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Boudjellal : "Charb est mort de son courage"

Mourad Boudjellal, le président de Toulon

Mourad Boudjellal, le président de Toulon - AFP

Mourad Boudjellal a été le premier éditeur de Charb et de Tignous. L’ancien fondateur et PDG de la maison d’éditions Soleil Productions revient sur le décès tragique des deux dessinateurs de Charlie Hebdo. Et face à un tel acte de barbarie, appelle à l’unité nationale.

Mourad Boudjellal, vous étiez le premier éditeur de Charb et de Tignous…

A une époque, j’avais fait un bouquin qui s’appelait « Charlie Hebdo saute sur Toulon » avec toute l’équipe de Charlie Hebdo. Charb était un jeune dessinateur à l’époque. C’était pour moi le successeur de Jean-Marc Reiser. J’étais fier d’avoir fait son premier album. Il était pétri de talent puisqu’il faut parler de lui au passé. C’est terrible ce qui s’est passé.

Comment avez-vous appris leur mort ?

J’étais au bureau. Egoïstement, la première chose que j’ai fait, c’est que j’ai appelé mon frère parce que je sais qu’il traine un peu par là-bas parfois. Et égoïstement, j’étais content quand il a répondu au téléphone. On m’a dit très vite que Charb était grièvement blessé. Et puis après tu attends la nouvelle, parce qu’il y a plein de gens que tu connais. Je connais très bien Cabu, très bien Wolinski. Tu te demandes qui est mort… et puis à la radio, à la télé, tu entends que Charb est mort, que Cabu est mort. Quand vous apprenez la mort en direct de Charb et de Cabu, on se prend un shoot dans la gueule. Cabu et Wolinski qui étaient des papas, même Wolinski avec sa tête d’éternel ado et Cabu et sa tête à la « Duduche », qui étaient des personnes âgées… les imaginer le corps criblé de balles, c’est impensable. En 2015, en France, on a des mecs comme Cabu et Wolinski qui meurent criblés de balles !...

Vous étiez très proche de Charb, qui se savait menacé mais qui affirmait vouloir vivre debout...

Je l’ai croisé il y a un mois. On a discuté un long moment. Il avait un garde du corps. Il m’a d’abord parlé pas mal des problèmes du journal. Comme toute la presse papier, Charlie Hebdo avait des soucis. Il m’avait aussi dit que depuis la publication des caricatures de Mahomet, sa vie était pourrie. Que sa vie était un enfer. Mais c’est un mec qui ne se serait pas défilé. Personne n’aurait pu lui faire courber la tête. Personne n’aurait pu lui imposer quelque chose. Personne n’aurait pu lui dire ce qu’il avait à dire. Il est mort de son courage. Les crapules qui l’ont tué, ce sont des fous de Dieu.

On assiste à une formidable mobilisation depuis hier. Mais finalement, on banalise un peu les choses. Nous avions un dessinateur qui, depuis des années, avait une fatwa sur sa tête et se déplace avec un garde du corps. On l’a accepté peut-être un peu trop facilement.
Personne ne trouve ça normal. Mais avec le temps, c’était passé dans l’oubli. On s’en souvenait lorsqu’on les croisait. Mais ils avaient une « fatwa » sur la tête et elle a été accomplie par quelques barbares, quelques paumés, quelques ratés.

Que faut-il faire, selon vous, face à autant de barbarie ?

Mes parents sont venus dans les années 50 pour trouver du travail en France. Je suis né en France. Je suis un enfant issu de l’immigration de la première génération, sûrement comme les deux barbares qui ont assassiné hier. Ma façon à moi de me battre, ça a été d’apporter ma pierre à l’édifice de la grande maison France. C’est une guerre économique. L’idée c’est de dire qu’on veut s’intégrer dans ce pays et que les enfants de l’immigration apportent un plus à la France. C’est cette guerre-là qu’on doit mener. Cette barbarie nous fait beaucoup de mal et fait du mal aux différentes communautés. Ma plus grande en a pris plein la gueule le 11 septembre. Les gamins sont durs à l’école et ont une analyse basique des choses. Ma gamine de 11 ans s’est levée à 4h30 ce matin pour regarder les infos parce qu’elle savait qu’à l’école elle allait en prendre plein la gueule. Parce qu’elle s’appelle Boudjellal et parce qu’il y a l’assimilation qui se fait. La plus belle chose qu’on a à faire pour ces mecs-là, ce ne sont pas les minutes de silence. Mais qu’ils ratent leur coup, qu’ils rapprochent les différentes communautés, qu’ils se sentent totalement isolés et qu’ils se sentent comme deux m…. au milieu de tous ces gens qui se sont retrouvés et rassemblés grâce et à cause d’eux. On n’a pas le droit de venir assassiner. La liberté d’expression, c’est l’ADN de notre patrie. On n’a pas le droit de toucher à ça.