Guerre en Ukraine: comment les Français du skicross ont décidé de ne pas courir en Russie

L'équipe de France de skicross vient de vivre une semaine riche en émotions. Directement après les Jeux olympiques d'hiver 2022 de Pékin, la délégation bleue composée de neuf athlètes et sept personnes du staff ont directement pris la direction de la Russie pour une épreuve de Coupe du monde. Ils sont arrivés lundi soir en Russie. Mais au fil des jours, la semaine de compétition a pris une tournure inédite avec la guerre menée par l'armée russe en Ukraine.
Les Bleus sont actuellement toujours dans leur hôtel de Sunny Valley et n'ont pas participé aux épreuves disputées ce vendredi matin. Dans quelques heures, ils pourront finalement quitter le sol russe. Thomas Frey, entraîneur de l'équipe de France de ski freestyle, s'est confié à RMC Sport.
RMC Sport: Racontez-nous les derniers jours vécus par les Bleus et la décision, finalement, de ne pas vous aligner sur cette épreuve de Coupe du monde?
On était au courant d'une menace potentielle, mais on n'était pas inquiet. En se réveillant jeudi matin, quelque chose avait changé. On a continué à maintenir les athlètes dans une bulle sur l'entraînement du matin, sans qu'ils aient vraiment pris connaissance de ce qu'il était en train de se passer. On en parlait plus entre nous dans le staff. L'après-midi du jeudi a été très longue. Tout le monde commençait à être au courant. On a eu des messages de proches, donc ça commençait à nous inquiéter... Les entraîneurs ont convoqué une réunion de tous les chefs d'équipe pour avoir une prise de position commune face à la fédération internationale (FIS).
La position était claire: personne n'avait vraiment envie de courir. Mais il fallait qu'on en parle avec les athlètes, qui sont les principaux acteurs alors qu'il y a un globe à jouer. La FIS a tenu une réunion à 20h le jeudi soir, donc on a temporisé pour ne pas se soulever face à l'organisation locale. La FIS n'a pas donné d'ordre d'annulation de l'épreuve, alors ce sont les fédérations, et notamment l'équipe de France, qui sont montées au créneau. À 22h30, après une longue réunion avec les athlètes, on était dans l'indécision. Parce que c'était absurde de concourir dans un pays en guerre et, en même temps, il fallait qu'on attende que toutes les athlètes prennent la même décision. Finalement, la Fédération française de ski a pris la décision de nous faire rapatrier au plus vite. Toutes les nations, ou presque, ont pris la même décision. Il fallait une parole commune et ça a été le cas.
Ce matin, pour les qualifications, seuls les athlètes russes se sont alignés.
Oui, la course a sûrement été maintenue par respect pour l'organisation locale. Mais dans la foulée, la FIS a officiellement annulé l'épreuve. À notre goût, c'est un peu tardif, mais il y a sûrement des paramètres qu'on ne maîtrise pas. Mais on a pris la meilleure décision. On ne peut pas ne pas se sentir concerné. On est tous humain. On ne peut pas accepter ça. C'est impossible, par respect pour ce qui est en train de se passer. C'était impensable de mettre des athlètes au départ et de les faire courir comme si de rien était, comme si le monde tournait rond. On aurait peut-être pris une autre décision si on avait été dans un autre pays. Là, on est dans le pays concerné. Impensable de participer à cette course.
Comment vont les athlètes?
Ça s'est un peu apaisé. Hier, c'était très chargé émotionnellement. Il y a eu des pleurs, des serrages dans les bras. C'était une journée pas évidente, dont on va se souvenir. Aujourd'hui, c'est plus de l'apaisement. La décision a été prise. On espère juste un retour dans le calme et la sérénité. C'est un périple pour rentrer. Vers 14h30, on va monter dans un bus direction Chelyabinsk pour 3h de route. Ensuite un vol jusqu'à Moscou. On passe la nuit à l'aéroport, avant un vol demain matin pour Lyon. Le passage à Moscou n'était pas l'option numéro 1 mais il n'y avait plus de vols disponibles depuis une autre ville. Une autre équipe est partie de la capitale russe hier. Ça s'est bien passé, donc ça nous rassure. Mais il ne faut vraiment pas tarder à partir et à rentrer à la maison.
Que ressentez-vous en ce moment?
Un soulagement après plusieurs heures inédites. Je n'ai pas trop les mots... (Il souffle, ndlr) C'est peut-être ça le mot. C'est monstrueux. D'un coup, on a quelque chose qui nous éclate à la tronche et on se sent concernés parce qu'on est dans ce pays. Là, il y a un autre pays, la guerre et nous... On ne se sent pas en insécurité, mais ce n'est pas évident. Ça nous dépasse complètement. On pensait avoir traversé des choses compliqués après le Covid et les JO en Chine, qui n'ont pas été évidents. Mais là, on se retrouve dans un état de guerre, c'est costaud. On est encore dans ce pays en plus, donc c'est à chaud. Tant qu'on n'aura pas un pied en France, on gardera une certaine réserve.