Boxe: Christian Mbilli, objectif "tabasser Canelo"

La route vers le sommet est longue. Il faut bien ça quand on compte escalader la plus haute des montagnes… Opposé ce samedi soir à Nantes à l’Américain Vaughn Alexander (17-6-1, 10 KO; 37 ans), sa première sortie sur un ring en France depuis trois ans et sans doute sa dernière pour longtemps (il a dû beaucoup insister auprès de son équipe pour pouvoir le faire), Christian Mbilli n’est pas seulement en quête d’un titre mondial, qu'il espère pour 2023. L’ancien membre de la "Team Solide" des Jeux de Rio – éliminé en quart de finale du tournoi des moyens par le futur vainqueur, le Cubain Arlen Lopez – compte détrôner la plus grande star de la boxe actuelle, le Mexicain Saul "Canelo" Alvarez, roi incontesté de sa catégorie des super-moyens avec autour de sa taille les ceintures WBC-WBA-IBF-WBO-The Ring.
"L’objectif, c’est Canelo, confirme Mbilli, qui combattait chez les moyens jusqu'à fin 2019. Il est numéro 1 et je veux être le numéro 1 donc il est bien évidemment dans ma ligne de mire." Dans un sport où il faut souvent autant faire parler de soi que faire parler ses poings pour exister, on pourrait prendre cette ambition pour de la fanfaronnade. En France, pays pas toujours à l’aise avec la réussite, on goûte peu à ceux qui annoncent la couleur comme ça. On y voit de la suffisance. De l’arrogance. Oubliez ça avec "Solide" (son surnom). Christian Mbilli ne s’est pas réveillé un matin avec la croyance de battre Canelo. Il l’a en tête depuis longtemps. Le répète depuis longtemps. Le "démolisseur" qui "casse des gueules", ce sont ses propres mots, croit en lui et en ses qualités. Canelo ou pas, il n’y a pas de mission impossible.
"Je vais battre Canelo car c’est ma destinée, lance Mbilli. Je suis convaincu que je vais être champion du monde, que je vais unifier des titres. Il n’y a rien qui peut m’arrêter." Saul Alvarez n’est pourtant pas un boxeur comme les autres. Champion du monde dans quatre catégories différentes, des super-welters aux mi-lourds, le Mexicain présente un cocktail savoureux entre les cordes: puissance, rapidité, précision. Le tout en maîtrisant l’art de la défense sur le bout des doigts. Peu importe. Aucune peur. "Il a deux mains, deux bras et deux jambes comme moi, rappelle Mbilli. Il est très fort, c’est vrai, mais je suis capable de faire trois, quatre ou cinq fois plus que lui. (…) Je peux tabasser Canelo."
Et d’enfoncer le clou: "Donnez-moi deux-trois mois d’entraînement pour m’adapter à son style et tout est possible. J’ai très faim, j’ai envie de montrer que je suis le plus fort car je sais que je le suis. J’ai cent arguments pour dire que je peux le battre. Est-ce que je tape plus fort que lui? Je ne sais pas. Mais dans tous les cas, je suis plus fort que lui. Il ne faut pas trop le mettre sur un piédestal." L’histoire aurait une portée historique. Voir le représentant d’un pays où la boxe souffre ces dernières années, la France, être opposé à un combattant considéré par tous les spécialistes comme un des meilleurs de la planète toutes catégories confondues offrirait au noble art tricolore un moment rare et un énorme souffle positif. Pour Mbilli, ce serait également l’occasion de changer sa vie et celle de sa famille avec un chèque bien plus gros que ceux qu’il a touchés depuis le début de sa carrière professionnelle (on parle de plusieurs millions).
Le boxeur français natif du Cameroun en a conscience. Et il sait que ses seules performances sportives ne seront peut-être pas suffisantes pour attirer la bête mexicaine dans ses filets. Alors il joue aussi le jeu de la provocation. Ces derniers mois, il s’est plusieurs fois amusé, par exemple au micro du RMC Fighter Club, à évoquer l’excuse avancée par Canelo pour expliquer son contrôle antidopage positif en 2018: "Il a peut-être la viande mexicaine en plus mais pas de souci, on est tombé dedans quand on était petit". Malin, Mbilli explique toutefois qu’il ne faut pas non plus trop chambrer Canelo pour ne pas prendre le risque de l’énerver au point de le voir refuser de vous affronter.
Pas lié à long terme avec un promoteur et un diffuseur, le Mexicain est arrivé à un stade de sa carrière où il maîtrise à 100% sa destinée. Il prend les challenges qu’il veut, où il veut, quand il veut, quitte à changer de catégorie pour aller chercher de la grandeur comme lorsqu’il a défié (battu sur décision unanime) le champion WBA des mi-lourds Dmitry Bivol en mai dernier. Exilé au Québec mais sans gros marché derrière lui et avec un nom est moins connu que d’autres dans sa catégorie, Mbilli ne paraît a priori pas le profil parfait pour titiller l’intérêt de Canelo. Alors il va falloir aller chercher sa chance à la force des poings.
Sur le ring, il fait tout pour: vingt-deux victoires en autant de combats et vingt KO pour celui qui peut éteindre la lumière adverse sur un coup. Compliqué de "se vendre" mieux sportivement même si cela peut aussi faire peur et inciter Canelo à se tourner vers un autre horizon. Il y a aussi les coulisses à gérer. Numéro 2 du classement WBC (et cinquième de celui du célèbre magazine The Ring), celui dont les combats sont désormais diffusés par ESPN aux Etats-Unis via un contrat avec sa société de management québécoise Eye of The Tiger a déjà un rendez-vous fixé pour début 2023 avec le Kazakh Ali Akhmedov pour tenter d’aller prendre la première place et de devenir à terme le challenger obligatoire de Canelo pour cette organisation. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il affrontera le Mexicain à coup sûr s’il y arrive.
Sans aborder ce que compte faire Canelo, qui pourrait défendre tous ses titres des super-moyens ou en abandonner certains pour ne pas être forcé à prendre certains combats, d’autres boxeurs sont placés pour l’affronter. Le Cubain David Morrell et le Britannique John Ryder, respectivement champion "régulier" WBA et champion "intérimaire" WBO, traînent également à l’horizon. Sans oublier celui que tous ou presque veulent voir contre Canelo, l’Américain David Benavidez, actuel champion intérimaire WBC qui va affronter Caleb Plant (numéro 1 du classement de cette catégorie et ancien champion IBF et adversaire de Canelo) dans les premiers mois de 2023 pour consolider sa position et se rapprocher d’un combat contre le Mexicain.
Bref, la route vers Canelo ne sera pas un long fleuve tranquille pour Mbilli. Mais la récompense serait à la hauteur de l’attente et du travail pour l’atteindre. A vingt-sept ans, le boxeur français est dans la force de l’âge et compte bien en profiter. "Actuellement, pour moi, je suis déjà le meilleur. Que ce soit Canelo en face, Mike Tyson ou Muhammad Ali, qui vous voulez, je me considère comme le meilleur." Ses prochains adversaires, Vaugh Alexander en première ligne, sont prévenus: il sera compliqué d’arrêter le train Christian Mbilli, qui promet de revenir défendre son titre mondial en France quand il l’aura remporté, avant qu’il n’atteigne sa destination. Une gare nommée Saul "Canelo" Alvarez.