Grand Stade de rugby : la révolution est en marche

Pierre Camou et Pierre-Yves Revol - -
En période de crise, l’édification d’une enceinte ultramoderne de 82 000 places aux portes Sud de Paris fait jaser. Le « Grand Stade » 100% rugby voulu par la FFR apparait comme une dépense somptuaire au moment où le sport français, football en tête, lutte contre la crise. La cathédrale du rugby sera-t-elle économiquement rentable et ne va-t-elle pas mettre en péril la viabilité du Stade de France, au nord de la capitale ? Le monde du rugby est sûr de son fait, déterminé à toucher les dividendes de sa popularité croissante.
A la FFR, on estime depuis quelque temps déjà que la convention qui lie la Fédération à l’enceinte dionysienne ne lui convient pas. Chaque match du XV de France, ainsi que la finale du Top 14, représenterait un manque à gagner de 4 à 5 M€, soit environ 30 M€ annuels. Le contrat signé en 1998, à une époque où le rugby professionnel balbutiait, prévoit une porte de sortie en 2013 pour la fédération. Une aubaine que les dirigeants actuels n’ont pas laissé passer. « Pourquoi serait-ce une folie ?, s’interroge le vice-président de la FFR chargé du dossier, Serge Blanco. Les 4 à 5 M€ (par match) seraient mieux dans notre poche pour faire vivre le rugby. C’est ça la vraie question. Aujourd’hui, il y a un Consortium qui gère le Stade de France. La fédération était tenue jusqu’en 2013. Nous ne trahissons personne en ne renouvelant pas ce contrat. »
Etre maître de ses revenus
Le rugby français, qui a doublé le nombre de ses licenciés en 15 ans (400 000 aujourd’hui), veut être maître de ses revenus, ce qui suppose un saut dans l’inconnu. Le Grand Stade aura donc un financement 100% privé. Sur les 600 M€ prévus pour la construction de l’enceinte, la Fédération avancera 200 M€, les banques et le montage financier assurant le reste. Elle compte attirer des financeurs en accordant, par exemple, un droit de préemption sur la billetterie, sur le modèle du « seat bencher » anglo-saxon ou des socios espagnols, extrêmement lucratif.
Fin 2012, la FFR désignera le site qui accueillera le nouveau temple de l’Ovalie, supposé être inauguré en 2017. L’hyper-urbain Thiais-Orly et son maillage de transports déjà existant, ou Evry et sa campagne où tout reste à faire ? Le premier joue la carte du prêt à consommer, le second celle d’un foncier attractif. La bataille fait rage pour accueillir ce « sports cluster », ensemble commercialo-sportif sur le modèle du futur Stade des Lumières de l’OL. Le « naming » est également prévu, à l’image de l’Aviva Stadium de Dublin. Aucune inconnue ne subsiste en revanche sur l’identité de l’éventuel grand perdant dans cette affaire : le Stade de France et la Plaine Saint-Denis. Incapable d’attirer un club résidant depuis près de 15 ans malgré ses obligations contractuelles, le Consortium voit le départ de la FFR comme un possible coup de grâce.
L’Etat cantonné au rôle de spectateur
« Il ne faut pas que le Grand Stade de rugby vampirise le Stade de France, avouait tout récemment le ministre des Sports David Douillet à RMC Sport. On a déjà un stade d’envergure nationale qui est implanté dans une zone très particulière, on a un plan de rattrapage en Seine-Saint-Denis. Il ne s’agirait pas d’avoir un éléphant blanc au sud de Paris. » En l’occurrence, c’est plutôt le SDF qui semble promis au cimetière des pachydermes. « Si un Grand Stade de rugby voit le jour, il faudra repenser l’ensemble des équipements sportifs d’Ile-de-France, y compris le Stade de France », nous a déclaré Valérie Fourneyron, tête pensante des affaires sportives de la campagne de François Hollande. Avant de conclure : « La FFR est autonome dans ses choix. On appelle simplement à la vigilance pour ne pas mettre en péril l’avenir du rugby, c’est à dire les licenciés. » Pierre Camou, le président de la FFR, ne dit pas autre chose.