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XV de France: "Toucher des ballons si tu te fais défoncer en mêlée, ça ne sert à rien" explique Cyril Baille

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A 29 ans, Cyril Baille semble avoir atteint une forme de plénitude. Il est même devenu indispensable chez les Bleus. Son évolution, son travail, son soucis d’humilité, sa relation particulière avec les trois quarts et ses ambitions... Avant le choc Ecosse-France samedi dans le Tournoi des VI Nations, rencontre avec un homme simple, qui veut toujours se remettre en question.

Cyril Baille, votre premier match chez les professionnels remonte déjà au 27 octobre 2012, lors d’un déplacement au Stade Français (défaite 28 à 24). Vous vous en souvenez ?

Bien sûr ! C’était mythique. Déjà, en début de saison, je ne m’attendais pas à jouer avec l’équipe première. Il y avait eu pas mal de blessés à ce moment-là et Guy (Novès) était venu me prévenir en milieu de semaine. William (Servat) avait aussi joué un rôle. C’était au moment où il était entraîneur-joueur. Il avait débuté la saison en tant qu’entraîneur et après une pénurie de talonneurs, il avait dû rechausser les crampons. Et du coup, quand je rentre, avant la première mêlée, il m’avait mis un bon coup de tête pour me motiver, ça m’avait presque mis KO sur le coup (sourire) ! J’ai failli ne pas pouvoir jouer la mêlée ! Mais c’était parce qu’il avait envie que je fasse ça bien. William nous a toujours apporté ça, cette force de caractère.

C’est un moment fort ?

Oui, des souvenirs énormes. Également d’avoir joué avec les Jauzion, Bouilhou, Poitrenaud, Clerc, toutes mes idoles de jeunesse. Même si ça a été dur, car on avait joué une mêlée à 5 mètres à 7 contre 8 où j’avais ramassé ! Mais c’est mon premier match, un rêve de gosse.

Quelle est la différence entre le Cyril Baille de cette époque et le celui d’aujourd’hui ?

Au fil des années, tu gagnes en expérience. Mon évolution physique évidemment, car à mes débuts j’avais 19 ans. Continuer à apprendre ce métier de pilier, qui n’est pas facile. Notamment avec les mêlées. Ça a été une évolution et ça continue de l’être. On continue de progresser, tout le temps. J’ai peut-être un peu plus de maturité.

On a plus d’assurance avec le temps ?

D’assurance, non. De l’expérience plutôt. L’assurance, si t’en as trop, c’est pas bon non plus. Tu ne refais pas certaines erreurs faites dans le passé. C’est une évolution, ça te permet de grandir. Quand tu commences, les plus anciens t’aident à progresser et maintenant, on arrive proche des trente ans, alors il faut aider les plus jeunes.

Il a fallu être patient ? Voyez-vous les étapes franchies ?

C’est difficile, car quand on est dedans, on voit les choses passer, mais elles passent très vite au final. Quand vous me dites que c’est ma neuvième année chez les pros, je ne pensais pas que ça faisait aussi longtemps ! Alors de temps en temps, il faut savoir se poser. Se dire : « j’ai fais ça, c’est bien, ça peut-être un peu moins. » Et profiter un peu car les saisons passent très vite. D’ailleurs, là, j’arrive bientôt à 30 ans mais j’ai toujours l’impression d’en avoir 19 ou 20. Ça passe vite.

Comment un pilier travaille ?

Déjà, tu bosses tes cervicales. C’est presque le plus important. Beaucoup de travail de technique sur les bras, avec les élastiques. Car quand tu es en mêlée, on ne se rend pas compte, il faut en avoir poussé pour cela, mais tout travaille. Donc il fait travailler son gainage. Après, essayer d’être bien avec ses coéquipiers, car une mêlée tu ne la pousses pas tout seul, tu la pousses à huit. Et quand tu as un collectif qui travaille ensemble, qui pousse ensemble, tu le sens vraiment.

"Meilleur pilier gauche du monde ? Je l’entends, mais je le mets de côté"

A chacune de vos prises de parole, les mots "humilité" ou "remise en question" reviennent tout le temps. Le pilier n’aime pas les louanges ?

J’ai été éduqué comme ça. Que ce soit dans ma famille ou au Stade Toulousain où je suis arrivé avec les Florian Fritz ou Yoann Maestri, qui nous ont appris à ne pas se prendre pour d’autres. Et à travailler. Je sais que ça m’a beaucoup aidé. Pour ne pas s’enflammer après un bon match. Car le jour où tu fais ça, tu te brûles les ailes. Et ça correspond à mon caractère. Je ne me prends pas la tête et je continue à bosser.

C’est donc difficile d’entendre que vous pourriez être le meilleur pilier gauche du monde…

pfff… (il soupire) franchement… on m’a souvent posé la question. Quand Fabien (Galthié) a dit ça, ça m’a fait énormément plaisir. Mais c’est aussi une pression parce que tu es vu différemment. Moi, j’essaye juste de donner le maximum pour l’équipe. Et après, ce qu’on dit sur moi, si c’est bien, tant mieux, mais je n’y prête pas trop attention. Car le piège est là, de se croire arrivé. Tu l’es que si tu continues à travailler, dans une perpétuelle remise en question. Surtout sur des matchs de haut niveau, comme ceux de l’équipe de France. Chaque performance est vite effacée et c’est la suivante la plus importante. Moi je me considère juste comme un joueur de l’équipe. J’essaye de donner le maximum.

Est-ce gênant d’entendre ça ?

Non, ce n’est pas gênant. Ça fait plaisir. Mais c’est juste que je l’entends, je le mets de côté (il fait un signe de repousser avec la main) et quand tu as travaillé ça te motive pour continuer. Mais je ne me lève pas tous les matins en me disant, "on a dit ça sur moi". Je reste comme je suis et je continue de bosser pour l’équipe.

Quels sont les joueurs qui font figure de référence pour vous actuellement ?

J’ai récemment vu le documentaire sur les champions du monde springboks ("Chasing the Sun") et tu te rends compte que Mtawarira est monstrueux. Même si maintenant, il a arrêté, je le trouvais monstrueux. Mako Vunipola chez les Anglais, très fort. Joe Moody chez les Blacks. Des références à leur poste. C’est bien de se confronter à eux et de progresser. La domination de la première ligne des Boks à la Coupe du monde est impressionnante.

On parle des relations particulières entre joueurs de première ligne, on arrive tout de même à communiquer quand on croise ces joueurs-là ?

Je prends justement des cours d’Anglais en ce moment (il rigole). La barrière de la langue est parfois compliquée. C’est surtout le respect que tu as envers eux sur le terrain, avec tes vis-à-vis. Face aux piliers droits, tu pousses tout un match contre eux et tu as ce sentiment réciproque de respect et d’humilité. Les mêlées sont tellement difficiles et ce poste tellement à part…

Il y a aussi une filiation vous concernant : celle avec l’ancien international Christian Califano.

Oui. Et avec "Cali", ce n’est pas parce c’est un pilier et qu’il a joué au Stade Toulousain. J’ai toujours aimé le joueur qu’il était, même si j’étais jeune et que c’est surtout mon père qui l’adorait, mais ça a toujours été naturel avec lui. Un jour, il est venu nous voir quand j’évoluais avec les Espoirs et on s’est de suite bien entendu. Faut dire qu’il n’est pas trop difficile comme garçon. Mais c’est surtout le côté humain que j’ai aimé chez lui, son côté paternel, même si j’ai mon papa, et ses conseils rugbystiques. Son vécu a pu m’aider. C’est quelqu’un à qui je tiens beaucoup et c’est surtout quelqu’un avec qui je ne parle pas que de rugby. On parle des choses de la vie.

Vous aimeriez laisser la même trace que lui en équipe de France ?

Ce sera difficile de faire pareil. Après, ça a été le meilleur pilier gauche français de sa génération, le meilleur certainement au monde, il a 72 sélections (Baille en compte 33, ndlr), il a joué en Nouvelle Zélande… ce sera difficile de l’égaler. Mais en tout cas c’est un exemple.

"Je prends plaisir à regarder les trois quarts"

Vous préférez la mêlée ou jouer au ballon ?

La mêlée ! La mêlée (avec un grand sourire) ! Après, bien sûr que j’aime jouer au ballon. Ça vient en plus. Mais si tu te fais "défoncer" en mêlée et que tu touches des ballons, ça ne sert à rien. Moi, j’adore la mêlée, mais il y a aussi toutes les phases de rucks qui sont importantes. Donc ça vient en premier sur un match pour poser les fondamentaux. Jouer ensuite c’est un bonus.

Est-ce l’orgueil du pilier qui fait qu’il préfère parler de mêlée que de deux contre un ?

Oui et non. C’est ma façon de voir les choses. Et c’est celle de voir de beaucoup de piliers. La mêlée est le premier argument. C’est ce qui fait la force d’un bon pilier, sa qualité première. Si t’es bon en mêlée, le reste, ça suit.

Malgré tout vous savez jouer les deux contre un…

J’essaye ! Il faut le travailler aussi, j’essaye de le faire à l’entraînement, même si je travaille plus la mêlée. Mais dès que j’ai l’occasion de le faire, j’essaye. Comme ça je ne me fais pas trop engueuler par les trois quarts aussi (sourire).

Reste qu’on vous voit beaucoup intervenir dans le jeu. D’où vient ce goût pour le jeu ?

Au Stade Toulousain déjà, du un au huit, on vous demande de toucher pas mal le ballon. Mais je n’y fais pas spécialement attention. J’essaye d’apporter à l’équipe et si j’y arrive, tant mieux. On voit de plus en plus de piliers toucher des ballons. C’est l’évolution du jeu qui veut ça. On essaye de donner à l’équipe de cette manière.

Est-ce des restes de l’époque où vous évoluiez trois quart centre ?

C’est loin, j’avais onze ans et demi ou douze ans (il rigole) ! En tous cas je prends plaisir à regarder les trois quarts. Je discute souvent avec Romain Ntamack, sur le placement qu’on peut avoir sur les « cellules » où on peut jouer avec lui sur le terrain. J’essaye de lui faciliter les choses. Je prends plaisir à les regarder. Que ce soit Toto (Dupont), Thomas Ramos, que je trouve incroyable techniquement, c’est toujours un plaisir de les voir évoluer. Quand ils tapent des coups de pieds, après on essaye de faire pareil, mais ce n’est pas le même résultat ! On a quand même l’envie d’essayer.

C’est vrai qu’on vous a vu parfois à l’entraînement jouer au pied avec les trois quarts…

Oui c’est cool, on se fait quelques petits challenges. En plus, ils ne sont pas les derniers pour "mettre des pièces" aux avants ! Donc on leur montre quand même qu’on n’est pas des billes (rires) !

Et est-ce que Dupont, Ramos ou Ntamack mordent à la feinte de passe de Cyril Baille ?

Il faudrait que je tente au prochain entraînement, je vous dirai ça. Mais bon, attention, ils sont bons en interception, donc ça va être compliqué quand même (sourire)…

"Être champion du monde, ça reste le rêve absolu"

Vous venez, après la Nouvelle Zélande, de battre l’Irlande. Que signifient ces résultats selon vous ?

Ils valident la construction de notre équipe, de notre groupe. Il y a en équipe de France un groupe incroyable à la cohésion très forte. Chez les Bleus, on a l’impression d’être comme en club. Et ça, c’est très fort.

Sentez-vous que vous validez votre travail depuis des mois ?

C’est une progression. C’est en gagnant des matchs que tu grandis. Il y a une grande attente sur ce Tournoi. Il faut donc faire de grands matchs. Être le plus précis possible.

Gagner un Tournoi des VI Nations, est-ce un passage obligatoire sur la route de la Coupe du monde 2023 en France ?

Avec l’esprit de compétition que l’on a, bien sûr qu’on a envie de gagner un titre. Bien sûr qu’on joue pour le gagner. Et quand tu gagnes, ça change des choses ! Les équipes te voient différemment.

Jouer une Coupe du Monde, en France, l’année de ses 30 ans, est-ce l’apogée d’une carrière ?

Déjà, il faut y être (sourire) ! Donc il faut continuer à faire le maximum, travailler. Et avant de se projeter sur la Coupe du monde, vivre ce Tournoi des VI Nations. Et essayer d’être le plus performant possible, car en équipe de France, ça va très vite. Si tu n’es pas performant, tu n’es plus là ! Après, tous les joueurs ont ça dans un coin de leur tête. Être champion du monde, ça reste le rêve absolu. Donc, je le répète, on le garde dans un coin de notre tête, mais il y a des échéances avant. C’est comme je le dis toujours, il ne faut pas se croire arrivé. Pensons d’abord au Tournoi, qui est très intense. Et après, on aura le temps de penser aux échéances qui arrivent.

Propos recueillis par Wilfried Templier