Top 14: Rory Kockott fait le bilan, avant de raccrocher les crampons

Qu’est-ce qui a dicté le choix de stopper votre carrière à l’issue de la saison?
Le rugby n’est qu’une partie de la vie. Il y a aussi d’autres choses. J’ai vu tellement de joueurs qui ont eu du mal à passer à autre chose après leur carrière. Le plus important, c’est d’avoir au moins une vision. Savoir dans quelle direction tu veux aller. Même si la question d’arrêter est toujours difficile.
Vous n’êtes pas triste?
Non ! C’est excitant même. Magnifique. On passe tous des années à jouer au rugby. Moi j’ai eu énormément de chance de commencer très jeune, dans une équipe énorme, lors de mes premières années aux Sharks. De jouer une finale de Super 15, d’avoir la chance de jouer avec des joueurs qui ont marqué le rugby mondial (Mtawarira, B. Du Plessis, Smit, Venter, Skinstad, Piennar, Pietersen, Barritt, Steyn, Montgomery, ndlr), des entraîneurs qui marquent toujours le rugby mondial. Ce sont des choses qu’on ne doit pas oublier.
Pensiez-vous rester si longtemps à Castres en arrivant?
Je savais que je resterai en France. Mais rester à Castres, gagner deux titres, passer toutes ces années, connaître des personnes, des amis, le public, ça va au-delà du rugby. C’est ma vie. Je suis arrivé à l’âge de 25 ans, et pendant dix ans, beaucoup de choses se sont passées. J’étais un homme immature, avec beaucoup de choses à apprendre dans la vie et dans le sport. Il y a eu beaucoup d’évolution, notamment dans ma vie personnelle. Ça te change le moule. Je n’aurai pas été le même en restant en Afrique du Sud. J’ai eu la chance de venir. Et la chance de rester.
Vous avez porté le maillot de l’équipe de France (11 sélections entre 2014 et 2015), mais jamais celui des Springboks. Est-ce un regret?
C’est un honneur pour moi d’avoir joué avec l’équipe de France. Car il y a beaucoup de joueurs avant et après moi qui n’ont pas eu et n’auront jamais cette chance. Cette période 2014 et 2015 n’était pas une période facile pour l’équipe de France. L’environnement n’était pas tout à fait sain et ce serait mentir de dire que ce n’était pas difficile. La chance s’est présentée et je l’ai pris. Avoir des regrets dans la vie, ça ne te fais pas avancer. Ça restera une grande opportunité et je garderai un bon souvenir du quart de finale contre les All Blacks. Malgré la performance (défaite 62-13, ndlr), j’étais fier de la façon dont je me suis comporté pendant cette période difficile.
Et en Top 14, quels sont les moments qui restent dans votre mémoire?
Ah c’est difficile, il y en a pleins! Perpignan en 2012 (victoire 38-36, il inscrit 25 points dont la dernière pénalité de la gagne à une minute de la fin) ou Mont-de-Marsan la même année. Le barrage contre Montpellier (25-12), les matchs de phases finales ensuite contre Clermont. Le match pour le maintien contre Lyon en 2014. Car il faut se rappeler des moments durs, parce que ce sont ces moments qui te font progresser le plus. Le match face à Toulon la même année, après le fait que je devais aller là-bas et que je suis resté. Un contexte particulier mais ça aussi c’est des moments pas faciles dans les lesquelles il ne faut pas être faible. C’est bien d’avoir des situations comme ça dans la vie, où tout ne va pas comme tu veux. Ça créé du caractère, une flamme, un appétit, de la volonté. Et bien sûr il y a eu le titre de 2018.
Des adversaires aussi?
Ouffff… oui bien sûr ! Il y en a pleins. Des adversaires… Morgan Parra. Face à lui, des moments durs, des bons résultats pour eux, des bons résultats pour nous. Des duels contre Jonny Wilkinson en 2013, c’était bien. Même s’il a joué dix, c’était pareil. Contre quelques avants aussi. Je me souviens toujours des visages, mais moins des noms. Parce que j’avais toujours la volonté de bien les regarder dans les yeux. Et peut-être qu’eux ont plus de mauvais souvenirs avec moi. Mais c’est ça le sport, c’est ça le jeu. Quand on passe la ligne blanche, c’est cette partie qui est intéressante.
Pourquoi voulez-vous toujours rentrer dans la tête de vos adversaires?
Non, pas forcément. Mais il y a des candidats qui sont susceptibles d’être pris dans la bataille mentale. C’est comme ça. C’est l’humain. Des forces et des faiblesses, on en a tous.
Est-ce quelque chose qui vous motive? Car avouez que vous avez un style particulier pour un demi de mêlée…
Oh je crois qu’il y en a d’autres. Peut-être que ce n’est pas mis en lumière de la même façon. Mais oui, je ne peux pas dire le contraire. Mais tu dois comprendre où c’est une force et où c’est une faiblesse. C’est l’équilibre qui compte. Tu ne fais jamais ça de façon méchante. Mais de façon tactique oui. C’est un jeu. Il y a pleins de jeux. Il y a des jeux de carte à la maison. Nous le jeu, il est sur le terrain.
Votre coéquipier Julien Dumora disait que vous n’entendiez pas les publics qui vous accueille chaudement…
Soit tu agis, soit tu réagis. Je préfère agir. Il faut maîtriser ce que tu fais. Et maîtriser son âme. Si tu ne le fais pas c’est difficile de rentrer dans ce jeu. Tu peux vite perdre ce que tu es capable de faire.
Allez-vous manquer au Top 14?
(il soupire) Ce n’est pas à moi de le dire et c’est quelque chose auquel je ne veux surtout pas penser. Mais c’est une compétition unique et particulière. Des choses que je n’oublierai pas dans ma carrière. D’avoir été joueur dans cette compétition, d’avoir eu l’opportunité de la gagner, de jouer contre ces équipes, ça c’est important. Les histoires individuelles, moins.
Pensez-vous avoir le respect de vos adversaires?
Le respect de l’adversaire, tu l’auras je pense. Mais au fond d’eux, le pensent-ils? Peut-être qu’ils te le diront : "oui, je te respecte". Est-ce vraiment le cas? Ce n’est pas mon souci. Le plus important, c’est d’avoir du respect pour soi-même, pour nos copains et nos relations personnelles. Pour l’adversaire aussi, après le match, être capable, même bien battu, de vivre la défaite et remercier l’adversaire. Je le ferai toujours. Mais sur certains matchs, que tu gagnes ou que tu perdes, penser de ne pas saluer l’adversaire parce qu’il t’a fait ch… ce jour-là, ça c’est un manque de respect. Là tu ne respectes ni l’homme, ni le sport.
D’où vient cette soif, cette volonté de bataille mentale?
J’étais le dernier d’une fratrie de quatre enfants. Des frères et des sœurs bien plus âgés. Des duels contre eux ont créé cette volonté de dominer, de s’accrocher. Ce sont ces relations familiales qui ont créé cet ADN, cet instinct de se battre et combattre dans le sport. Et aussi le fait que j’étais toujours un des plus petits jusqu’à 14, 15 ans. Mais cette mentalité et ce handicap, ça créé encore du caractère. C’est grâce à des choses comme ça que tu as des fondations de la volonté de progresser tout le temps. Tu n’es jamais le plus fort, le plus rapide. Mais de rêver d’être comme ça, c’est le plus important.
Vous savez ce qu’il y a le 25 juin prochain?
C’est mon anniversaire.
C’est la finale du Top 14…
(il rigole) ce serait une grande opportunité pour l’équipe de Castres. Pas que pour moi mais pour toute l’équipe : les jeunes, les joueurs d’expérience, l’encadrement. Mais je ne crois pas dans ces rêves de fin toutes belles. On voit ça dans les films, pas dans la réalité.
Ce serait une belle sortie!
Oui, une belle sortie, pour les caméras, pour les journaux… plus sérieusement, ce serait une chance et une occasion privilégiée d’être là. Mais il y a beaucoup de choses que l’on doit faire avant ça.
Et ensuite? Allez-vous rester dans le rugby?
Oui, je crois. De quelle façon ? Où ? On verra. C’est l’avenir qui le dira.