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L'édito de l'After: L’étrange magie du football

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Football Leaks ou affaire Pogba se ressemblent. Dans les deux cas, on est toujours très mal à l’aise d’apprendre ce qu’on apprend et de voir ce qu’on voit. La vérité rend-elle complice? Comme chaque semaine, l'édito du rédacteur en chef de la revue de l'After Thibaud Leplat.

Il y a des rentrées plus douloureuses que d’autres. La même semaine, deux événements se sont percutés exactement le même jour. D’un côté la condamnation à quatre ans de prison avec sursis pour Rui Pinto. Le lanceur d’alerte portugais avait ainsi révélé l’ampleur de la fraude et des pratiques mafieuses dans les célèbres Football Leaks en 2016. De l’autre, le contrôle positif de Paul Pogba à la testostérone. Récapitulons.

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Versant corruption: évasion fiscale, paradis fiscaux, blanchiment, conflits d’intérêts et des dizaines de millions d’euros d’amende infligées à Cristiano Ronaldo (18,8 millions d’euros, 2 ans de prison), Leo Messi ( 2 millions d’euros, 2 ans de prison), Angel Di Maria (2 millions, un an et quatre mois de prison), Luka Modric (1,4 million d’euros, 8 mois de prison) etc. Rui Pinto, le jeune homme responsable de la "fuite" des documents — en réalité un piratage et une tentative d’extorsion de fonds au près de Doyen Sport — a été condamné à quatre ans de prisons avec sursis. Des 90 charges dont il était accusé, et après une grâce partielle pour services rendus à la vérité, 5 ont été finalement retenues dont  "accès illégitime" à des systèmes informatiques et trois faits de "violation de correspondance aggravée".

Versant dopage: Paul Pogba. Lors d’un contrôle aléatoire le 20 août, à l’issue d’un match contre Udinese (1ère journée du championnat), l’international français a été contrôlé positif à la testostérone de synthèse. L’agence italienne antidopage décide alors de le suspendre à titre provisoire pour "violation des articles 2.1 et 2.2 pour la présence des substances prohibées suivantes: métabolites de testostérone". Le joueur français a beau clamer dès le premier jour que la prise a été "involontaire" et liée à l’ingestion d’un complément alimentaire, sa culpabilité ne sera pas levée et sa réputation demeurera entachée. Car peu importe qu’il l’ait voulu ou pas, en matière de dopage, l’intentionnalité n’est pas un élément constitutif d’une infraction. Deux ou quatre ans, la condamnation aura lieu quoi qu’il arrive.

Le football par le trou de la serrure

Au fond, les affaires de corruption et de dopage se ressemblent. On est toujours très mal à l’aise d’apprendre ce qu’on apprend et de voir ce qu’on voit. On se sent presque coupable. Un peu comme le jour où on a tiré sur la barbe du Père Noël pour la première fois ou surpris nos parents par le trou de la serrure. Impossible de s’enlever l’image de la tête. Puceau de la vérité, notre esprit voudrait revenir en arrière. Mais c’est impossible. La vérité est entrée par effraction et s’est installée au milieu du cerveau. Oui, nos parents font l’amour. Oui, nous sommes les fruits des hasards de la chair. Non, le Père Noël n’existe pas. Le football professionnel passe ainsi son temps à célébrer la grandeur et la beauté de l’effort gratuit. On y adhère volontiers quand il est l’heure de s’installer en tribune ou dans le canapé. Pendant 90 minutes, pour que l’illusion fonctionne à plein, il faut bien y mettre du sien. Sinon à quoi bon vibrer ? En poésie, cette mécanique intérieure de mise en pause du doute légitime s’appelle la suspension volontaire d’incrédulité. Chez nous, j’ai consacré un livre à ce prodige, la magie du football.

Car c’est bien de magie dont il s’agit. Comme dans les plus grands tours, pour que le football fonctionne, il y a un prix à payer: la vérité. On sait bien que le magicien n’a pas de pouvoirs particuliers. Et pourtant, au spectacle, notre esprit aime jouer à se tromper lui-même. En football, on passe notre vie à ignorer deux vérités comme deux éléphants dans une pièce exiguë (attention aux âmes sensibles) : 1/l’argent gouverne le sport professionnel 2/le sport de haut niveau est mauvais pour la santé. Malheureusement nous ne sommes plus des enfants. Pourtant, ô prodige du divertissement, on adhère encore aux illusions qu’on s’est fabriquées pour passer le temps. On se dit que les joueurs — parfois — préfèrent le maillot à l’argent ou que le football — c’est vrai non? — c’est excellent pour les articulations. On s’agite, on vibre, on s’émeut. Tout cela au nom d’une idée fausse mais généreuse : le football nous débarrassera du vide.

Une saison au paradis

Rui Pinto avait émis un vœu en en-tête de ses révélations en 2015 "Ce projet vise à dévoiler la face cachée du football. Malheureusement le sport que nous aimons tant est pourri de l’intérieur. Il est temps de dire basta." Telle est peut-être la seule énigme vraiment intéressante à penser quand on parle de notre rapport au football professionnel. En dépit des fraudes fiscales, des agents véreux et des pharmacies omniprésentes, en dépit de tout ce qu’on nous raconte sur nos héros et du cirque qui les entoure, on aime encore, on aime toujours, le football. L’argent, d’ailleurs, continue à couler dans tous les sens (4 mois de mercato cette saison pour 9 mois de compétition) et nos héros à gambader tous les trois jours (dans une saison à 70 matchs pour certains). Et nous, bien sûr, on sera au rendez-vous de la Champions League dès ce mardi soir pour une nouvelle saison de performances légendaires. Une saison de plus à croire. C’est comme ça. Dites à Rui Pinto qu’on est désolé mais qu’on n’y peut rien. On ne renonce pas si facilement à son enfance.

Par Thibaud Leplat