MMA: une législation qui traîne, une discipline qui divise encore

Samedi soir, le monde des sports de combat aura les yeux tournés vers Las Vegas. Le regard braqué sur deux combattants, le Russe Khabib Nurmagomedov et l’Irlandais Conor McGregor. Le premier est invaincu et remettra en jeu sa ceinture des légers. Le second est la superstar de son sport, de leur sport, l’UFC, qui aura droit à un nouvel épisode donc, avec l’UFC 229, événement évidemment en pay-per-view. L’UFC, la pierre angulaire surtout du MMA (arts martiaux mixtes), de par son statut de Ligue mondiale de la discipline. La cerise sur le gâteau d’un sport que la France tolère mais dont elle n’accepte pas la pratique en compétition, au grand dam de ces pratiquants.
Longtemps, à l’image de la Norvégienne Cecilia Braekhus et sa capacité à imposer la boxe dans son pays (elle était interdite de 1981 à 2014), les partisans français du MMA ont caressé le rêve de voir une des icônes mondiales des sports de combat, le judoka Teddy Riner, jouer les ambassadeurs. Quitter les tatamis pour l’Octogone et ainsi forcer les autorités publiques à en réguler la pratique. "Si Teddy Riner s’était mis au MMA, ce ne serait plus pareil, estime le président de la Commission Française de MMA (CFMMA), Bertrand Amoussou, qui cumule également les fonctions de directeur technique de la Fédération internationale de MMA (IMMAF) et de coach à la Martial Arts Academy de Genève. Est-ce que ça aurait été légalisé direct ? C’est clair. Beaucoup de gens se seraient demandés : ‘‘Ah bon, c’est un sport interdit ? Mais comment ça se fait alors qu’un de nos plus grands sportifs le pratique ?’’ Ce serait pareil si un footballeur français connu qui aurait fait un peu de sport de combat se mettait au MMA pour un combat. Ça susciterait trop de questions pour ne pas que les autorités agissent."
Un dossier bien impulsé par Laura Flessel...
Sauf que Teddy Riner n’a jamais manifesté l’envie de changer de crémerie. Et l’hypocrisie autour du MMA et de sa pratique a donc perduré. S’y atteler en club ? Pourquoi pas. Disputer un combat pro dans l’Hexagone, ou même l’organiser ? Non. Une situation partagée par le Liban et la Norvège). "Oui, ça paraît fou d’en être encore là en 2018, concède le combattant Taylor Lapilus, ancien de l’UFC et consultant pour RMC Sport présent à Las Vegas pour le combat Conor-Khabib. On a un pays où on est très intelligent mais on est pourtant très en retard là-dessus. Je suis assez chauvin, je suis pour le consommer français, et je trouve dommage qu’on ne soit pas aidé par notre pays. En tant que combattants professionnels, on n’a aucun statut. On est reconnu à l’étranger mais pas chez nous. On aime notre pays et on veut représenter notre drapeau mais c’est un amour à sens unique. On n’est même pas considéré. On ne sait pas vraiment qu’on existe et on se sent comme les mal-aimés !"
Et pourtant… En novembre 2016, le député Patrick Vignal et le sénateur Jacques Grosperrin remettaient à Thierry Braillard, secrétaire d’Etat Aux Sports, un rapport sur la pratique du MMA en France. Un document basé sur de nombreux entretiens avec des acteurs du mouvement et qui allait dans le sens d’une autorisation et d’une régulation. Dans la foulée était mis en place l’observatoire des pratiques du MMA, sous l’égide de la Confédération française des arts martiaux et des sports de combat (CFAMSC), dans l’optique de faire bouger les choses. Un mouvement encore renforcé par l’arrivée aux manettes du ministère des Sports d’une certaine Laura Flessel en mai 2017. L’ancienne escrimeuse connaît bien le MMA. Elle l’apprécie surtout, pour l’avoir pratiqué sous les ordres de Bertrand Amoussou au Lagardère Paris Racing.
... mais pas remis en cause après son départ
Attendu pour cette rentrée, le rapport sur les résultats de l’observatoire faisait donc espérer des avancées d’ici à la fin de l’année. Mais la démission de Laura Flessel est intervenue, à la surprise générale. Et elle a gelé les esprits. "Quand c’est arrivé, j’ai failli quitter le boulot et rentrer chez moi dormir. Je n’étais pas bien du tout, reconnaît Bertrand Amoussou. J’avais l’impression d'avoir pris un crochet au foie." Ce qui s’apparente logiquement à un coup dur est, en réalité, surtout un coup d’arrêt, car selon nos informations, Maracineanu adopte en effet "une posture de continuité" par rapport à Flessel sur ce dossier. "Cela pourrait faire perdre du temps mais ça ne changera pas les lignes", confirme un proche du dossier. A moins que les détracteurs… Leur discours n’a pas varié : Dignité humaine, cages, frappes au sol, risques criminels ou de radicalisation, leurs arguments pour s'opposer restent les mêmes.
Toutefois les travaux de l’observatoire, qui a multiplié les réunions entre acteurs du secteur, devraient bien porter leurs fruits même si le changement de ministre met du flou dans le débat. "Les réunions de l’observatoire évoquaient comment structurer la discipline, que mettre en place et comment on allait fonctionner, reprend l'ancien judoka reconverti au MMA, rapporte Bertrand Amoussou. On était avancé et vraiment dans l’exécutif de la chose, la santé des athlètes, l’organisation de la discipline. On n’est plus en train de se poser la question ‘‘MMA ou pas MMA’’ mais plutôt : ‘‘Comment on structure cette discipline ?"
"On peut essayer de le ralentir mais c'est un rouleau compresseur"
C’est là que le chantier est encore très conséquent. Quelle fédération accepterait de s’associer au MMA ? Quelle sera la plus légitime pour une telle union ? Alors que la lutte, le karaté, le muay thaï, le kickboxing ou le judo sont en lice, l’écosystème du MMA ne cache plus son impatience. Car c’est tout le paysage de ce sport qui serait bouleversé, avec des diplômes, notamment pour les éducateurs. Des milliers de pratiquants qui bénéficieraient de cette légalisation. Et face à ses détracteurs, qui l’imagine en terreau du fondamentalisme, de pratiques sauvages voire de radicalisation, il s’agirait de tout mettre sous contrôle, afin de rassurer tout le monde. "Personne ne se dit qu’il est bizarre que ce sport qui a une pratique sauvage ne soit pas encadré, souligne le directeur sportif du MMA Factory, Fernand Lopez. Il faudrait l’encadrer, c’est hallucinant ! Je préfère ne pas y penser car ce n’est pas possible… J’ai parfois l’impression que c’est un cauchemar."
Un cauchemar en passe de prendre fin. Car l’abattage médiatique a déjà contribué à changer les mentalités. Le MMA et l’UFC ont leur champ d’expression à la télévision, sur le bouquet RMC Sport. Ce qui était mal vu il y a 15 ans… "Je me rappelle des articles où on était des sauvages, déclare Bertrand Amoussou. Là, pour Conor-Khabib, on va parler du MMA comme on débriefe un match de foot. Il s’est passé quelque chose et on est content d’avoir pu contribuer à faire comprendre que ce n’est pas un phénomène de mode mais un phénomène de société. On ne peut pas aller contre le MMA. On peut essayer de le ralentir mais c’est un rouleau compresseur. Il est là pour durer et il faut le prendre en compte." Il ne reste plus, désormais, qu’à le naturaliser pour en éprouver les effets.