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Philippe Auclair - 24 octobre 2011

Ne nous enflammons pas, comme dirait Mario Balotelli...

Une fois n’est pas coutume, je ne vous parlerai que d’un seul match dans ce blog, et vous avez sans doute deviné lequel. C’est que j’entends beaucoup de choses qui m’étonnent depuis ce que j’appelle le ‘Massacre de la Saint-Séverin’, puisque c’est le 23 octobre qu’est célébré ce digne Bordelais.

“Passation de pouvoir”, “séisme”, etc, etc. A lire les gazettes ce matin, c’est comme si nous avions assisté à l’équivalent de la prise de la Bastille de Sir Alex par les sans-culottes de Roberto (qui ne portent que des pantalons taillés sur mesure par les meillleures petites-mains du faubourg Saint-Honoré).

Halte-là, tout de suite. Ceux d’entre vous qui sont des habitués de ce blog, du grand after et de Capitaine Larqué se souviendront que ce n’est pas d’hier que j’ai fait de City mon favori pour le titre; dans les paris RMC de samedi, je m’étais d’ailleurs avancé à pronostiquer une victoire des Citizens. Pourquoi donc alors essayè-je aujourd’hui de relativiser la pire fessée que United ait prise de City depuis 1926?

C’est, que comme Wenger (qui va beaucoup mieux, merci, mais c’est une autre histoire) l’a justement dit, ce type de score – qui fait songer au 8-2 de Mu face à Arsenal au mois d’août – indique d’abord qu’on a assisté à un match pour le moins inhabituel. A une exception. A l’inverse d’une synecdoche – d’un événement isolé qui contient en lui-même, non pas le germe, mais l’essence d’une réalité plus grande. Ce n’est pas parce qu’on va croiser un mouton à cinq pattes qu’il y aura davantage de gigots à vendre sur les étals de bouchers le lendemain.

Rappellons-nous d’abord que trois des six buts passés à un United réduit (justement) à dix l’ont été à partir de la 90ème minute, autant de punchs adressés à un adversaire déjà étendu KO sur le tapis. Certains étaient magnifiques, aucun plus que la passe géniale de David Silva, dont je reparlerais, dans la course du grand échalas Dzeko. Mais modérons donc la portée de cette demi-douzaine de buts; il s’agit d’un épiphénomène, rien de plus. Choquant. Consternant. Epatant, selon que vous vous trouviez d’un côté ou de l’autre de la ligne de démarcation de Manchester. Laissons-le de côté – pour le moment. Sa vraie signification, nous ne la connaitrons que dans les semaines à venir, en fonction de ce que sera la réaction des humiliés de dimanche. Selon moi, elle sera terrible. Ce résultat était le pire que pouvait craindre David Moyes, dont l'Everton accueille les red devils le week-end prochain. Les grandes équipes qui subissent ce genre d’humiliation la font généralement payer cash à la prochaine qu’elles rencontrent, car c’est la capacité de gérer l’impact émotionnel de gifles de cette violence qui distinguent, précisément, les grands de ceux qui ne le seront jamais; or nous sommes depuis longtemps fixés sur la dimension de United et de son manager.

Une autre chose: ces scores-fleuve s’expliquent aussi souvent par la réussite hors du commun de celui qui les inflige. City n’a cadré que sept tirs, mais a marqué six fois. Ce n’est pas pour diminuer leur exploit que je souligne cela, mais pour insister sur ce qu’il a d’exceptionnel, aux deux sens de ce terme.

Je reviens au match. Vingt minutes crispées et crispantes, pendant lesquelles on pouvait néanmoins admirer la façon dont Mancini avait su organiser son systeme, après quoi Balotelli exploita brillamment un relâchement criminel de de la défense mancunienne. Dès ce moment, on sentit que ce serait très dur, voire impossible pour United de revenir. City était trop bien en place; et Mancini, lui, avait choisi le onze dont il avait besoin pour contrer Ferguson.

Sir Alex, par contre, avait péché par orgueil, je crois. On le sait parieur. On sait aussi que nul autre entraîneur ne maîtrise à ce point le squad system. Mais il est allé trop loin cette fois-ci, et n’a pas su réagir, pour une fois. Où était Vidic? Que faisait Jonny Evans, dont les limites sont connues, à la place de Phil Jones, impérial depuis le début de la saison? Pourquoi préférer Welbeck, très remuant, certes, à Chicharito (lequel vient de prolonger jusqu’en juin 2016, au passage), dont le mouvement aurait donné bien plus de travail à Lescott en particulier, et dont l’entente avec Rooney est presque aussi télépathique que celle qui unissait Giggs et Cantona? Pourquoi ignorer Berbatov lorsqu’il aurait fallu pouvoir compter sur un joueur qui puisse conserver le ballon dans les trente derniers mètres? Et tout cela, alors que United a pour adversaire Aldershot mardi soir?

City, par contre, a rendu une copie qui était proche de la perfection. Balotelli a logiquement fait les ‘unes’ le lendemain de son feu d’artifice, en marquant, et en offrant un cliché idéal aux photographes présents au stade lorsqu’il a montré son t-shirt ‘pourquoi toujours moi?’ (va-t-on le surnommer Charlie Brown, maintenant?). Mais trois joueurs au moins ont encore été au dessus de l’excellent Mario. Micah Richards, monstrueux dans son couloir, qui a anéanti Patrice Évra; James Milner – qui jouait avec une côte fracturée -, au sujet duquel Samir Nasri a du mouron à se faire; et le génial David Silva, dont le plus étonnant est qu’il montre un niveau de jeu égal à quasiment chaque sortie, à tout le moins en championnat d’Angleterre. La question se pose évidemment: pourquoi n’a-t-il pas le même rayonnement avec La Roja? Peut-être, tout simplement, parce que l’équipe d’Espagne possède déjà deux meneurs de jeu – plus, en fait, car tous ses milieux de terrain sont meneurs de jeu, avec Xavi en chef d’orchestre. A City, par contre, Mancini lui a confié les clés de son onze, et à lui seul, un rôle qui lui convient mieux, d’évidence.

De Tevez, il n’est même plus question. C’est dire.

La profondeur de l’effectif de Mancini fait qu’il est idéalement adapté à un marathon comme celui de la Premier League; et lorsque Alan Hansen a dit qu’une équipe était née à Old Trafford dans MOTD 2, il était en fait en retard de plusieurs mois, ce qui ne surprendra ceux qui suivent les interventions du plus paresseux des ‘analystes’ britanniques – enfin, juste derrière Alan Shearer. Vous vous souvenez peut-être comment j’avais totalement changé mon opinion de Mancini quelques mois après son coup d’état contre Mark Hughes; on sous-estime l’élégant Roberto à son péril. Chanceux il a été dans sa carrière, c’est indéniable – mais au sens de ‘saisir sa chance’. On le dit hautain, il est plutôt timide. On le dit autoritaire, il est discipliné, voilà tout. Il est aussi un passionné. Et il a conscience de sa valeur, ce que lui reprocheront toujours les médiocres.

Pourquoi donc vous dis-je ‘ne nous enflammons pas’?

C’est qu’on oublie deux choses. D’abord, que sous-estimer Chelsea, qui a été à deux doigts de gagner à neuf contre onze contre QPR, est une erreur que Mancini ne fera pas. Ensuite, que s’il est bien un homme et un club qui a les moyens de digérer la rouste de dimanche, c’est Sir Alex, c’est Manchester United. Il en a déjà prises, des volées de ce genre. Le 5-0 contre Newcastle, le 5-0 contre Chelsea. Qui a gagné le titre ces années-là (1996-97, 1999-2000)? United. Dans le premier de ces deux cas en particulier, on avait parlé d’une ‘passation de pouvoir’, à tort. City est sans le moindre doute plus fort que ces deux équipes. Mais, comme Mancini est le premier à le reconnaître, United a encore ‘un yard d’avance’. Attendons, donc, d’autant plus que le calendrier sera beaucoup moins tendre pour les Blues que pour les Reds d’ici Noël.

A tout à l’heure à l’antenne, guys. Et n’oubliez pas que vous pouvez à nouveau me suivre sur Twitter: @PhilippeAuclair, où vous avez déjà été nombreux à me rejoindre.