
Paris 2024: Bien-être des nageurs ou transport des céréales, le casse-tête du 10km nage libre dans la Seine aux JO

Les bateaux devant la Tour Eiffel sur la Seine, le 27 mai 2023 - AFP
Au pied du pont Alexandre III, la météo est ce jour-là loin d’être estivale, mais Stéphane Lecat le patron de l’eau libre à la fédération Française de natation regarde le plan d’eau qui accueillera l’épreuve du 10km les 8 et 9 aout 2024 avec des étoiles dans les yeux. "Le pont Alexandre III, la Tour Eiffel derrière, le Grand Palais… C'est Paris quoi ! Un parcours rêvé pour un nageur d'eau libre et c'est en France, chez nous." Décors de carte postale avec la Seine super star, un fleuve dans le lequel les nageurs effectueront cinq boucles de deux kilomètres environ, jusqu’au niveau de la Tour Eiffel où ils effectueront le demi-tour.
Mais pour profiter de ce cadre de rêve, il faudra se lever tôt! Le départ de l’épreuve de marathon aquatique sera donné depuis un ponton amovible au pied du pont Alexandre III à 7h30. "Les athlètes devront se lever vers 4h du matin pour leur épreuve, explique Lecat. C’est du haut niveau et on va s'adapter, les athlètes vont s'adapter. Mais c'est quand même plus confortable en termes de préparation de nager et de prendre un départ à 9h du matin plutôt qu’à 7h30. C'est dommage parce que les Jeux olympiques à Paris, c'est tous les cent ans. Donc on aurait aimé qu'énormément de personnes puissent voir les épreuves. Avec un départ vers 9-10h pour que ça se termine à 11h."
Sauf qu’à 11h, la Seine devra être rendue à la navigation, et le ponton de départ avoir disparu du paysage pour laisser passer les bateaux.
"C’est effectivement tôt, concède Olivier Jamey le président de la communauté portuaire de Paris qui regroupe les opérateurs économiques de la Seine sur la capitale. Mais ça participe de ce qu'est le fleuve, c'est-à-dire une conciliation des usages permanents. Le fait de le faire le matin, ça permet à toutes les activités du fleuve de pouvoir se déployer à peu près normalement."
Un pic d’activité du transport des céréales en juillet et août
Car la traversée de Paris par le fleuve ne se résume pas aux bateaux-mouches. "On pense peut-être d'abord aux bateaux-mouches qui sont des activités commerciales touristiques, mais il y a aussi des bateaux de marchandises. Par exemple les campagnes de céréales à ce moment-là dont c'est le pic d'activité. Les mois de juillet et aout c'est le pic d'activité de beaucoup de bateaux sur le fleuve. Donc ce passage dans Paris, il faut qu'il soit le plus fluide possible." 15,4 millions de tonnes de marchandises ont ainsi été transportées par voie fluviale en 2022 sur la région Ile-de-France selon les chiffres de Voies Navigables de France. Un trafic en constante augmentation ces dernières années.
Une histoire donc d’équilibre et de compromis. Tenir la promesse d’épreuves dans la Seine (les épreuves de natation du triathlon olympique et paralympique se nageront également au départ du pont Alexandre III mais avec un départ à 8h30), sans bloquer l’activité économique du fleuve. "Ce n'est jamais évident, avoue Tony Estanguet le patron du comité d’organisation de Paris 2024. Le programme pendant les jeux est extrêmement dense avec au total 878 compétitions qu'il faut programmer entre la partie Olympique et paralympique. Il y a aussi un trafic sur la Seine et on bloque la circulation sur ces matinées-là. C'est un équilibre à trouver."
"On aurait aimé montrer le merveilleux travail fait pour rendre la Seine propre"
Un compromis qui partait de loin. "Au départ du projet des JO on partait je crois sur une dizaine de jours où la navigation sur le fleuve était arrêtée, en rigole encore Olivier Jamey. Donc à force de travail avec l'équipe des Jeux, avec les fédérations sportives, on a trouvé ces conciliations. Qui sont c'est vrai un peu contraignantes, mais d'après ce que j'ai cru comprendre pour certains autres Jeux olympiques, on avait aussi des épreuves très matinales."
Les nageurs d’eau libre ont effectivement l’habitude de ces départs aux aurores. Et les 7h30 de Paris ressembleraient presque à une "grasse mat’" comparé aux 6h30 des derniers JO à Tokyo. La faute à une eau trop chaude au Japon. "Là on n'a pas de problématique de température de l'eau car ce sera tempéré, reprend Stéphane Lecat qui déplore le manque de visibilité pour l’épreuve à cet horaire. La ville de Paris a fait énormément de travaux et un merveilleux travail pour que la Seine soit beaucoup plus propre. Et on aurait aimé le montrer à plus de monde. Je trouve ça vraiment dommage. C'est une super publicité pour l'héritage qu'on va laisser, pour le travail qui a été fait par la ville de Paris et puis également l'opportunité qu'offre les Jeux pour la Seine. Est-ce que on ne peut pas imaginer que deux fois tous les cent ans on peut décaler de 2h cette circulation?"
Les épreuves de para-triathlon ont eu droit à une heure de plus avec une reprise de la circulation à 12h. "La période du mois de septembre correspond aussi en termes de conciliation d'usage, à une période où c'est plus aisé de le faire", précise Olivier Jamey.
"On récupèrera les gens qui sortent de soirée"
Ce "marathon aquatique" comme il est nommé dans le programme olympique est une des rares épreuve accessible gratuitement sur une large partie du parcours. "J’ai marché sur les quais récemment et ça donne des frissons, se projette Marc-Antoine Olivier le médaillé de bronze du 10km à Rio en 2016. On n’est pas une discipline à proximité du public, on part souvent assez au large. Là il y aura une proximité avec le public qui va être énorme avec des encouragements tout le long du parcours." Mais la foule sera-t-elle réellement présente à 7h30 le matin?
"On récupèrera les gens qui sortent de soirée, plaisante Marc-Antoine Olivier pas plus inquiet que ça. Les gens sont là pour les JO, pour vivre cette fête avec les athlètes et quelle que soit l’heure, ça ne les dérange pas je pense. Il y aura tout le temps du monde. Bien sûr qu’on aimerait toujours plus, surtout pour une discipline comme la nôtre qui a une visibilité supplémentaire sur les jeux. Mais je suis athlète, je ne suis pas là pour négocier..."
Ce 10km olympique, même avec son horaire très matinal, marquera les esprits selon Tony Estanguet: "Vu le décor absolument spectaculaire qui est offert pour ces compétitions, on pense que les performances des athlètes seront tellement spectaculaires qu'elles seront très visibles et reprises par les médias du monde entier."
"C’est le moment où le fleuve est le plus beau, abonde Olivier Jamey. Le lever du soleil, la Seine au petit matin avec une brume légère... Ça fera des images fantastiques! Et puis moi j'aime bien la chanson de Dutronc. Il est 5h, Paris s'éveille!"
Pas certain que Stéphane Lecat l’ajoute à sa playlist du mois d’aout 2024. "Je ne sais pas si c'est possible encore de changer, mais j’espère. Ce serait vraiment une bonne chose si on pouvait démarrer plus tard."
Une première répétition aura lieu cet été à l’occasion de l’étape de coupe du monde qui servira de test event les 5 et 6 aout prochain.