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"Tant qu’on n’aura pas plus de femmes dans le rugby, ma mission ne sera pas terminée": Hollie Davidson arbitre de la finale de Challenge Cup, une grande première

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Hollie Davidson va devenir, ce vendredi à Cardiff, la première femme de l’histoire à diriger une finale européenne lors de l’affrontement entre Lyon et Bath qui déterminera le vainqueur de la Challenge Cup. L’Ecossaise de 32 ans est en train d’exploser au très haut niveau dans un milieu qui reste extrêmement masculin et compte bien continuer à faire naître des vocations.

Elle n’aurait jamais pu imaginer ça… Lorsque jeune joueuse, Hollie Davidson bataillait sur les pelouses écossaises pour tutoyer son rêve de jouer avec sa sélection nationale, sa vocation pour l’arbitrage n’existait pas. Elle s’est même longtemps projetée avec le maillot du XV de chardon sur les épaules, squattant les sélections jeunes, jusqu’à une blessure récurrente à l’épaule.

"Tu sais, nous les joueuses, on pense toujours qu’on connaît mieux les règles que l’arbitre… C’était vraiment mon état d’esprit", concède-t-elle. A 19 ans son rêve de devenir joueuse professionnelle se brise. "Je pensais que c’était facile d’arbitrer, et à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de femmes arbitres", se remémore Davidson. "Alors je me suis dit : 'pourquoi pas essayer'. Et très vite, je me suis rendu compte que c’était bien plus difficile que ce que je croyais. Un an plus tard, j’ai signé un contrat avec la Fédération écossaise de rugby."

Le changement de maillot ne se fait pas en douceur. Davidson commence par siffler des matchs de rugby à 7 en Ecosse. En 2018, c’est le grand saut avec le Pro 14,. dans le rôle d’arbitre de touche, le championnat qui regroupait à l’époque des équipes écossaises, galloises, irlandaises et italiennes. En 2021, elle dirige ses premières rencontres.

"Je crois que l’un des aspects positifs, c’est que je jouais 9 et 10, donc j’étais toujours très proche des arbitres sur le terrain, je voyais ce qu’ils voyaient", souffle Hollie. "Donc à ce niveau-là, la transition a été plutôt facile… enfin, facile dans le sens où les lignes de course, je les connaissais. Mais l’arbitrage, c’est bien plus que connaître le règlement. C’est comprendre à quel moment il ne faut pas siffler, et ça, c’est le plus important. Cette transition-là a été très difficile. Et on connaît notre sport : il y a tellement de règles. En tant que joueuse, on pense toutes les connaître, et très vite, j’ai réalisé que toutes les petites subtilités m’échappaient. J’ai dû les apprendre et me former pour arriver à mon niveau actuel."

"La finale ? Il y a eu des gros mots de surprise quand je l’ai appris"

Hollie Davidson est couvée par la fédération écossaise, consciente de son potentiel. Elle s’appuie sur les précieux conseils de Mike Adamson, ancien international écossais à 7 passé par les Glasgow Warriors qui a officié lors du tournoi des VI nations 2021. Son mentor, Bob Easton, qui l’a emmené à son premier stage d’arbitrage l’accompagne depuis qu’elle s’est consacrée à l’arbitrage pour débriefer ses performances. Il sera encore avec elle pour la suivre lors de la finale de la Challenge Cup entre le LOU et Bath.

"Honnêtement, je suis restée sans voix quand j’ai reçu le coup de fil me disant que j’allais arbitrer la finale. Je t’avoue qu’il y a eu quelques gros mots de surprise… C’est un énorme honneur. Le rugby européen, c’est le sommet du rugby professionnel ici. Et sincèrement, jamais je n’aurais imaginé arbitrer une finale européenne." En deux ans, la carrière d’Hollie Davidson a pris un vrai virage. Elle arbitre la finale de la Coupe du monde féminine en 2022. En février 2024, Davidson est désignée arbitre assistante aux côtés de Ben O’Keefe lors de la rencontre entre l’Angleterre et le Pays de Galles.

C’est la première femme à officier dans le tournoi des VI Nations. Lors de la dernière tournée d’automne, c’est elle qui a dirigé la rencontre entre l’Irlande et les Fidji. "Mais la finale de la Coupe d’Europe, c’est spécial à plusieurs niveaux : d’abord, parce que je suis la première femme à le faire, et ça, c’est énorme", insiste Hollie. "Ça montre l’évolution de notre sport et les opportunités qui se développent pour les femmes. Mais aussi, en tant qu’arbitres écossais, cela fait des années qu’on essaie de revenir dans le très haut niveau. Aucun arbitre écossais n’avait dirigé un match à élimination directe depuis 30 ans. Donc pour moi, c’est doublement spécial : parce qu’une Écossaise revient au sommet, et que c’est une femme en plus."

Faire face aux critiques sur les réseaux et aux crachats sur les terrains

Sur le terrain, Davidson a su se créer sa place, sans forcer malgré des premières années difficiles pendant lesquelles les critiques fusaient sur les réseaux sociaux. Elle a même dû faire face à des crachats et une hostilité extrême en tribunes. Des expériences qui ont forgé sa manière d’appréhender les matchs et le dialogue avec les joueurs. "On m’a posé cette question : est-ce que j’ai une phrase type ou une méthode pour gérer un capitaine qui conteste ? Et en fait, il n’y a pas de règle unique", détaille-t-elle. "Chaque capitaine et chaque joueur est différent, et la manière dont je leur parle dépend du joueur, de son caractère et de son style. Il faut être capable de le sentir. Est-ce que c’est parce que je suis une femme que j’ai cette approche ? Peut-être. C’est une meilleure question pour mes collègues masculins. Mais je pense que c’est l’une de mes forces : réussir à communiquer avec les joueurs. Peut-être que c’est lié au fait d’être une femme, je ne sais pas. On verra vendredi si c’est pareil…"

Ses préparations physiques et mentales sont encore plus exigeantes que ses homologues masculins pour pouvoir suivre le rythme des rencontres. "Muscu, terrain, cardio, tous les jours", précise Hollie. "Et mentalement, pour moi, c’est surtout de bien verrouiller mes routines, de me préparer pour que ce vendredi soit comme n’importe quel autre match. Le jeu va très vite aujourd’hui, les joueurs sont de véritables athlètes, et c’est difficile de suivre le rythme. Quand la pression monte, je dois garder l’esprit clair et pouvoir prendre mes décisions sereinement. Je sais que ce sera différent, qu’il y aura beaucoup d’émotion, mais si je peux me faire confiance et m’appuyer sur ce que j’ai fait avant, normalement ça ira."

Dans le milieu du rugby où la masculinité reste très présente, Hollie Davidson n’oublie pas "l’autre partie de son job" comme elle l’appelle. "Je pense qu’au-delà de mon rôle d’arbitre sur le terrain, ma mission ne sera pas terminée tant qu’on n’aura pas plus de femmes impliquées dans le rugby à tous les niveaux : arbitrage, management, coaching… toutes ces fonctions en dehors du terrain. Je pense qu’il y a énormément d’opportunités dans notre sport, et qu’on verra de plus en plus de femmes les saisir dans les années qui viennent." Avant de se lancer dans la préparation de sa finale, Hollie Davidson tient à marteler ce message à des jeunes filles qui n’oseraient pas tenter leur chance. "Crois en toi ! Parfois ce sera dur, mais si tu es passionnée et que tu as une vision, que tu veux vraiment accomplir quelque chose, n’abandonne jamais !"

Nicolas Paolorsi