Lapasset : « Mandela, un sourire permanent et une force de conviction »

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Bernard, pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec Nelson Mandela ?
Je l’ai vu chez lui. Il nous a reçus dans sa résidence officielle au Cap. On a eu l’occasion de parler pour la première fois de la Coupe du monde. J’ai senti tout de suite sa détermination. Il avait l’occasion, un an après sa prise de fonctions, de parler de son programme contre l’Apartheid à l’ensemble de la planète devant tous les médias. Son premier message était : ‘‘Je veux faire de cette Coupe du monde un évènement pour une nation arc-en-ciel, réunifier le peuple autour du rugby. Faire en sorte que demain l’Apartheid, qui était le symbole du rugby sud-africain, disparaisse à jamais.’’
Mandela avait fait de cette Coupe du monde un moyen de réunification de son pays...
Ça a été un moyen de communiquer. Je me rappelle du conflit qu’il avait eu avec le conseil de l’ANC, son parti. L’ANC ne voulait plus de l’emblème des Springboks, celui de l’Apartheid, et ils demandaient son retrait sur les maillots de l’Afrique du Sud. Il a refusé en disant : ‘‘Il faut faire avec l’Afrique du Sud dans toutes ses composantes, on a besoin de marquer l’appartenance de tous derrière cette Coupe du monde’’. Lui-même a porté le maillot vert et la casquette avec l’emblème des Springboks. Cette décision de porter le témoignage de réunification de la population derrière cet événement était un moment extraordinaire.
Sa remise de la Coupe du monde à François Pienaar reste dans les mémoires. Vous étiez à côté d'eux, qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ?
J’étais président de l’IRB et le protocole voulait que je remette le trophée au capitaine vainqueur de la compétition. Mais je ne pouvais pas le remettre à François Pienaar. Rien n’avait été dit mais quand je me suis retrouvé sur le podium avec ce trophée entre les mains, la décision m’est venue tout de suite. Il fallait donner la Coupe du monde à Nelson Mandela et lui-même devait la remettre à son capitaine. Ce n’était pas possible autrement. C’était vraiment un signe très, très fort et j’ai encore beaucoup d’émotion quand j’en parle. C’était un moment qui marquait l’histoire, qui marquait la réunification entre le premier président noir sud-africain et son capitaine blanc qui avait contribué au succès de cette équipe et à la victoire du rugby mais surtout de la stratégie de Nelson Mandela pendant cette Coupe du monde.
Les témoignages évoquent son charisme, son regard perçant... Quel souvenir physique gardez-vous de lui ?
L’image d’un sourire permanent. Il avait une espèce de décontraction naturelle dans son comportement, dans sa façon de parler aux autres, mais aussi une grande force de conviction. Je me souviens d’un épisode le jour du match d’ouverture de la Coupe du monde 1995. Nelson Mandela s’est retrouvé à l’extérieur du stade, au Cap, et il s’est trouvé confronté avec la population noire qui n’avait pas eu de billets pour rentrer. Tout le monde s’est précipité, a crié son nom et lui a demandé s’il pouvait avoir des tickets. Le service de sécurité est intervenu avec violence pour calmer l’ardeur des noirs et il a calmé tout le monde, il a marqué de sa présence ce moment en disant à chacun de se calmer car ils étaient tous là pour participer ensemble à la Coupe du monde. C’était très, très fort.
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