraînement qui compte notamment son rival et recordman du monde en petit bassin du 1500m Gregorio Paltrinieri. Changement total d’horizon et de culture pour le vice-champion du monde 2019 du 10km qui veut désormais prouver que sa "carrière n’est pas finie" et "chercher la médaille d’or à Paris" en 2024. Deuxième du 400m lundi aux championnats de France de natation à Limoges, il dispute le 800m nl ce jeudi, puis le 1500m et le 50m nl ce week-end.
Racontez-nous ce qui s'est passé après les JO de Tokyo.
"Ça a été très, très compliqué. Déjà de se remettre des Jeux parce que c'était quand même un gros échec. On n'était pas parti pour faire cette 6e place et en plus finir quand même, mine de rien, à deux minutes du vainqueur. Ça a été très dur à accepter. Après, j'ai voulu rebondir en essayant de trouver une structure, ce que j'avais prévu de faire déjà trois mois auparavant, j’en avais discuté avec Philippe (Lucas), on avait dit qu’on essaierait de finir en beauté sur les Jeux. C'est vrai que ça c'est un peu mal terminé parce que tout simplement on était déçus tous les deux. Après je pense qu’on a fait des erreurs chacun de notre côté pour qu’on arrive à cette à cette 6e place."
Ça ne s’est pas bien terminé avec Philippe Lucas ?
"Avant de partir en Italie, j'ai voulu passer voir Philippe Lucas pour lui annoncer. Parce que pour moi, je n’étais pas en mauvais termes et je ne voulais pas être en mauvais termes parce que j'ai fait six merveilleuses années avec deux Jeux olympiques et un palmarès que je n’aurais pas pu avoir avec un autre coach en France. Mais il n'a pas voulu m'écouter. J'ai trouvé ça un peu un peu dommage. Bon, même si après je comprends, c'est toujours difficile de perdre un de ses nageurs, mais j'aurais voulu au moins un peu discuter avec lui avant que je parte en Italie. Il s’est un peu énervé, je ne préférais pas rentrer vraiment dans le conflit."
Après une tentative infructueuse de deux semaines aux Canaries avec l’entraîneur français Frédéric Vergnoux, vous avez finalement atterri en Italie...
"Sur une Coupe du monde à Barcelone ça ne se passe vraiment pas bien, je suis vraiment à la ramasse. Et un coach italien, Fabrizio Antonelli, me demande ce qu’il s'est passé, comment ça se fait que je suis à ce niveau-là. Il pensait que j'avais pris des vacances. Et il m’a proposé à moi et Océane (Cassignol) de le rejoindre. C'est simple, le dimanche soir on est rentré à Montpellier, j'ai repris des affaires, j'ai rempli ma voiture et lundi j'étais en Italie."
Vous êtes parti à Ostia, et pas avec n’importe qui comme camarade d’entraînement… Gregorio Paltrinieri.
"Oui c'est le leader dans le groupe. Il y a Domenico Acerenza aussi et après il y a deux jeunes Italiens, tous des médaillés au minimum au niveau européen. On est un groupe de dix, cinq filles et cinq garçons, et c'est vraiment agréable de de bosser avec eux."
Vous partez complètement du système français que vous avez toujours connu ?
"J'avais très peur d’une chose au début, c'est que mine de rien, j'arrive dans une structure étrangère et il faut rémunérer la structure. J'avais peur de payer au mois parce que je me disais qu’ils pouvaient me laisser de côté. Mais il m'a tout de suite dit qu’il voulait des résultats, et qu’il voulait une rémunération par rapport à mes primes. Ça m'a rassuré car si il veut être rémunéré, il faut que j'ai des résultats. C’est un budget de 18500 euros l’année environ. Franchement, il y a une super entente et ce qui est bien, c'est qu’on essaye d'élever notre niveau. En ce moment Paltrinieri n’est pas le premier non plus. L’homme à abattre en ce moment, c'est l’Allemand Florian Wellbrock (double champion olympique du 1500 et du 10km à Tokyo). On essaye de monter notre niveau à l'entraînement pour qu'ensuite on arrive à faire des belles choses en compétition. Avec ce petit groupe, je retrouve ce que j’avais avant en équipe de France d’eau libre. C'est comme une famille."
Vous parlez italien ?
"Déjà, j'ai dû me mettre à l’anglais parce que je ne parlais presque pas anglais, voire pas du tout. Donc pour communiquer avec mon coach italien j'ai dû d'abord me mettre à l'anglais. Après je comprends l'italien mais le parler, ça va venir un peu plus tard."
Vous payez votre coach, c'est totalement hors du système fédéral.
"Oui, et on me l’a beaucoup reproché. Et je pense que j'ai perdu aussi des partenaires à cause de ça. Mais la question qu'il faut se poser, c'est à part Philippe Lucas en demi-fond en France, où est-ce qu’on peut nager ? Si on veut faire du bassin et de l'eau libre et accéder à des podiums internationaux, où en France on peut accéder à ce niveau-là ? Pour moi je n’avais pas le choix, il fallait que je parte à l'étranger."
Avez-vous senti qu'on vous en a voulu ?
"Oui on m’en a voulu. Mais c’est mon choix et j'assume. Ce n’est pas forcément à la fédération qu’on m’en a voulu. C'est un peu tout, même des gens sur les réseaux sociaux. J'ai reçu des messages où on me traitait de traître parce que je partais de la France. Je pense que des fois les gens ne se mettent pas à la place de l'athlète et aussi de de ce que j'ai vécu. Je n’ai pas beaucoup de gens qui ont pris de mes nouvelles sur les quatre moins après les Jeux olympiques."
Vous-êtes vous senti un peu abandonné après l’échec de Tokyo ?
"Ça a été une descente aux enfers. Pendant 4 mois ça a été très compliqué. Très compliqué. J'avais hâte de terminer cette année-là parce que c'était dur mentalement. J’ai pris deux semaines en fin de saison et je me demandais si j'allais continuer à nager. Je me disais à quoi ça sert, je vais reprendre mes études. Et je vais reprendre une vie normale comme tout le monde."
Est-ce qu’avec du recul vous comprenez les raisons de l’échec de Tokyo ?
"Il y a de ma responsabilité, de Philippe aussi. C'est vrai que vers la fin, j'avais j'ai du mal à croire au programme. Et puis mine de rien, quand vous nagez avec Philippe, six ans c'est vraiment beau et c'est vrai qu’à la fin, j'étais épuisé physiquement, moralement. J’avais prévu de faire un stage en altitude pour préparer les Jeux, mais il s’est passé des choses dans ma vie et je ne me sentais pas de monter faire ce stage sans Philippe. J’ai préféré rester, donc est-ce que c’est ça qui a fait que j’ai pêché… Pourtant tous les voyants étaient au vert. J’ai fait mes meilleurs chronos en bassin, j’ai gagné une coupe du monde avant, mais je n’étais pas là je jour J et c’est ça le sport de haut niveau. Mais je n’étais pas là après ma course à pleurer et dire c'est la faute de untel ou untel. Le fautif d'abord c'est moi. De peut-être ne pas avoir pris les bonnes décisions ou peut être de ne pas avoir travaillé assez ou pas assez optimisé ma récupération. Après ce qui était important, c'était de savoir rebondir. C'est ce que j'essaie de ce que j'essaie de faire. Et c'est ce qui m'a fait aussi du bien en partant à l'étranger, de m'éloigner un peu tout ça, de rebosser dans mon coin et d'essayer de faire les belles choses."
Vous avez une envie de revanche ?
"Oui, j'ai envie de montrer que je ne suis pas fini. Six ans ça peut paraître beaucoup en France. Je ne connais pas beaucoup de noms qui ont été performants et sont montés sur les podiums internationaux pendant 5 ou 6 derniers d'affilés. J'ai envie de remonter sur les podium internationaux. J'ai envie de prouver les choses et déjà d'avoir dès le mois de février réussi à me suis qualifier pour le championnat du monde c'est une bonne étape. Et puis cette année j’ai envie de penser aussi plus à ma famille. Ma famille s'est beaucoup concentré sur moi pour que je réussisse sur ces deux olympiades. Ma mère a eu vraiment des gros problèmes de santé, elle aurait pu ne plus être là pour Tokyo. J’aimerais aussi montrer que je suis là aussi pour mes proches, que c'est ça va pas que dans un sens."
A quel point ces 4 mois post-JO ont été durs psychologiquement ?
"Déjà, tu pars à l’étranger, loin de ta famille et de tes amis. J'ai perdu des partenaires, donc moins de stabilité financière. Je sors du cadre fédéral et je sais pas si la fédération va me suivre comme si j’étais en France. Je ne sais pas si ils vont me suivre sur toutes les compétitions, sur mes stages. Ça fait beaucoup d'incertitudes. Je ne pense pas que les gens se rendre compte de ce que j'ai vécu. C'est bête, mais j'ai aussi perdu mes réseaux sociaux qui ont été piratés. Et maintenant c'est un revenu les réseaux sociaux. Tu n’as plus d’appuis. J’étais vraiment livré à moi-même et pendant 4 mois j'ai peut-être une ou deux personnes qui en ont pris des nouvelles de moi quoi…"
C'est revenu en ordre ?
"Franchement je n’ai rien à dire, depuis les Jeux, la fédération m'a toujours soutenu même si ça a été des fois difficile d'avoir des réponses. Ils ont toujours été là pour que je parte en compétition, en stages. Et puis j’ai mon club, Dunkerque et ma région. Après, maintenant je vois ça de loin, depuis l’Italie, mais il y a le premier tour des présidentielles dimanche, et est-ce que vous avez entendu un seul candidat parler du sport et des Jeux olympiques à Paris en 2024 ? Je pense que c'est l'événement le plus médiatisé au monde et je pense qu'il y aura fallu s'appuyer dessus même si il y a d'autres points qui sont importants aussi en France à régler. Mais je pense qu’on peut le jumeler avec le sport et il y a rien qui est fait. Je compare un peu avec les aides qu’ils peuvent avoir en Italie ou les centres d’entraînement. Rien qu'à Rome il y a 4 ou 5 piscines de 50m. C'est dur de voir un autre système est aussi le budget que peut avoir l'Italie, voir les moyens qu'ils mettent et que nous, on organise les Jeux et on n’a même pas la moitié de leur budget. C'est difficile de voir ça."
Vous avez perdu des sponsors après Tokyo ?
"Il y a des contrats qui se terminaient après les JO et je pensais continuer avec eux, mais voilà c'est la vie… Le résultat des JO a joué, on ne s'attendait pas à ce que je fasse une 6e place. Ce qui est bête, c'est que ils m'ont pas laissé la chance de prouver que je pouvais faire mieux et que je pouvais aller chercher une médaille olympique. Sachant qu’il y a les Jeux dans trois ans dans notre pays. Je n’ai rien fait de de mal hormis mon résultat aux Jeux pour arrêter mes contrats. Mais bon, c'est leur décision."
Dans quel état d’esprit êtes-vous ? Revanchard ?
"Les 4 premiers mois c'était plus plutôt de la reconstruction, physique et mentale. Me redonner envie de continuer à nager parce que c'est c'était pas forcément évident. Là, ce changement de mode d'entraînement, de de vision et de préparation, c'est vraiment une autre vision du sport. Ça m’a fait énormément de bien de retrouver aussi un petit groupe, de pouvoir discuter un peu plus avec le staff, que ce soit le coach, le préparateur physique. Là maintenant, je suis déterminé. Ma carrière elle n’est pas finie et je peux encore faire de belles choses. J'ai envie d'aller la chercher cette médaille d'or à Paris, ça sera encore plus beau. Mais il y a beaucoup d'étapes avant ça."