Saint-André : « Mon Angleterre à moi » (II et fin)

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Philippe, l’Angleterre était jusqu’à présent un modèle. Comment se fait-il que depuis plusieurs mois, on parle plus d’affaires que de sport ?
Je ne sais pas. On peut s’apercevoir qu’effectivement depuis 10 mois, il y a de gros problèmes politiques au niveau de la RFU. Il y a aussi eu des débordements en dehors du terrain qui ont été préjudiciables. En plus, ils concernent des joueurs qui sont devenus importants depuis leur titre de champion du monde (en 2003). Mais après, il ne faut pas croire que l’équipe d’Angleterre a fait une mauvaise Coupe du monde (2011). Ils n’ont perdu qu’un match contre des Français (19-12) qui étaient au bord du précipice après une défaite contre le Tonga. Le rugby anglais est encore riche par ses individualités, par son championnat. Ils ont fait une réforme depuis 3-4 ans en voulant imposer beaucoup plus de jeunes Anglais dans leurs équipes professionnelles et on peut s’apercevoir qu’il y a une nouvelle génération de joueurs qui arrive et qui sont très bons.
La prochaine Coupe du monde (2015) se déroulera en Angleterre. C’est une source de motivation supplémentaire pour les joueurs, n’est-ce pas ?
Ce match, dimanche, va être très difficile, très âpre parce qu’on a des joueurs qui se préparent énormément dans la condition, la préparation physique, et qui ont mis un système avec des moments de récupération pour pouvoir être frais au niveau des compétitions internationales. Et je sais que dimanche, contre les Anglais, ça va être du lourd, ça va être dur pendant 80 minutes.
Vous insistez beaucoup sur le fait qu’il ne faut pas se couper de ses racines. Ne pensez-vous pas que les Anglais sont justement en train de s’éloigner des leurs ?
Je ne pense pas. Avec ce qu’il s’est passé en Coupe du monde, on a pu voir que le nouvel entraîneur a remis en place des structures très saines. Certains joueurs qui se sont laissé aller en dehors du terrain ont été complètement éliminés pour le Tournoi des 6 Nations. Le rugby est en mutation, une nouvelle génération de joueurs arrive. Ils deviennent professionnels très tôt en Angleterre, encore plus tôt qu’en France car à 16-17 ans, ils intègrent les centres de formation et après, ils ne pensent qu’à jouer. Ils ont beaucoup de temps en dehors du rugby et c’est à eux d’essayer de mieux le gérer, sans compter que le rugby est un sport de plus en plus médiatisé.
« Maintenant, tu sors boire un verre, c’est sur Internet dans les 30 secondes »
Comment se traduit cette médiatisation en Angleterre ?
Avant, un joueur faisait une bêtise, ça faisait une ligne dans le journal du coin. Maintenant, c’est sur Internet et ça fait un scandale public très rapidement.
Les Bleus sont-ils à l’abri de tels dérapages ?
Il faut faire attention aussi en France. Notre sport est devenu très médiatique, on peut le voir au niveau de l’audimat car on est en train de faire des scores impressionnants et automatiquement, l’œil du cyclone est plus centré sur nous. Le mode de communication est différent. A l’époque, quand on était joueur, on allait rue Princesse (à Paris) boire des bières, il n’y avait pas de téléphone portable alors que maintenant, quand tu sors boire un verre, c’est sur Internet en l’espace de 30 secondes. Le monde a changé, la communication a changé et maintenant, le sportif doit faire attention à tout. C’est pour ça aussi qu’il est plus méfiant. On dit qu’il se coupe de l’extérieur mais même s’il ne fait pas d’erreurs, il peut payer cash son investissement avec le monde.
De toute évidence, le match de dimanche aura une saveur particulière pour vous…
C’est marrant, je viens de recevoir un message de Will Carling (capitaine anglais des années 90, ndlr). On est devenus bien amis alors que c’est vrai que ce crunch avait une saveur particulière lorsque j’étais joueur. Brian Moore, le talonneur, disait qu’on n’avait aucune discipline, qu’on était des animaux. Il y avait toujours beaucoup de folklore, beaucoup de bluff dans la semaine du match et la préparation médiatique. Maintenant, c’est plus de la stratégie sur le terrain. Mais bon, un France-Angleterre reste un match particulier et moi, en tant qu’entraîneur, j’ai plus envie que tout le monde de gagner ce match. D’autant que cela nous ouvrirait une finale à Cardiff…