Philippe Auclair - Angleterre-France, un jour plus tard...

Angleterre-France – le gala des emplumés, ou le voyage au pays des tartes à la crème...?
Les emplumés? Peut-être à mettre au singulier, quand on j’y songe. Maître Capello. C’est une chose que de se servir de Wembley comme d’un laboratoire, c’en est une autre que de faire n’importe quoi avec les fioles qu’on a ramassé en route, sans trop regarder les étiquettes.
OK, il manquait beaucoup de monde à l’Angleterre. En vrac: Rooney, Terry, Ashley Cole, Glen Johnson, Lampard, Heskey, Hart, Bent, Agbonlahor, Huddlestone, Defoe...j’en oublie. Et Rio, Barry et Carroll (dont je reparlerai un autre jour, et qui fut superbe dans les circonstances) jouaient sur une jambe. Sans oublier ceux qui relevaient tout juste de blessure, et ont très peu joué depuis deux mois ou plus: Gibbs et Walcott.L’occasion était parfaite de lancer dans le bain ces très jeunes joueurs qui, depuis cinq ans, ont fait de l’Angleterre la nation la plus régulière et la plus performante dans les tournois U17, U19 et U21 en Europe. Encore fallait-il les y préparer, pas les balancer tous nus face à une équipe de France en renouveau, et presque au complet, elle.
Que d’erreurs...Lescott en défense centrale, qui ne joue plus à ce poste (quand il joue) à Man City. Jagielka, excellent en défense...centrale à Everton, mais titularisé à droite, alors que Richards, un spécialiste, restait sur le banc. Et Walcott, qui ne défend pas, devant Jagielka, face au duo Abidal-Malouda, qui peut jouer les yeux fermés! Jordan Henderson brille à Sunderland parce qu’il est associé à un destructeur, Lee Cattermole – le mettre à côté d’un Barry transparent n’avait aucun sens. Et quelles instructions Capello avait-il donné à Gerrard, qui fut soit trop près de Carroll, soit trop loin, mais jamais où il fallait? Stevie G serait-il le joueur le plus indiscipliné du football anglais (ce que pense Patrick Barclay, par exemple), ou Capello ne saurait-il toujours pas comment exploiter son dynamisme en sélection? S’il fallait intégrer des jeunes, pourquoi Albrighton et Wellbeck, deux attaquants en pleine bourre tous les deux, sont-ils restés à la maison? Et pourquoi jouer en 4-4-1-1 – ce qui laissa Blanc baba, d’ailleurs – alors qu’il est clair que, vu les absences, un 4-4-2 avec Crouchinho et Carroll aurait posé beaucoup plus de problèmes au duo Rami-Mexes – ce que Blanc avoua lui-même aussi?
Evidemment, le Fabio se moque bien de tout cela. Une seule chose l’intéresse: que l’Angleterre se qualifie pour l’Euro 2012. Elle le fera – mais pas avec une équipe aussi disjointe, et aussi mal préparée par son manager.
Ce billet s’intitule aussi ‘au pays des tartes à la crème’, car on en a distribué un plein magasin depuis hier soir, disant tout et n’importe quoi sur ce que ce match amical est censé nous ‘apprendre’ du football anglais. 1 - cette équipe d’Angleterre est la pire de tous les temps. 2 - les joueurs anglais sont tous surcotés. 3 - il y a tellement d’étrangers en Premier League que les jeunes de talent n’ont aucune chance de s’imposer. 4 - d’ailleurs, il n’y que des étrangers dans les centres de formation des grands clubs anglais, qui piquent tous les jeunes Français en particulier. 5 - en plus, les joueurs anglais, il n’y en a plus dans les clubs qui marchent en Angleterre... 6 - et de toute façon, le foot anglais est en déclin, il est médiocre, en fait, il ne sait que se vendre. 7 – Quand Capello va chercher un attaquant en D2 (Bothroyd), c’est qu’il n’y en a plus ailleurs!
Cette avalanche de poncifs, certains d’ailleurs repris par Laurent Blanc dans une interview donnée à BBC Radio 5 Live, était aussi prévisible que pitoyable.
1 – Des équipes d’Angleterre plus médiocres, j’en ai vu quelques-unes, et qui n’avaient pas l’excuse d’avoir plus d’une demi-douzaine de titulaires à l’hôpital. A l’antenne, j’ai évoqué celle de la fin des années 1970 (absente de tous les tournois internationaux de 1972 à 1980, malgré Keegan, Brooking, Francis et les autres), mais j’aurais du parler de celle de Graham Taylor et d’un certain 0-2 contre la Norvège en 1993... 2- Vrai, en partie. Au niveau valeur sur le marché des transferts...et salaires. Pas techniquement. Le problème est plutôt psychologique et, parfois, tactique. Cantona l’a dit, Wenger aussi, et Eriksson, et Capello, et Mourinho...Il y a un bloquage mental au niveau de la sélection, qui touchait même des joueurs aussi fins que Beardsley et Barnes, lesquels ont toujours moins tenté en équipe nationale qu’en sélection. La faute à la pression? A leurs managers? Au fait qu’on attend de l’Angleterre qu’elle ‘joue comme l’Angleterre’? Bien malin qui le saurait. L’Angleterre est schizophrène, depuis toujours: d’un côté, à lire la presse du pays, ‘on va gagner le Mondial’; de l’autre (plus souvent), ‘nous sommes nuls’. La vérité est que l’Angleterre est une nation de football qui est à sa place en quarts de finale des grands tournois, pas plus. Mais c’est déjà pas mal pour un pays qui a 10 millions d’habitants de moins que la France. 3 – Ridicule. En fait, les clubs anglais, pourtant les plus performants dans les compétitions européennes au niveau de la régularité (voir l’indice UEFA des cinq dernières années), intègrent leurs jeunes plus tôt que ceux des autres ‘grands’ championnats, Ligue 1 incluse. Wenger (Wilshere, Walcott), Ancelotti (McEachran), Moyes (Rodwell, Gosling), Houllier (Gerrard hier, Albrighton aujourd’hui), Ferguson (moins aujourd’hui, c’est vrai, pour ce qui est des Anglais) n’hésitent pas à donner du temps de jeu à des gamins de 17 ans. ‘If you’re good enough, you’re old enough’. Adage ‘made in England’. 4 – Faux: 92% des apprentis sous contrat avec les académies des clubs de Premier League sont Anglais. Et vous devez ajouter à ce chiffre les joueurs d’ascendance galloise (ah, Bale...), écossaise et nord-irlandaise. Le soi-disant ‘pillage’ se limite à des cas isolés, de plus en plus rares d’ailleurs (Pogba, Kakuta); et le football français en a largement profité – voir l’épanouissement de Samir Nasri, par exemple. 5 – Voir Manchester City...en fait, si je ne m’abuse, même avec toutes les ‘stars’ blessées, hormis Foster, tous les joueurs du XI de départ de Capello jouent dans des clubs classés dans les 10 premiers du championnat. 6 – Il y a bien un tassement des valeurs – mais parce que les équipes du ‘ventre mou’ ont repris des abdos (Sunderland, Newcastle, Bolton). Les quatre clubs anglais sont tous en tête de leurs groupes de Ligue des Champions – un ‘déclin’ dont beaucoup se satisferaient. 7 – Imaginez une équipe de France privée de Benzema, Hoarau, Gignac, Gameiro et...qui d’autre, au fait? qui feriez-vous venir comme troisième avant-centre? Et je dis bien ‘troisième’...Or l’Angleterre n’avait plus Rooney, Heskey, Bent et Defoe. Et Bothroyd n’est pas un minable: quand il avait 18 ans, on voyait en lui un futur titulaire possible à Arsenal. Il a perdu son chemin, navigué jusqu’en Italie (Perugia) avant de refaire surface dans un Cardiff City qui a brillé en Cup et parait promis à la promotion. C’était un choix osé, certes. Quid de Wellbeck, par exemple, brillant contre Chelsea dimanche dernier? Mais pas insensé. Le Championship, qui, en termes d’affluence totale, attire davantage de spectateurs que la Serie A, est une compétition d’un niveau supérieur à celui de beaucoup de championnats européens, de très la loin la D2 la plus compétitive du monde.
Regardez les équipes qui y figurent cette année, et comptez celles qui ont brillé en Europe – vous serez surpris: Leeds, Cardiff (demi-finaliste C2), Ipswich, Derby County, Burnley, Norwich, Middlesbrough et, bien sûr, Nottingham Forest. Les jours de gloire sont passés, oui, mais les clubs ont survécu, leur ambition aussi, et le football qu’ils jouent n’aurait rien de ridicule en Ligue 1. Marquer en Championship, comme Bothroyd le fait, n’est pas aussi aisé que le croient ceux pour qui le football se limite à l’élite. J’ai dit! Et ça va toujours mieux en le disant.