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L'édito de l'After: la Real augmentée

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La Real Sociedad n’est pas le plus grand club d’Espagne. Non, le club de Xabi Alonso et Antoine Griezmann est beaucoup plus que ça. C’est une institution.

On se fait une idée fausse de la noblesse. Le fabuleux Subcampeon publié en Espagne il y a quelques semaines raconte l’histoire étrange de son auteur, Zuhaitz Gurrutxaga (prenez un instant pour admirer la beauté des noms basques), ancien défenseur central de la Real Sociedad et à la carrière footballistique assez confidentielle.

Le titre résume la grandeur tragique d’une trajectoire qui tient en l’énumération suivante: quelques matchs comme titulaire, 91 minutes au total sur toute la saison avec Raynald Denouiex (la Real finira vice-championne d’Espagne en 2003), une dépression qui le mènera à arrêter sa carrière et une nouvelle vie d’humoriste-musicien-présentateur télé en Espagne. Curieuse aventure qui donne un livre fabuleux dans lequel on regarde le football avec les yeux d’un type à la mordante autodérision. L’histoire d’un mec normal dans un monde totalement anormal.

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Une des vérités qui y transparaît tient à la nature aristocratique de son club formateur, la Real Sociedad. Paris, club de l’arrivisme et des nouveaux riches par excellence, n’affrontera pas demain un petit club espagnol comme un autre mais une institution fondée en 1909. Pourquoi une institution? Parce que sa grandeur et son autorité ne se mesurent pas à son palmarès (deux championnats gagnés, quelques places d’honneur, une dernière Coupe d’Espagne en 2020) mais à des détails que les malappris considèrent comme de la coquetterie surannée.

On se moque souvent de ceux qui invoquent les "valeurs" d’un club, qui osent rappeler que dans ces communautés d’hommes, il est d’abord question de se battre pour quelque chose de plus grand que soi. Dans le football de la multipropriété, des clubs États et des fonds d’investissements, l’individualisme est une loi naturelle. L’idéalisme est un anachronisme qui met les rieurs au travail.

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C'est toujours Thibaut Giangrande pilote l’After Foot le samedi soir.
Le Top de l'After Foot : Thibaud Leplat : "Mbappé est dans la situation d'un grand héros de cinéma" – 04/01
12:03

Ce que "populaire" veut dire

Pourtant quand on voit Xabi Alonso (Real Sociedad de père en fils), Mikel Arteta (made in la Concha de San Sebastian), quand on entend Juanma Lillo (incubé en Guipuscoa), quand on pense à Txiki Beguiristáin (formé au club, découvreur de Pep Guardiola, DS de City) et José Maria Bakero (meneur de jeu du Barça de Cruyff), quand on se souvient d’Antoine Griezmann (formé au club), d’Unaï Emery (même région) ou d’Arconada (dans un autre style de déglingue) on ne devine pas seulement un football commun mais également une vision du monde.

Il n’est pas ici question de revendiquer sa petite personne ni de pavoiser à la moindre faveur venue. Non, ici la gloire ne s’exhibe pas dans les tatouages ou les éclats. Elle prend la forme de la sobriété et de la retenue (Unaï sur son banc, un peu moins, certes). À San Sebastian, même la pluie qui tombe par fines gouttes toute l’année (plus grosse pluviométrie d’Espagne) est élégante. Gurrutxaga raconte ses premiers jours au centre de formation du club auprès de Javier Exposito, l’homme qui, pendant 30 ans a changé le club en même temps que la vie de dizaines de gamins devenus des hommes (souvent internationaux) grâce à lui.

"Pour Exposito, l’image, l’attitude et le comportement étaient aussi importants que le talent footballistique", explique l'auteur.

"C’est lui qui donnait le ton à la Real. A l’ancienne? Oui, peut-être. Mais ce n’était pas une question esthétique. Il s’agissait de maintenir l’écusson immaculé: si on prend un mauvais coup, on se tait et on continue. Si on nous insulte, aucune protestation, on continue. Si une bagarre éclate, on se tait, on continue à jouer". Le plus dur explique "Gurru" dans son bouquin, c’était de maintenir cette éthique quand ils jouaient contre les gamins des bleds environnants — aujourd’hui on dirait "populaires" — qui, le temps d’un match, voulaient se payer les gosses de riche venus de la capitale de province.

"Ils étaient toujours très remontés contre nous. Il nous en mettait dans tous les sens (…). Il fallait apprendre à encaisser les coups, les insultes, se taire et continuer à jouer", se souvient-il.

Voilà ce qu’on appelle en philosophie un ethos aristocratique c'est-à-dire un ensemble de règles de comportements simples à respecter mais qui sont le signe d’une élévation morale. Car dans le football, on se fait parfois une fausse idée de ce qui est populaire. On voit du mépris partout.

Si Borgés a tort quand il dit que "le football est populaire parce que la bêtise est populaire", c’est qu’il ignorait qu’il existe ainsi une tradition de clubs (le Real Madrid, River Plate, la Real Sociedad) qui perpétuent — indépendamment des origines socio-économiques de ses membres — l’éthique originelle des fondateurs anglais, ceux-là mêmes qui considéraient — c’est l’idée du fair play — que le velours de l’aristocrate doit se porter à l’intérieur du manteau, jamais à l’extérieur.

Javier Exposito n’est pas né dans l’opulence. Pendant des années, il a travaillé en journée dans une cimenterie et entraîné les gamins le soir et le week-end. De même, la Real Sociedad n’écrase pas la Liga de son budget colossal (150 millions d’euros) ni de son palmarès hors du commun. Pourtant, si c’est bien à un grand d’Espagne auquel va se mesurer le Paris-Saint-Germain demain, c’est au nom des valeurs qu’il représente et de la postérité qu’il construit chaque jour.

Les tribunes d'Anoeta
Les tribunes d'Anoeta © AFP

FC Instagram

Au fond, la Real nous dit quelque chose d’important sur l’idée de club. Un club de football c’est l’exact contraire de la révolution bolchevique ou de l’avant-garde du marketing globalisé. Au nom d’une éthique de l’élégance et de la retenue, il y est plutôt question d’un horizon commun de valeurs à construire et partager. De là sa force métaphorique. Peu importe les origines sociales, ethniques, culturelles, l’essence d’un club tient dans cet ensemble de petites choses apparemment insignifiantes ("ici pas de cheveux longs, pas de boucles d’oreille ni de conneries de ce type", rappelle Gurru) mais qui mises bout à bout construisent un monde possible. A la Real on est aristocrate dès lors que le maillot à rayures bleues et blanches nous éloigne de la vulgarité.

Dans une époque où il n’y en a plus que pour Instagram, les boutiques sur la Cinquième Avenue et un individualisme finalement très conformiste, la Real Sociedad semble appartenir au passé du football et le Paris-Saint-Germain à son avenir. Pourtant le futur ne semble pas pencher du côté du marketing. Sur 25 joueurs professionnels à la Real, 80% sont formés localement, 11 sur 25 au club et représentent, à eux seuls, presque 50% du temps de jeu global (le plus haut taux en Europe avec le Shakhtar Donesk mais pour d’autres raisons évidentes). Un club, ce n’est pas un maillot third ou un logo sur un t-shirt trop cher. C’est une certaine manière de se former c'est-à-dire de se contenir. Bref, un club est un style d’existence.

Thibaud Leplat