XV de France: Moefana de Wallis-et-Futuna à Twickenham

Il a découvert le rugby à 16.000 kilomètres de Marcoussis et de la France. Dans le petit village de Leava, 320 habitants, sur l’île de Futuna. Très vite, Yoram Moefana devient un mordu du ballon ovale, une évidence pour celui qui baigne dans une famille de rugbyman. Et c’est justement pour sa passion qu’il décide de quitter son archipel de Wallis-et-Futuna à 13 ans pour débarquer en métropole dans les valises de son oncle Tapu Falatea, pilier professionnel à Limoges en Fédérale 1 à l’époque. "J’étais rentré pour les fêtes, se souvient Falatea. Il voulait venir avec moi. Je ne pensais pas que c’était sérieux. Sur le coup, j’ai accepté mais je n’avais pas pensé à comment j’allais m’organiser sur place." Direction donc le Limousin en plein cœur du mois de janvier. Tapu Falatea doit gérer sa carrière de rugbyman et l’éducation de son neveu. "Je me suis adapté, poursuit le tonton. Je l’ai inscrit au collège à côté du stade. J’avais une carte VIP au MacDo que le club m’avait donné. Je l’emmenais à mes séances de kiné pour qu’il puisse manger tranquille là-bas."
Une éducation "à la dure"
Avec Tonton Falatea, Moefana a dû filer droit. "Niveau éducation j’ai été dur avec lui, il était trop pourri gâté, souffle le désormais pilier droit du SU Agen. Au fil du temps il est devenu comme mon fils. Il était influençable. Un jour lors d’une réunion parent-prof, son professeur principal m’a dit que Yoram suivait trop ses amis pour faire quelques bêtises. Je l’ai privé de rugby pendant une semaine. Il a pleuré toute la semaine. Pour lui, c’était la fin du monde." Dans les pas de son oncle, le potentiel de Moefana commence à exploser même si les portes du monde pro tardent à s’ouvrir. "Quand je jouais à Colomiers, il est allé faire des tests pour rentrer au pôle espoir de Toulouse. Quand je suis venu le récupérer, il était en train de pleurer sur le parking. Il m’a dit qu’il n’avait pas été à la hauteur. Je lui ai dit de continuer à travailler, qu’un jour il n’aurait plus besoin de test, que les recruteurs viendraient le chercher." La saison suivante, le pôle de Toulouse contacte Moefana pour lui ouvrir ses portes. Très vite ses qualités athlétiques et rugbystiques sont reconnues. Equipes de France jeunes, premières minutes en ProD2 à 18 ans avec Colomiers. Moefana est dans le viseur des gros clubs.
"Il pleurait parce que jamais il n’avait imaginé jouer un jour contre moi"
A l’été 2019, c’est l’UBB qui rafle la mise et le fait grandir une saison avec ses espoirs. "C’est un joueur qui est fort dans les petits espaces, analyse son manager Christophe Urios. Il est capable de défier mais de passer aussi à côté des 'gonzes', de jouer debout. Il est fort au plaquage, fort en l’air, il a beaucoup de qualité Yoram… Après il a une personnalité un peu introvertie mais il ne faut pas qu’il change, il va murir." En seulement 6 matchs de Top 14 (dont 2 titularisations) il a marqué 4 essais et s’est affirmé comme une des révélations de ce début de saison. Avec en point d’orgue ce match du 31 octobre lorsqu’il affronte son tonton Falatea, de 12 ans son aîné, lors de la venue d’Agen. Tous les deux démarrent la rencontre et se croisent dans le couloir de Chaban-Delmas. "Il avait les larmes aux yeux, se remémore le pilier droit que son neveu avait attendu pour entrer sur la pelouse. Moi je me retenais. Il pleurait parce qu’après tout ce que j’avais fait pour lui, jamais il n’avait imaginé jouer un jour contre moi. Quand on était dans l’avion il y a 7 ans, jamais je n’aurais pu envisager ça."
Sa convocation avec les Bleus a surpris mais son entrée en jeu et sa sérénité dégagées contre l’Italie ont séduit. Le staff du XV de France a même été impressionné par ses performances lors des entraînements à haute intensité. Ce dimanche c’est face à la paire de centre Owen Farrell et Henry Slade, 124 sélections à eux deux, que Moefana va pouvoir se mesurer. Son oncle en a profité pour lui passer un petit coup de téléphone juste avant le décollage pour Londres. Des mots rassurants pour lui enlever la pression et le mettre en confiance. Qu’il est loin le temps de l’éducation à la dure, qu’il est loin le petit village de Leava.