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L'édito de l'After: Caillot, la tête dans le sac

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Le football français joue en ce moment sa meilleure pièce. C’est l’histoire d’un valet de génie qui a enrhumé tous ses maîtres. Et si la LFP était la nouvelle Comédie-Française? L'édito de Thibaud Leplat, rédacteur en chef de la revue de l'After.

Dimanche soir, Jean-Pierre Caillot a pris des airs de Géronte. Pointant le bâton sur le micro (et renonçant à la grammaire) il lance: "votre truc là c’est RMC, (…) ils disent suffisamment n’importe quoi pour que moi, qui étais au cœur du réacteur pendant toutes ces négociations, je sache que le bon président de la ligue ce soit Vincent Labrune." Aïe nos oreilles. Reims venait de battre coup sur coup Rennes 2-1 et la concordance des temps 3-0. Raison de plus pour gonfler un peu plus le plastron. Un pas en arrière, fausse sortie. Nouvelle salve: "c’est pas parce que vous avez des gens chez vous qui font du bashing en permanence… Labrune, il a géré une situation qui était pas simple. (…) Je vous le dis, ça fait un an que je suis à ses côtés en tant que représentant des présidents de Ligue 1 c’est, et de loin, le meilleur homme par rapport à la situation".  Le maître de Champagne renvoie à l’interview donnée par le dévoué valet dans L’Equipe quelques jours plus tôt et censée lustrer un bilan pourtant désastreux : "Personne n'aurait pu faire mieux." Les avocats vivent des divorces et les "communicants de crise"... des crises. On aurait dû s’en douter.

Les Fourberies de Labrune

Cela dit, d’un point de vue strictement logique, c’est implacable. Personne n’aurait fait mieux que lui à sa place. Et pour cause. Personne n’y sera jamais, à sa place dans le passé. Sur le fond, cet argument relève du sophisme téléologique parce qu’il rabat le choix de la compétence pour un job dans le présent (le futur président) à celui des circonstances passées (par définition qui ne se reproduiront jamais à l’identique). A ce jeu Jésus était effectivement la meilleure personne pour être crucifiée, la preuve, on n’a encore trouvé personne d’autre pour le remplacer. Une seule constante dans cette logique malade : la compétence (vérifiable, quantifiable) est remplacée par la circonstance (singulière, irrépétible). Sinon comment expliquer qu’une institution censée faire fructifier son produit (la LFP) entende renouveler à son poste celui qui était parvenu, en quelques mois, à l’aliéner ad vitam aeternam à un partenaire financier étranger (CVC) tout en promouvant son invisibilité via le piratage (devenu incontournable) et l’impuissance commerciale (combien de droits étrangers?)? 

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C’est une énigme vertigineuse : le réel catastrophique (-60% de recettes pour la plupart cette saison) ne semble pas avoir d’effet sur le regard énamouré de sa première victime et maître: Jean-Pierre Caillot. En attendant Freud, c’est dans Molière qu’il faut se plonger pour saisir la relation d’emprise qui lie le valet à son maître. A l’acte III, scène 2 de ses Fourberies, Scapin, pour se venger de Géronte qui l’a calomnié, lui faire croire qu’il est poursuivi par une troupe de "spadassins". Pour le protéger, l’habile laquais lui recommande de se cacher dans son sac "Cachez-vous, voici un spadassin qui vous cherche!" Le vieillard apeuré se rue dans le sac. Le piège se referme sur lui. Scapin peut laisser place à son talent de trompeur et, prenant des accents exotiques, le défendre des attaques d’ennemis imaginaires... en le rouant de coups. C’est hilarant. Et ça nous rappelle quelque chose. 

Gloire au valet

Tandis que Caillot était la tête dans le sac ("le cœur du réacteur"), Scapin (qui négociait seul à la grande surprise de ses interlocuteurs) s’est affairé contre ceux qui en voulaient à la LFP: "On a affronté des vents contraires d'un autre temps avec des ennemis puissants." Dans le rôle de l’armée de spadassins : Roures (qui en plus a un drôle d’accent), Saada (qui est radin et rancunier, c’est bien connu) et dans le rôle des "affabulateurs (et) des diseurs de bonne aventure" RMC, So Foot, "Riolo (et ceux) qui essaient de (le) faire tomber" (So Foot numéro 219 à paraître). Bref, le tableau comique est irrésistible surtout quand on a en mémoire l’autoportrait que le célèbre valet de Molière, attaché de presse de lui-même, ébauchait à l’acte I "il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler. J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses, à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies". Prends ça Florian Zeller.

Tel est le génie de Labrune. Prisonnier du sac des récits flatteurs, les maîtres ont cru à toutes les fables du valet. Résultat : ils ont déboursé des millions pour renflouer ses erreurs stratégiques tout en étant pourtant persuadés qu’il n’avait rien fait d’autre que leur épargner des coups de bâtons — qu’ils ont pourtant bien reçu. Question pour les futurs bacheliers : à la fin de cette farce française qui est celui qui a triplé son salaire? 

Thibaud Leplat