L'édito de la revue de l'After: Atal et les millionnaires de l’inconséquence

Youcef ATAL - IconSport
Peut-on condamner ce qui est éphémère? Le joueur de l’OGC Nice Youssef Atal a relayé pendant quelques secondes un message antisémite 24 heures après qu’un prof de français eût été poignardé dans un lycée au cri de "Allahou Akbar" à Arras et en pleine fièvre entre Hamas et Israël. La question est difficile parce qu’elle porte sur un impensé qui nous obsède depuis les premiers jours de notre histoire d’amour avec le football. On aime sans retenue ce jeu. On lui dédie une bonne partie de nos vies. On a parfois même le sentiment que le reste de l’existence utile ne sert qu’à se divertir avant que les journées de championnat ne reviennent enfin. Le bon Youcef n’est pas un mauvais bougre. Et quand il se pétait les cuisses (un match sur deux), on avait mal à sa place. A Nice, on le sait bien. Si son corps avait été fiable, il y a longtemps qu’il aurait quitté le club. Au fond, les blessures nous prémunissaient contre la décadence.
Mais quand on apprit que le latéral algérien avait forcé la décence et relayé — quelques secondes — les vociférations d’un triste personnage (dont on effacera volontairement le nom ici) appelant son Dieu à "envoyer un jour noir sur les juifs", l’émotion fut aussi sombre que profonde. Un gamin au sourire d’ange pouvait donc partager des pensées mortifères. Pris de remords, le joueur effacera rapidement la publication de son compte sans parvenir à en effacer la trace dans nos esprits. L’information fut reprise par de nombreux zélateurs, pressé de relayer ce que tout le monde redoutait: aucun consensus chez les footballeurs au sujet de la situation en Palestine. C’est le moins qu’on puisse dire.
"Fan du sportif"
Un autre souvenir remonta instantanément à la surface. Le 1er novembre 2020, deux jours après un attentat dans la basilique Notre-Dame de Nice qui avait fait trois morts (dont le sacristain) et laissé la ville sous le choc, il s’était aussi excusé. Cette fois-ci d’avoir liké un post du champion russe de MMA Khabib Nurmagomedov réclamant "que le Tout-Puissant défigure cette ordure et tous ses disciples", celui-ci évoquant Emmanuel Macron. Atal était "fan du sportif", précisa-t-il devant la polémique qui était montée à l’époque "je n’ai voulu blesser personne". Trop tard.
Pour sa défense, il faut admettre qu’un "like"" n’est pas une thèse universitaire ni encore moins un discours politique. On ne peut pas attendre des réseaux sociaux autre chose qu’une dégradation du débat public sous forme d’opinions instagrammables c'est-à-dire rapidement conçues, rapidement relayées, rapidement oubliées. Sous le flot d’images et de sollicitations, certains passent de discours violents appelant à la destruction d’Israël et de ses alliés à une publicité pour sac à mains et une notification d’une inconnue à la poitrine trop généreuse pour être humaine. La confusion qui règne dans nos esprits est le fruit de cette culture de l’amalgame qui peu à peu dévore le moindre effort de structuration intellectuelle et mentale.
"Surtout ne pas penser"
Mais pourquoi l’amateur sincère s’est-il donc à nouveau senti trahi par le gamin de Mechtras, installé à Nice depuis cinq ans? La question n’est pas de savoir si les opinions politiques de nos héros nous plaisent ou pas. Le problème c’est leur imprudence à l’égard des prédicateurs qu’ils admirent et leur inconséquence. Pressés d’appartenir à un camp, comme si le destin d’un continent entier pouvait se résumer à un affrontement entre deux franges, les footballeurs plongent tête baissée, sur ce sujet comme sur les autres, dans un confortable manichéisme. Ils likent, partagent, provoquent, s’imaginent penser à contre-courant alors qu’ils sont l’incarnation-même du troupeau. Ce qu’ils prennent pour de la radicalité n’est en réalité que le symptôme le plus vif du conformisme de la bêtise. Peut-être espèrent-ils ainsi gagner en street credibility. Rappel: un sportif de haut niveau se couche tôt, boit de l’eau, mange des haricots verts et passe sa vie en claquettes-chaussettes. Très loin d’une vie de rappeur US.
Entourés de spécialistes en tous genres (nutrition, préparateur physique, tactique, spécialiste attaquant, défenseur, CPA etc) les joueurs sont maternés jusqu’à la moindre table basse à déménager ou le plus petit t-shirt Balenciaga à arborer. Au fond, toujours la même promesse: "surtout ne pas penser". Comme si le football n’avait rien à voir avec la vie commune, comme s’il s’agissait d’une galaxie éloignée, comme si l’on entérinait le fait les footballeurs ne devenaient jamais adultes, on a changé les centres d’entraînement — désormais on dit « campus » — en garderie de luxe. Conséquence, à force de leur ôter le trouble de penser et la peine de vivre, nos millionnaires de l’inconséquence se sont convertis en enfants-rois (affaire Atal) ou dépressifs notoires (affaire Beka-Beka). Pour eux, une opinion politique ne vaut pas plus cher qu’un post rémunéré pour une marque de crème. Après tout, sur Instagram, on connaît bien l’économie de l’hypocrisie : s’excuser coûte moins cher que de changer d’avis.