Rives - Saint-André : « Les Blacks n'aiment pas les Français ! »

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Philippe, Jean-Pierre, vous souvenez-vous de ce 14 juillet 1979 et du succès du XV de France en Nouvelle–Zélande ?
Philippe Saint-André : Oui. J’ai l’image de la dernière action où Jean-Pierre revient, en provenance de l’aile opposée, pour sauver un essai, taper en touche et nous faire gagner le match. Ça fait partie de l’histoire de notre sport.
Jean-Pierre Rives : Un match comme ça, ça s’appelle un miracle. On avait tout pour prendre une grosse déculottée. On arrivait en bout de course, on n’avait pas gagné grand-chose, on était fatigué. On voulait se dépêcher de rentrer, on voulait presque rentrer avant le match car c’était le meilleur moyen de ne pas perdre. Il a fallu jouer cette rencontre et avant de quitter le pays, on a volé le match. On a eu beaucoup de chance mais on y a laissé, aussi, beaucoup de notre peau.
Ce succès a-t-il servi d’inspiration aux Bleus, lorsqu’ils se sont retrouvés face aux Blacks, lors de la tournée d’été en 1994 ?
PSA : A l’époque (Saint-André était le capitaine du XV de France), on s’était dit qu’il fallait faire mieux que Jean-Pierre. Le premier test, on l’avait gagné facilement (22-8). Toute la semaine qui avait suivi, les Blacks s’étaient battus entre eux à l’entraînement. Je me souviens aussi que Fitzpatrick m’avait arraché les doigts au moment du protocole. J’avais alors dit à mes coéquipiers dans les vestiaires de se préparer car « ça allait être compliqué ». Et ça l’avait été (23-20). Puis il y a eu cette relance du bout du monde et l’essai de Jean-Luc Sadourny, avec du flair, comme à l’époque de Jean-Pierre.
JPR : Ce n’est pas le succès que je retiens. Mais l’attitude des gens. Ils n’étaient pas fâchés après la défaite. On avait presque envie de s’excuser d’avoir gagné. En tout cas, ce qui s’est passé à l’époque est rassurant. Les Blacks, c’est plus qu’un match. Gagner ici est une aventure du bout du monde et pour gagner là-bas, il faut aller au bout de nous-mêmes.
PSA : Les gens s’en souviennent encore. Ils disent que c’était mérité. Comme dit Jean-Pierre, le jour où vous êtes meilleurs qu’eux, le jour où vous les battez, ils l’acceptent.
Que doit faire le XV de France dimanche pour battre les All Blacks ?
JP.R : Il va falloir que les Bleus soient ambitieux, passionnés, solidaires et prêts à mourir pour le copain d’à-côté. On sait que les Blacks jouent beaucoup. Après, les Français n’ont aucune pression. Ils ne sont pas favoris, les Néo-Zélandais si. Ils sont invaincus dans cette Coupe du monde alors que les Bleus ont perdu deux matches et sont à 90 minutes d’un possible succès en Coupe du monde. Cette position d’outsiders nous va très bien. Il ne faudra pas jouer avec le frein à main et sortir frustrés du terrain. Qu’ils osent, qu’ils se fassent plaisir.
PSA : Comment il faut faire ? Les joueurs le savent. Au point où on en est, ce qui compte c’est de savoir pourquoi et pour qui on joue. Il faut vite trouver une réponse et la trouver ensemble. Les Blacks ont perdu Carter et seront plus agressifs. Il y a un coup à jouer. Les Blacks n’aiment les Français parce qu’ils leur font des coups et qu’ils sont imprévisibles. La solution peut aussi être de faire une prière pour ceux qui sont croyants, et d’apprendre rapidement pour ceux qui ne le sont pas ! Soyons français, soyons imprévisibles. Il faut tout oser, mettre de l’audace. On est au bout du monde, il faut aller au bout de soi-même. La France est peut-être, avec l’Afrique du Sud, la seule équipe à pouvoir les inquiéter.
En cas de succès dimanche, seriez prêts à accueillir Thierry Dusautoir dans la caste des capitaines français à avoir battu les Blacks chez eux?
JPR : Même s’il ne gagne pas, on l’accueillera à bras ouverts. Le rugby est un sport de transmission. On est là pour faire des passes aux jeunes générations. Ces garçons sont talentueux, très forts et jouent bien au rugby. Ils sont en train d’écrire leur histoire. Je pense qu’ils vont gagner, qu’ils peuvent gagner.
PSA : C’est lui qui va nous accueillir. S’il gagne en Nouvelle-Zélande et il va le faire, il serait le premier capitaine français à remporter la Coupe du monde. Il faut juste le lui souhaiter. Les Blacks ne savent pas à quoi s’attendre contre les Français alors il faudra les surprendre.
Comptez-vous parler aux Bleus ? Les conseiller ?
JPR : Ils savent qu’on est là, que toute la famille du rugby est là. Après c’est leur histoire.
PSA : Oui, c’est leur histoire. Et ça leur appartient.