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Martin Fourcade : "Il y a aussi des inconvénients à beaucoup gagner"

Martin Fourcade

Martin Fourcade - AFP

Avant d’entamer les Mondiaux de biathlon, qui débutent ce jeudi à Hochfilzen (Autriche), Martin Fourcade s’est confié à RMC Sport. Le leader de la Coupe du monde, qui réalise une saison sensationnelle, évoque les difficultés liées à sa domination sans partage sur la discipline.

Martin Fourcade, vous réalisez à quel point vos performances sont impressionnantes ?

Bien sûr, je me rends compte de la performance. Je me rends compte aussi à quel point c’est difficile d’enchaîner ces performances-là. Ce n’est pas une surprise mais une vraie satisfaction. On fait un sport qui est extrêmement aléatoire, où tout se joue sur une balle au dernier tir. Donc forcément, c’est une satisfaction énorme, mais ce n’est pas la normalité. Ce n’est pas quelque chose de normal d’avoir comme plus mauvais résultat une 8e place dans mon sport, car c’est un sport où la régularité est la chose la plus dure à aller chercher.

A force de gagner autant, vous n’avez pas peur de lasser les gens ?

Non, ce n’est pas une peur que j’ai parce que je fais simplement mon sport, mon travail du mieux possible. Je sais qu’il y a énormément de personnes qui savourent autant que moi ces victoires et qui se prennent dans l’aventure donc non, je n’ai pas peur de lasser les gens. Il y a forcément certaines personnes qui vont être lassées, c’est le lot du sport de haut niveau. Quand on domine un peu, on a des admirateurs mais aussi des détracteurs. Après, je ne me pose pas ce genre de questions. J’essaye de continuer sur le même rythme, à réaliser les meilleures prestations semaines après semaines et quand ça marche, je ne peux que m’en satisfaire.

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Il y a des inconvénients à beaucoup gagner ?

Oui, il y en a. Déjà, on est beaucoup sollicités, plus que les autres, et c’est plus compliqué de continuer à gagner. En étant sur le podium à chaque fois, on récupère moins bien car on ne fait pas de la récupération directement après la course. On passe aussi beaucoup de temps sur le stade debout. Sur une compétition, ce n’est pas grave, mais avec l’enchaînement des compétitions, avec trois courses par semaine, ça laisse forcément des traces.

Comment fait-on pour gérer ça ?

On essaye de faire au mieux. Moi, c’est un milieu qui m’intéresse donc je réponds avec plaisir, c’est une partie de mon travail. Ensuite, on essaye de faire le maximum à côté pour essayer de limiter la casse. Ça fait partie du métier et je ne peux pas me plaindre d’aller chercher une médaille tous les soirs en ville devant plusieurs milliers de personnes. Bien sûr qu’on en profite et que ça donne de l’énergie. Ce n’est pas que des contraintes. Mais par rapport à celui qui a fait une course moyenne et qui reste dans sa chambre à penser à la course du lendemain, il y a un petit écart qui se fait. Et je suis sûr qu’aux derniers Mondiaux, je perds le titre sur la dernière course, la mass start, à cause de toutes ces sollicitations. Mais j’en avais tellement profité sur le début des Mondiaux que ce n’était pas un problème pour moi.

Ça oblige à être un peu « froid » quand on gagne autant avec toutes ces « contraintes » ?

Je pense qu’il faut être un peu froid pour arriver à répéter ces performances. Arriver un peu à se séparer de l’émotion, à dire non parfois quand ce n’est pas facile, quand certaines personnes ne comprennent pas qu’on puisse dire non. Mais ça fait partie de ce qui me permet de répéter les performances week-end après week-end. Il y a des choix qui sont difficiles à faire. Il y a une personnalité qui se crée et elle est un peu différente de celle j’ai au quotidien. Mais forcément, c’est quelque chose auquel on ne peut pas couper si on veut rester à ce niveau de performance.

Quels sont les records que vous visez aujourd’hui ?

Sans doute le nombre de victoires de Bjoerndalen sur une saison, c’est celui qui me motive le plus (douze victoires en 2004-2005) et je n’en suis pas loin (dix victoires cette saison, record personnel égalé). Il reste encore deux courses à aller chercher et ce sera très difficile. Bien sûr que ça me motive pour rester concentré, pour aller chercher toujours un peu plus. On le voit avec l’enchaînement des courses et des victoires, il y a forcément un peu de relâchement qui s’installe. Et sans ces petites carottes qui nous permettent d’avancer et de rester concentré, c’est très dur de rester aussi performant.

Est-ce que vous pensez avoir la reconnaissance que vous méritez ?

Pour être vraiment honnête, je ne fais plus attention à ces choses-là. Je l’ai fait plus jeune et j’ai souvent été un peu déçu et frustré. Depuis que je me suis détaché de ces choses-là, ça se passe beaucoup mieux sportivement et médiatiquement aussi. Aujourd’hui, j’ai des partenaires qui me reconnaissent à ma juste valeur. J’ai beaucoup de personnes qui me suivent et en fait, je ne me pose pas la question de savoir si je dois être premier, deuxième ou troisième du classement des sportifs français. Il y a des gens qui ont un avis, qui aiment plus ou moins le biathlon. C’est sûr que dans d’autres pays, ce serait différent, mais je prends ce qu’on me donne et je le vis très bien comme ça.

Julien Richard