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Ski alpin (Mondiaux): Alexis Pinturault, les bienfaits d'un succès "maison"

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Gagner chez soi un titre ultime: beaucoup d’athlètes en rêvent, peu le réalisent. Mais lui le réussit. Alexis Pinturault est devenu champion du monde de combiné, à Courchevel, là où il a chaussé pour la première fois les skis. À l’image des Jeux olympiques d’Albertville, inaugurés par une médaille d’argent - Franck Piccard en descente – les championnats du monde 2023 sont idéalement lancés. Du (très bien) fait maison de la plus haute importance pour toute l’organisation.

Super-G magistralement enlevé suivi d’une manche de slalom intelligemment menée avec ce départ en pôle acquis le matin: Alexis Pinturault a eu tout juste pour son entrée en matière dans ses championnats de monde. Et quand ses principaux concurrents (Marco Schwarz, l’Autrichien ou Loïc Meillard, le Suisse) butent à chaque fois sur le temps du Français, Romane, son épouse et responsable presse, sent l’émotion l’envahir. Elle sait qu’il est officieusement champion du monde et ne peut s’empêcher de l’extraire quelques secondes du siège dévolu à celui qui mène la danse pour l’étreindre.

Sûrement, à cet instant, leur revient cet échange dans leur intimité pas si lointain. Il date de 15 jours. Alexis confie à Romane ses doutes: "Est-ce que tu crois que j'arriverai de nouveau un jour à gagner, que c'est toujours ma place et que je ne me bats pas contre l'impossible?" Alexis Pinturault n’a en effet pas atteint le sommet d’un podium depuis son sacre de la Coupe du monde, le jour de ses 30 ans, le 20 mars 2021, dans la foulée d’un dernier succès lors du géant de Lenzerheide. À son actif cette saison, quelques petits accessits, dont un podium cet hiver en Super-G à Beaver Creek. Romane lui répond alors, toujours confiante dans les capacités de son champion de mari: "Tu en es encore capable, cela va finir par payer."

Un SMS prémonitoire de sa mère

Dans les tribunes à quelques mètres de là, Hege, la mère, n’a peut-être pas eu vent de ce doute qui ronge son fiston. Mais elle sait déjà ce qu’elle va lui dire quand, sorti des obligations protocolaires, elle va le croiser deux petites heures après le sacre: "Tout simplement, félicitations. Que dire de plus?, interroge-t-elle. N’a-t-il pas réussi sa vie professionnelle?" Et d’ailleurs, l’un des SMS envoyés dans sa préparation se veut prémonitoire: "Ici, tu es le roi", lui écrit-elle il y a quelques jours. Et Hege Pinturault de poursuivre: "Il n’avait pas un an qu’il sentait déjà cette atmosphère de compétition puisqu’en 1992, il y avait les JO ici. Je suis sûr qu’il a senti l’ambiance, l’esprit de compétition et sportif. Il est né avec cela et pour cela. Il a réussi ce qu’il voulait." Claude, l’exigeant père contraint de rester à Annecy a savouré devant sa télévision. Mais garde pour lui ses impressions. Forcément, il doit y avoir de l’émotion et de la fierté.

Et dans l’armoire à trophée de l’hôtel Annapurna dans le Courchevel huppé à 1850, il faudra changer l’ordonnancement. Le champion du monde prévient par avance: "Cette médaille-là va mettre les autres complètement en arrière-plan, explique Alexis Pinturault. Et cela fera partie des grands moments de ma carrière." Car elle a un goût de fait maison: "J’ai à cœur de profiter de cette quinzaine, chez moi, devant ma famille et mes amis, explique Alexis Pinturault. Car c’est une chance de vivre cela. De vivre des Mondiaux en France, j’en aurai qu’une fois l’occasion. Chez moi, aussi, ce sera une seule chance dans ma vie. Et dans mon village… C’est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde. J’ai voulu surfer là-dessus. C’est ma plus belle victoire car elle est pleine d’histoires: je gagne en France, dans mon village. Cela rajoute un supplément d’âme."

De quoi effacer aussi cette saison sans "perf’" et même ses 51 départs sans victoire depuis mars 2021. Une éternité pour ce collectionneur de médailles, ce titre étant sa 6e mondiale: "Oui, j’avais envie de bien faire et d’aller chercher le plus devant possible, dit-il. Et je devais aussi être réaliste. Quand je pense que sur les deux derniers slaloms où je ne prends même pas la qualification ! Certes, cela faisait très longtemps que j’avais Courchevel en tête, mais il y a une grande différence entre avoir envie, avoir cette énergie et la mise en place et construire quelque chose."

"Il voit sa maison au départ, je n’ose même pas imaginer..."

Cette énergie, il l’a sûrement puisée dans cette atmosphère locale. C’est "sa" station qui accueille les épreuves. Mieux, ce sont "ses" entraîneurs qui sont aujourd’hui au cœur de l’organisation, du haut en bas de l’échelle, des bureaux à la piste, des chefs au moindre lisseur. Bruno Tuaire, le directeur du Ski Club de Courchevel en tête: "Ce n’était pas espéré, c’était un rêve! Lui était dans le dur. Il a fait l’impasse sur le slalom de Chamonix pour venir s’entraîner avec nous au club. Notre club a cinq athlètes dans ces Mondiaux et désormais un champion du monde à la maison. Très peu l’ont fait et nous, si !"

Et même s’il le connaît par cœur, pour l’avoir vu tout petit, Bruno Tuaire reste surpris par le mental du "gamin": "Il possède un moral énorme, il ne lâche rien. Au départ, il voit sa maison… Je n’ose même pas imaginer comme on doit être fort dans sa tête sur un parcours sélectif comme celui-ci." Le boss de la Fédération française de ski Fabien Saguez rajoute: "C’est un jeune que j’ai vu arriver quand j’étais DTN du ski. Il a toujours essayé de faire tous les efforts possibles. C’est un bosseur infini. Il a trois médailles. C’est un enfant du ski français avec les Grange, Lizeroux, Fanara… Il finit par gagner à la maison."

Son premier technicien au club et aujourd’hui directeur du site de compétition, Sébastien Santon, savoure le chemin parcouru: "C’est le résultat d’efforts énormes sur de nombreuses années. Et là, le premier jour, poum! Il met tout le monde d’accord avec un super Super-G et une bonne gestion du slalom. C’est une grande personne du ski français mais du ski mondial aussi! Être le jour J champion du monde, c’est que mentalement, il a été énorme. C’est la marque des grands champions."

"Les quatorze jours qui restent vont être plus faciles pour tous, cela va mettre le moral à tout le monde", lance Bruno Tuaire quand Sébastien Santon, sourire XXL en bandoulière, apprécie que le travail de ses équipes paient pour son protégé: "Pour toute l’organisation qui a bossé en grande partie pour lui, c’est beau. Nous tentons de mettre en place des choses et lui, il gagne. Quelle récompense."

Un soulagement pour le ski tricolore

Récompense pour l’organisation "terrain", cette médaille d’or met sur orbite la "fusée ski tricolore". Son patron Fabien Saguez se sent un poil soulagé, lui qui a encore le souvenir douloureux de mondiaux douloureux avec une seule médaille (en bronze) le dernier jour à Bormio en 2005: "C’est une super tête d’affiche et quand on commence avec de l’or, on ne peut pas demander plus. C’est fantastique. Il faut être réaliste: nous étions tous un peu tendus avec certains qui disaient qu’on allait faire un zéro pointé sur ces mondiaux. Il n’y aura pas de zéro pointé !" Son DTN, Pierre Mignerey, prolonge: "Je ne vois pas là une consécration de carrière, je vois surtout que cela peut lancer une semaine très riche. Pour l’ensemble de l’équipe, cela peut desserrer l’étreinte. Cela va faire du bien à tout le monde. Et probablement encore plus à Alexis."

L’intéressé s’avance désormais, la spatule un peu plus relâchée, dès jeudi dans l’épreuve où il a décroché son seul podium de la saison: "Maintenant, j’ai envie d’en profiter un peu avant de me plonger dans le Super-G qui sera une autre discipline sur un autre jour, explique Alexis Pinturault. C’est une discipline où je m’amuse et où je me sens plutôt bien sur les skis. Pour cette quinzaine, c’est un bon début pour la France. Je sais ce que c’est d’arriver en début de deuxième semaine avec une forme de pression et d’anxiété qui gagnent tout le groupe, mais aussi les entraîneurs et les médias. Cela peut faire du bien à tout le monde."

Edward Jay