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Boudjellal : « La formation française est nulle ! »

Mourad Boudjellal

Mourad Boudjellal - -

Le RCT a annoncé ce mardi l’arrivée à l’automne du deuxième-ligne Ali Williams (32 ans), champion du monde avec les All Blacks en 2011. Le président toulonnais Mourad Boudjellal justifie le recrutement d’une nouvelle star étrangère par l’état de la formation en France, qu’il juge catastrophique.

Mourad Boudjellal, le RCT a réussi un gros coup en recrutant Ali Williams, un deuxième-ligne de niveau mondial…

Oui mais quand on voit le niveau du Top14 pour l’année qui arrive et les suivantes, il faut s’armer. Le championnat est véritablement en train de grandir et de devenir d’exceptionnel sur la planète rugby. Et nous, on a envie d’exister. Alors on va encore nous reprocher de ne pas faire jouer des jeunes Français, mais on a longtemps hésité parce que nous avons vu les nombreux jeunes sortis de notre formation exceptionnelle. Et finalement, on a sorti un vieux mercenaire, Ali Williams. On verra bien.

Que va-t-il apporté à Toulon ?

Il va beaucoup nous servir en touche et il est très rude. Et ça, ça ne va pas déplaire à Mayol. Ça fait partie de l’ADN du Rugby Club Toulonnais. J’espère que les grands anciens vont se retrouver en Ali Williams, comme ils se sont retrouvés en Bakkies Botha.

Ali Williams n’a jamais joué en dehors de la Nouvelle-Zélande. Est-ce que cela pourrait être une difficulté ?

Il a signé un an, peut-être deux parce qu’aujourd’hui il y a un autre championnat très attractif : le championnat japonais. Et si demain on met en place tout ce qui est prévu dans le Top 14, ce championnat va nous phagocyter complètement. Tous les joueurs qui viennent de l’hémisphère sud ont le Japon en tête. Pour l’instant, Ali Williams est dans la compétence sportive. Le rugby est un langage universel, et la classe n’a pas de langue ni de pays. Donc Ali Williams est un joueur qui a beaucoup de classe et je pense qu’il ne mettra pas longtemps à s’adapter au rugby français.

Il va rater quelques matches au début, le temps de terminer le Super 15 avec les Auckland Blues…

Oui mais la saison est longue. En Top 14, il faut être dans les six premiers pour se qualifier pour la phase finale. Donc on fera avec. De toute façon on n’avait pas le choix : Nick Kennedy voulait partir, et vous ne pouvez pas demander à un garçon qui a la tête ailleurs de défendre un maillot, ce n’est pas possible. Donc on s’est adapté comme ça.

« On est dans une aberration économique totale »

Votre homologue biarrot Serge Blanco a appelé à un peu plus de retenu dans les investissements en Top14. Est-ce un peu un pied de nez ?

Si c’est un club totalement respectable, ce n’est pas parce que Biarritz est en difficulté que le rugby français est en difficulté. Il ne faut pas confondre. Aujourd’hui, le rugby français a la chance d’avoir des actionnaires qui sont très solides économiquement, peut-être même plus qu’en football. Et le problème de Biarritz est uniquement : comment exister dans le rugby de demain ? Ça, je peux le comprendre. Mais la seule façon pour Biarritz d’exister dans le rugby de demain, c’est que le niveau économique du rugby baisse. Mais si le haut niveau économique et l’attractivité du Top14 baissent, fatalement, tout va régresser. Et Biarritz sera le premier à en souffrir. Aujourd’hui, est ce qu’on peut empêcher les grandes villes d’arriver dans le Top 14 ? Est-ce que c’est bon ou pas que des Strasbourg, Nantes, Marseille ou Nice arrivent dans le rugby ? Ou est-ce qu’on doit seulement voir son petit club et se demander ce qui est bon pour lui ?

Cela va-t-il tirer le championnat vers le haut, comme on le voit dans le football avec le PSG ou Monaco ?

Demandez aux petits clubs de Ligue 1 s’ils ne sont pas contents qu’il y ait le PSG et Monaco en Ligue 1. Parce que le PSG avec les Qataris, on peut en dire ce que l’on veut, mais ils ont réveillé le foot. Plus personne ne regardait la Ligue 1. Et depuis le retour du PSG, il y a un engouement très fort. Ils remplissent les stades à l’extérieur, ce que ne font pas tous les clubs. Ils créent de l’économie. Combien de personnes sont allés au stade pour aller voir Toulon avec ses stars, et ce jour-là, ont découvert leur équipe ? Et se sont ensuite abonnés ou juste revenus pour voir leur équipe ? Combien de partenaires ont investi dans le club de rugby de leur ville après avoir été séduits par un match de Toulon ou d’une autre grande équipe ? Tout cela, ça fait partie l’économie du rugby que nous générons. On est dans une aberration économique totale. Blanco avait raison : on va tous crever. Avec toutes ces décisions, on va dans le mur. On va vers un championnat des doublons. On va créer un groupe élite avec 28 à 30 matches pour les internationaux. On retire les onze de l’équipe de France, les six de la H Cup, ça veut dire que les internationaux vont jouer un match sur deux de Top14, dans le meilleur des cas. On n’a pas le droit de jouer, on a juste le droit de payer les joueurs.

Est-ce compliqué de prendre des joueurs français ?

Le problème des joueurs français ne vient pas du fait qu’il y ait des étrangers dans le championnat de France. C’est parce que la formation française est nulle ! Elle est catastrophique, à l’image de tout ce qui se fait dans le rugby. Depuis des années, ça a été la prime à la connaissance au lieu d’être la prime à la compétence. A Toulon aussi, c’était comme ça. On était formateur parce qu’on était ancien joueur, parce qu’on était copain avec un élu. On n’était pas formateur parce qu’on était compétent. Et tout ce système a vérolé le rugby français depuis des années. Moi je suis en train de le remettre en place à Toulon pour avoir des jeunes de compétence et pour avoir de bons formateurs. Mais tout le rugby français ne fonctionne que sur la connivence. On ne peut pas créer une économie ou une performance sportive là-dessus. Qu’ils se posent d’abord les bonnes questions : pourquoi il n’y a pas beaucoup de jeunes joueurs français ? Est-ce qu’ils pensent qu’il y en a plein, et que nous, égoïstement, on préfère faire jouer les étrangers ? Pas du tout, on ne demanderait pas mieux. Mais la formation française aujourd’hui est nulle. Alors avant d’attaquer le Top 14, il faut d’abord se poser cette question-là.

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Propos recueillis par Antoine Arlot