Le Grand-Bornand: le biathlon sous pression écologique en vue des JO 2030

D'un côté le village du Grand-Bornand, son église et son clocher. A travers la brume, les prairies en arrière plans sont vertes. Pas de neige. De l'autre côté, le pas de tir et ses pistes de ski de fond exposées au nord sont bien blanches. Quelques flocons s'accrochent difficilement encore sur les arbres.
A 34km de là, au bord du lac, le maire d'Annecy a dit stop. Il a retiré sa subvention de 100.000 euros à l'évènement à partir de 2026. "Un nouveau modèle durable n'a pas encore été trouvé, expliquait le 7 décembre dernier François Astorg dans une interview à Libération. Avec les incertitudes liées à l'absence de neige, le calendrier interroge profondément. Adapter la montagne au réchauffement climatique ne peut plus attendre. C'est pourquoi le biathlon du Grand-Bornand ne se fera plus avec Annecy."
Des camions, encore des camions
Une décision et une communication qui ont fait des remous au sein du conseil municipal de la ville, comme le raconte Le Dauphiné. Une communication "purement politique", dénonce l'opposition. Le maire, lui, assure devant son conseil municipal que se retirer de l'évènement est une manière de faire pression sur l'IBU (Fédération internationale de biathlon) pour que l'instance réfléchisse à un "nouveau modèle" et repousse l'épreuve plus tard dans l'année afin d'éviter les norias de camions qui emmènent de la neige dans le village faute d'enneigement suffisant à la mi-décembre.
"C'est ça le sujet", martèle le maire d'Annecy.
Et revoilà donc ces fameux camions pleins de neige. Comme il y a deux ans, où l'image avait choqué sur les réseaux sociaux. De la neige stockée sept kilomètres plus haut et qui sert à la construction des pistes pour les biathlètes. De la neige déversée par des camions sur les prairies vertes en amont de la compétition.
Et qu'importe si depuis, de la "vraie" neige a recouvert le site: revoilà les organisateurs obligés de s'expliquer, encore. "Ce n'est pas une question d'altitude, explique Yannick Aujouannet, secrétaire général du comité d'organisation de la Coupe du monde du Grand-Bornand. Il y a beaucoup de méconnaissance et d'images d'Épinal autour de ça. La neige que l'on utilise pour faire des pistes de compétition de haut niveau, c'est de la neige qui a été travaillée. C'est de la neige de culture, de la neige de stockage, il y a aussi de la neige naturelle qui a été mêlée. Aujourd'hui, pour n'importe quelle compétition à n'importe quelle altitude il faut ce type de neige. Même si on avait le climat que l'on avait a trente ou quarante ans en arrière, on serait dans la même situation aujourd'hui. Vous n'emmenez pas Usain Bolt sur une piste en cendrée!"
Une qualité de neige imposée dans le cahier des charges de l'IBU pour permettre la sécurité des athlètes et l'équité sportive. "Quand vous faites skier des biathlètes qui vont à 60km/h dans les descentes, il faut que les pistes soient d'une qualité irréprochable. Et en termes d'équité, le sprint dure une heure trente et il faut que ça tienne le coup."
Des conditions plus simples avec de la neige naturellement tombée sur le site? "La neige naturelle, c'est très bien, mais quand vous avez cinquante ou soixante skieurs qui sont passés au même endroit sur la même ligne, forcément la piste se dégrade et c'est dangereux. Et on perd de la vitesse de déplacement donc ce n'est plus équitable. La neige naturelle c'est possible mais il faut une quantité importante et surtout la travailler énormément, ce qui veut dire beaucoup de damage. Et quand on compare avec de la neige de culture et stockage, à la fin l'avantage ne penche pas pour celui auquel on pense en premier. Quand on voit le nombre d'heure de damage qu'il faudrait, la balance penche pour la neige de culture et de stockage."
La ville contre la montagne
Au Grand-Bornand, on a du mal à entendre "les gens de la ville d'Annecy" leur expliquer qu'il faut changer de modèle. Eux les premiers concernés et "qui n'ont pas attendu que des gens qui viennent en SUV à la montagne viennent leur expliquer ce qu'il faut faire pour préserver la montagne", entend-on en chœur dans le village.
Yannick Aujouannet rappelle que le transport de cette neige représente 0,8% de l'empreinte carbone de l'évènement, contre 80% pour le public qui se déplace. 75.000 personnes sont attendues sur l'ensemble du week end. Les organisateurs ont d'ailleurs volontairement contraint cette jauge qui pourrait être supérieure pour préserver l'expérience spectateur. "Le volume de neige dont on a besoin est réduit, continue Aujouannet. Contrairement à d'autres compétitions de ski, où on consomme énormément de neige, le biathlon ce n'est rien du tout!"
Environ vingt mille mètres cube. Et les fameux camions n'ont descendu cette année du site de stockage du Chinaillon que 7000m³, contre 12.000 les éditions précédentes. Avec l'ambition l'an prochain de s'en passer. "Une transition comme ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain. On a deux sites de stockage à l'intérieur du stade qui vont nous permettre à terme de supprimer ou de réduire vraiment drastiquement le transport de neige. Il va falloir qu'on exploite complètement ces deux espaces de stockage pour rassembler de la neige naturelle tombée à côté et avoir des températures suffisamment basses pour produire au moment le plus opportun et optimiser cette neige. Une fois que l'on aura ça, nous serons parfaitement autonomes à l'intérieur du stade. On espère que cet hiver nous permette de stocker suffisamment de neige pour que l'année prochaine, on n'ait plus à en transporter."
Les biathlètes prudents
Une situation qu'observent avec attention les athlètes, prudents quand on leur parle d'un site qui sera olympique en 2030. "Ce n'est pas facile en tant qu'athlète parce qu'on est là pour vivre notre rêve qui est de faire du ski, pointe Éric Perrot, quatrième du classement général de la coupe du monde. Maintenant on sait qu'il y a des choses qui ne sont pas raisonnables et ça nous préoccupe en tant qu'humains. Il y a plein de défis qui s'ouvrent à nous et je pense que 2030 sera un vrai gros défi. Je ne vais pas vous apporter les solutions aujourd'hui mais je pense qu'il faut qu'on y travaille. C'est le rôle des instances internationales de s'en occuper mais en tant qu'athlètes, on a aussi notre voix à apporter et c'est ce qu'on va essayer de construire sur ces cinq prochaines années."
Simon Fourcade plaide "pour une discipline qui devra peut-être évoluer à un moment donné sur une discipline mixte car on a la chance de pouvoir faire du ski-roues. A terme je pense qu'on sera forcément amenés à aller sur des sites à plus haute altitude pour essaye de limiter ce qui peut se passer aujourd'hui. Mais pour le moment on a cette solution". L'entraîneur des Bleus, "très sensible au sujet", poursuit: "Je vois le monde du sport qui est pointé du doigt, mais il y a d'autres domaines sur lesquels on pourrait creuser. Je pense au milieu de la culture et des festivals de musique. Je ne sais pas ce que représente le fait qu'on emmène un tas de neige au milieu d'une prairie avec 20.000 personnes comparé à des festivals qui peuvent rassembler parfois plus de 100.000 personnes."
Le Haut-Savoyard Antonin Guigonnat entend également les problématiques. Mais pour le vice-champion du monde de la mass-start en 2019, "un évènement comme la Coupe du monde de biathlon a un impact environnemental faible alors que l'impact socio-économique pour notre région est vraiment important. Pour moi, il n'y a pas de débat. C'est sûr que c'est facile de taper sur l'enneigement. Oui, ça choque et ça dénote avec notre piste enneigée. Mais dans les faits, ça reste un sport doux. Je suis très content qu'il y ait un évènement de cette ampleur sur du ski nordique. Je trouve ça génial et je vois surtout du positif."