"Je me disais: 'Qu'est-ce que tu fais là?'", Mathieu Faivre explique pourquoi il a décidé d'arrêter sa carrière de skieur

Mathieu Faivre, la décision de mettre un terme à votre carrière est-elle mûrement réfléchie?
Ce n’est pas sur un coup de tête. La vidéo est sortie hier (mercredi) mais elle est préparée depuis quasiment le mois mai, début juin. Ça a été une réflexion, de prendre le temps de savoir réellement ce que je voulais faire, comprendre ce qui se passait sur mes skis et dans ma vie, savoir si c’était encore ce que je voulais faire pour m'épanouir et être heureux. Ce n’est pas un coup de tête d’une fin de saison comme ça peut être le cas quand on termine une année de ski et que l’on veut juste aller à la mer. Là, pour le coup, j'ai pris le temps. J’ai laissé les choses se poser et essayer d’avoir la meilleure réflexion possible, de prendre cette décision avec ce que je ressens. Ce n'est pas une décision prise à la légère.
Qu’est-ce qui a été le plus dur ces dernières saisons?
Ces dernières saisons ont été un passage obligé et je ne les regrette pas. C'est ce qui m'a poussé et permis d'avoir cette réflexion pour prendre la décision le plus sereinement possible. Et avec toute la paix et la gratitude envers ce milieu que je dois avoir. De ce fait, ça a été des saisons pas simples à vivre. Il y a eu énormément de frustration, de remise en question. J’ai essayé de mettre en avant dans la vidéo, de montrer qu’un truc s’était passé après cette médaille olympique. Ces dernières saisons ça a été juste un cheminement et intérieurement, j’étais arrivé au bout de ce que j'arrivais faire. Je suis en paix avec cette décision.
Quelle image de votre carrière retenez-vous?
Une seule image, c'est compliqué. La plus facile, c'est mon titre de champion du monde à Cortina (en géant en 2021). Si on parle performance et réussite personnelle, c'est le moment qui restera gravé pour moi et ce résultat a eu une importance incroyable dans le partage avec mon staff. C’est quelque chose qui m'a fait prendre conscience qu’on ne peut pas y arriver sans eux. Ça a été un moment suspendu, tout semblait s'arrêter, un moment particulier dans ma carrière.
Est-ce que vous comptez vous investir dans le ski maintenant?
C'est encore assez frais. En tout cas, l'annonce officielle l’est. Il faudra voir comment ces choses-là peuvent être mises en place. Le sport m'a énormément apporté, il m'a construit. C’est une passion depuis tout gamin. Je n'ai pas d'envie de devenir coach ou d’investir dans ce secteur-là. Je souhaite qu'il y ait un échange, redonner une infime partie pour les générations à venir. Rendre la monnaie de la pièce à toutes les personnes qui m'ont accompagné. S'il y a la moindre demande de partager, c'est avec plaisir.
Qu’est-ce qui vous manquait vraiment pour continuer ces dernières années? Avez-vous des regrets?
Il me manquait la compréhension de ce qui avait pu se passer après les JO (Pékin 2022). Après la médaille, quand il est venu le temps d'aller en Coupe du monde, les entraîneurs ont perçu qu'il y avait un truc d’étrange, un regard différent. On pouvait l'attribuer à d'autres choses: baisse de pression après la médaille, fatigue physique et nerveuse de fin de saison. Mais en fin de saison 2022, j'ai senti le bout d'un cycle. En premier, il fallait remettre quelque chose en place pour redonner le goût du sang, retrouver du sens à s'entraîner dur et faire autant de concessions. Changer de marque de ski a été bénéfique et m’a aidé à ne pas tomber dans cette routine. Mais il y avait toujours une problématique de sens, du mal à trouver du sens à tout ce que je pouvais faire. Je le faisais à 100% avec la même envie et détermination mais ça me coutait nerveusement, c’était moins fluide, moins facile. Les deux dernières saisons, quand je repasse chez Head, il y a un concours de circonstance puisque je me suis blessé, je suis sorti des trente et je suis reparti en fond de classement. En fin de saison, je me suis posé la question de savoir si c'était encore ce que je voulais faire. Les entraînements étaient plutôt bien, avec de bonnes manches et j'étais rapide. Mais le jour de course, je me disais: 'Qu'est-ce que tu fais là?' Quand je fais une rétrospective, j'ai la chance de ne sentir aucun regret. J'ai l'impression que j'ai saisi opportunité. Je ne dis pas que tout a été parfait. Mais je n’ai pas de regrets, ni sur les résultats ni sur la manière, j'ai tout donné jusqu'à la dernière course.
Si vous croisez Marcel Hirscher sur une piste, vous lui dites quoi?
Comment va le genou? (rires) Je ne sais pas ce que je lui dirais. Ce serait sûrement une discussion simple entre deux skieurs. Il s'est donné le défi de revenir. Mais le facteur blessure est important dans notre milieu. J'espère que son pari sera gagnant et dans sa vie d'homme, qu’il n’ait pas de soucis. Un des paramètres et facteurs qui m'a fait prendre cette décision c’est que je n’ai pas eu de blessures graves. Et aujourd’hui, moi qui aime faire du sport, je n'ai aucune douleur, je peux faire tous les sports comme je le désire: trail, tennis... quand il y a moins de sens à faire ce sport et prendre des risques, à un moment donné, on n'est plus vraiment prêt à aller à la blessure. J'espère juste que Marcel puisse se remettre.
Vous n’avez pas eu cette volonté de de pousser jusqu'aux JO à Bormio 2026?
Non. C'est très individuel. Il y a des athlètes, qui ne sont jamais rassasiés. Quand j’ai u le sentiment d'accomplir ce que je souhaitais, ce n’est pas quelque chose de mental mais plutôt d’instinctif, de plus profond, et qu’on est en paix avec ça, et que j’ai accompli ce que je désirais, refaire tout ça sans sens, avec les risques que ça comporte, ça n’a pas été une option. On est un sport à risque et il faut être prêt à les prendre, à se blesser, se balancer sur des pistes gelées et sans visibilité. Avoir la chance de figurer sur un podium. Cette réflexion-là n’a pas été dans l'équation. Si je faisais un sport moins à risques, peut-être, mais dans ce sport-là, je pense qu'à un moment donné, quand on ne ressent plus que le jeu vaut la chandelle, ça ne sert plus à rien.
Est-ce que vous vous sentez libéré aujourd’hui?
En tout cas, je me suis senti libre de ma décision. En fin de saison, quand je n'avais pas encore cette certitude de mettre fin à ma carrière, on parlait de me faire retourner en groupe coupe d'Europe. J’ai eu des discussions avec le staff, essayer de savoir ce qui était le plus pertinent. Je n’avais pas la conviction de savoir si j’avais l’envie de continuer. J'avais déjà soumis l'idée d'arrêter et après quelques discussions, j'avais besoin d'être libre de mes décisions, sans contrainte de choix de groupes fédéraux. C'est là où je leur ai demandé de pas me prendre en compte pour les groupes et on a arrêt" les discussions. Je préférais être simple décisionnaire de mon futur et si je voulais aller à l'entraînement, j'aurais trouvé mon propre moyen. Si tu y retournes, c'est de la manière que tu veux et si tu arrêtes, c'est parce qu’il y a plus cette flamme.
Quel message passerez-vous aux jeunes skieurs?
En déterminer un seul, ce n’est pas facile mais simplement dire que le jeu en vaut la chandelle, quand on y met son âme et son cœur. Pour moi, ça peut être des choses subjectives, on n’a pas tous les mêmes curseurs, on ne va pas tous atteindre le même niveau mais le sport est incroyable. Les valeurs sont importantes pour la vie d'homme et la vie d'après. Ça ne sera peut-être pas tous les jours facile, mais c’est un apprentissage d’humilité. On peut être le meilleur du monde un jour et finir 40e le lendemain. Mais atteindre ce niveau, c’est une force de travail, de détermination. Alors, aller au bout des choses, les faire avec cœur et ne pas avoir de regrets quand ça se termine.