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Philippe Auclair - Carnets de Russie (III) - 25/09

Les ultras du Lokomotiv - Sotchi - les chances des candidats à 2018 et 2022...

Enfin quelques minutes pour reprendre ce journal de bord; et mes excuses pour quelques coquilles qui se sont glissées ici et là – j’ai écrit mes billets au fil de la plume, au terme de journées (et de soirées) plus que bien remplies. Et merci à ceux qui les auront corrigées! En ce qui concerne l’ajout de sons et et de ‘visuels’ à nos blogs – surtout à un blog de ce type, quand les images étaient tellement fortes -, je suis d’accord avec vous, et ce n’est qu’une question de temps avant que nous soyions en mesure de le faire.

Où en étais-je? Je vous ai quitté à Moscou, au sortir du Loujniki. Les conversations que j’ai eues avec Smertine et Dassaev feront sans doute prochainement l’objet d’une ‘capsule audio’ dans Larqué-Foot; je garderai donc ces interviews en réserve pour le moment.

Ce même soir, changement de décor. Un bar/club au 21ème étage d’un de ces buildings de verre et d’acier qui percent le macadam de Moscou comme des champignons depuis une dizaine d’années. A l’entrée, portique de détection des métaux, gardés par un soldat en uniforme, mitraillette au côté; à l’intérieur, la jeunesse dorée moscovite, des businessmen, des filles seules au bar (on se demande pourquoi...en fait, on sait, tout de suite), et une table où je m’assieds en compagnie d’un groupe d’ultras du Lokomotiv Moscou, invités par les organisateurs de ce voyage de presse.

(Aparté, qui répond à l’interrogation de l’un d’entre vous: la plupart des pays candidats à l’organisation de grandes compétitions sportives, Mondiaux, Eruros, JO, etc, mettent sur pied ce type de visites, auxquelles sont conviés des journalistes qui ont une perspective ‘internationale’ sur le football, travaillent pour des médias dont l’influence dépasse les frontières de leur pays d’origine, et connaissent le jeu des institutions. Notre rôle est d’observer, et de répercuter ce que nous voyons. L’engagement ne va plus loin, je vous assure – et rassure).

Mes ultras, donc. Physique prévisible. Des hommes-montagne, crâne rasé, dont beaucoup sont d’ anciens soldats. L’ambiance est tendue au départ, mais, petit à petit, la conversation s’engage. La culture ‘supporter’est un phénomène nouveau en Russie, me dit-on. Du temps de l’URSS, on avait des affinités, bien sûr (le Spartak, symbole no.1 du pouvoir communiste, était détesté), mais on ne pouvait pas les clamer trop haut. Trop dangereux. Depuis quelques années, quelques groupes d’ultras sont nés, comme le trop fameux ‘Front Nevsky’ à St Pétersbourg, dont j’ai également rencontré le leader (une seule fois suffira). Ceux du Lokomotiv ne cachent en rien leur nature. Violents? Ils l’admettent. Oui, nous organisons des bagarres avec des groupes rivaux, disent-ils,mais les armes sont bannies. La police nous laisse faire. Le racisme? Cette ‘affaire Odemwingie’, c’est du vent. La banane que nous avons peinte sur notre bannière, ce n’est qu’un symbole...De quoi?, leur demandè-je. De son manque d’effort sur le terrain, c’est tout, disent-ils. En Russie, on donne des bananes aux sportifs pour qu’ils récupèrent de l’énergie. Odemwingie, il lui manquait de la banane!

Que répondre à cela? Quand je prends l’ascenseur en leur compagnie, hors du décor luxueux de ce bar, la tension est palpable. Il ne faudrait pas grand chose...et j’en ai assez deviné. Je me souviens aussi que quatre des vingt-quatre délégués du Comité Exécutif de la FIFA sont africains. Mais je suis aussi frappé qu’on nous ait laissés en pareille compagnie, sans directeur de la com’, sans mentor. Le message des organisateurs était simple: ‘nous ne sommes pas parfaits, mais nous n’avons rien à cacher, nous apprenons’. C’est un message très fort, ambigu à certains points de vue, courageux à d’autres. Astucieux, aussi.

Après une nuit très courte, l’avion pour Sotchi, ville organisatrice des JO d’hiver de 2014. Deux heures dans un vieux Tupolev 134 de l’ère soviétique, ce que je ne conseillerais pas aux natures nerveuses (comme la mienne). Sotchi était le St Trop’ de la nomenklatura; il est aujourd’hui celui de l’élite politique et économique de la ‘nouvelle Russie’ de Poutine. Etrange ville – un ruban long de 147 kilomètres sur les bords de la Mer Noire, un chantier aussi. Partout, des grues, des camions qui circulent chargés de parpaings et de poutres de fer. La montagne est toute proche – on peut skier à trente minutes d’ici -, mais le climat est sub-tropical, comme en attestent les palmiers et les bananiers plantés dans les jardins. Il fait 30 degrés, et une humidité qui me rappelle celle de Tokyo à la même époque de l’année.

Nous voici devant les fondations de ce qui sera la principale arène des JO, et, plus tard, un stade de football pour le Mondial de 2018. C’est dans des endroits comme celui-ci qu’on mesure le gigantesque effort des autorités russes. Cela se fera, parce que cela doit se faire, refrain souvent entendu. La Russie s’ouvrira au monde par le sport: l’Universiade de Kazan en 2013, les JO de Sotchi en 2014, le Mondial de 2018. Un pays dans lequel un seul homme est au sommet de la pyramide du pouvoir dispose d’un avantage considérable dans ce domaine, et je n’a pas besoin de vous rappeller que c’est le cas en Russie, que Medvedev soit ‘président’ ou pas. Je fais une comparaison mentale avec l’impression que dégagent les autres candidats. Le gouvernement espagnol n’a presque rien fait pour épauler le dossier hispano-portuguais, comme Fred nous l’a rappellé dans Larqué-Foot vendredi. Pour les Japonais, c’est d’abord l’occasion de faire le marketing de leurs technologies, et de renforcer leurs liens économiques avec les partenaires commerciaux de la FIFA. Leur candidature est une vitrine, voilà tout. Les Belges et les Néerlandais, eux, n’ont aucune chance: ils ne veulent pas d'exemption fiscale pour la FIFA, ces naïfs...Les Américains et les Australiens (dont le dossier est par ailleurs en tout point remarquable) ne pensent qu’à 2022, pour lequel Qatar a joué ses cartes avec beaucoup d’habileté jusqu’à présent. Bin Hammam, le président de la confédération asiatique, ne s’est finalement pas opposé à Blatter lors des élections de la FIFA; c’est donc qu’un accord a été trouvé, non? Pas sûr. De gros doutes persistent sur l’effet que donner la Coupe du Monde à l’émirat aurait sur l’image de l’organisation auprès des fans, ainsi que sur la capacité d’assurer la sécurité dans un site trop compact. 92% du chiffre d’affaires de la FIFA dérive directement de la Coupe du Monde – celle-ci se doit donc d’être un succès. Que les fans boudent, que le spectacle soit médiocre, que l’intérêt des sponsors faiblisse, et voilà la poule aux oeufs d’or qui pond de moins en moins. Le Qatar doit toujours prouver que ce ne serait pas le cas si on lui offrait le Mondial de 2022. Reste l’Angleterre, dont la campagne cherche toujours un leader; et la Russie.

De l’Angleterre, je vous parlerai dans les semaines qui viennent. Son comité d’organisation a pris conscience, un peu tardivement, que l’avantage ‘naturel’ que possédait la terre natale du football s’était effrité au fur et à mesure que la Russie poursuivait son effort de promotion. Je ne parlerai pas pour autant de panique (comme certains collègues britanniques prompts à tout voir en noir et blanc), même s’il se dit que le dossier technique anglais n’est pas sans failles. C’est possible. Mais il reste encore plus de deux mois pour convaincre les seules personnes qui comptent – les 24 délégués de l’ExCo de la FIFA, et le suspense durera jusqu’au bout. On doit s’attendre à une grosse réaction des Anglais, avec l’ancien vice-président d’Arsenal David Dein pour guide, et une présence de plus en plus visible des poids-lourds recrutés comme ambassadeurs de cette candidature: Beckham, Capello, Ferguson, Wenger, etc, etc. Si je devais parier aujourd’hui, je miserais sur le duo Russie-Qatar, alors que, personnellement, je choisirais Angleterre-Australie, un peu égoïstement, c’est vrai. Mais je ne parierai pas si gros que ça.

A Sotchi, le soir, après un déjeuner tardif dans une fausse brasserie bavaroise (si, si...), et un bref tour en bateau sur la Mer Noire – escorté par deux dauphins pendant quelques minutes - nous assistons à un match de D2 entre l’équipe locale, Zhemtchouzhina (‘la perle’) et Kuban, une équipe de bas de tableau. Pour vous donner une idée de la puissance financière actuelle du football russe: le budget actuel de Zhemtchouzhina est de 30m$ (22,3m€). 30m$ pour un club de D2, qui était encore amateur il y a encore quatre ans, avant d’être racheté par un propriétaire de casinos de Moscou! Le jeu produit n’est pas à hauteur de la dépense, l’ambiance non plus. 1500, 2000 spectateurs maximum, même si on nous assure que la moyenne est de 5000, voire plus. Un minuscule groupe d’ultras groupés autour d’un tambour essaie de chauffer la salle, si je puis dire, leurs chants relayés via des hauts-parleurs dans la tribune principale. Personne ne les reprend. L’occasion n’est pas funèbre pour autant, bon enfant plutôt, avec beaucoup de jeunes familles dans les tribunes, qui viennent là comme elles iraient se promener au jardin d'acclimatation tout proche. Il est vrai que les tickets sont bon marché: 3,50€ pour les adultes, 0 pour les moins de douze ans.

Nous regagnons notre bus pour la dernière fois. Une petite heure plus tard, notre Tupolev 134 décolle sous une pluie battante. Adieu Sotchi. Puis adieu Moscou. Adieu la Russie. Ou, comme beaucoup d’entre nous le pensent désormais, do svidanya - ‘au revoir’.