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Boxe: Des horreurs au plus grand combat de l’histoire, l’incroyable destin de Claressa Shields

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Championne WBC, IBF et WBA des moyens, l’Américaine Claressa Shields affronte l’Allemande Christina Hammer, détentrice de la ceinture WBO, dans un choc d’unification entre invaincues considéré (à raison) comme le plus grand combat de l’histoire de la boxe féminine. Une étape de plus dans le destin de Claressa "T-Rex" Shields, victime d’abus sexuels dans une enfance tout sauf facile et qui se bat désormais pour l’égalité des sexes dans le noble art.

Les yeux des amoureux du noble art étaient rivés ce vendredi sur Los Angeles, cadre de la défense – victorieuse – des titres WBA Super et WBO des légers du génial boxeur ukrainien Vasiliy Lomachenko contre le Britannique Anthony Crolla. Vingt-quatre heures plus tard, ils vont traverser les Etats-Unis direction Atlantic City pour un combat bien plus attendu par le milieu: l’Américaine Claressa Shields (8-0 ; 2 KO ; 24 ans), championne WBC, IBF et WBA des moyens, affronte l’Allemande Christina Hammer (24-0 ; 11 KO ; 28 ans), détentrice de la ceinture WBO, pour une unification des quatre titres principaux de la catégorie. "Le plus grand combat de l’histoire de la boxe féminine", dixit Mark A. Jones, spécialiste de la question, sur le site du magazine The Ring. Qui, cerise sur le gâteau, va décerner pour la première fois sa ceinture à l’issue d’un combat féminin – la Norvégienne Cecilia Braekhus (35-0 ; 9 KO ; 37 ans), championne unifiée des welters, en a également reçu une pour ses accomplissements mais n’a pas dû combattre pour la remporter. 

Meilleure boxeuse actuelle toutes catégories confondues

Invaincues et au sommet de leur art, avec en prime deux styles opposés, le bouclier (shield) et le marteau (hammer) devraient offrir un grand spectacle. L’occasion, aussi, de mieux découvrir Claressa Shields, grande favorite des bookmakers et meilleure boxeuse actuelle toutes catégories confondues selon de nombreux spécialistes, même si d’autres lui préféreront Cecilia Braekhus.

Seule double championne olympique (2012 et 2016) de la boxe US hommes et femmes confondus, depuis le doublé coqs-plumes d’Oliver Kirk en 1904, "T-Rex" – surnom donné en raison de sa férocité et de son allonge limitée à cause de bras plutôt courts – aurait pu ne jamais atteindre les sommets du noble art. Car la fille de Flint (Michigan) a dû en surmonter, des obstacles. "Je ne suis pas la seule à avoir eu un père qui a fait de la prison. Je ne suis pas la seule à avoir eu une mère alcoolique. Je ne suis pas la seule à avoir été abusée et violée à cinq ans...", raconte au Daily Mail celle qui a vécu une enfance sans le sou.

"Il ne faut jamais laisser votre abuseur gagner"

Son agresseur sexuel, un ami de sa mère, n’a jamais été inquiété par la justice. Peu importe: il n’est pas une source de motivation mais bien d’inspiration pour les victimes de situations similaires. "S’il me voit à la télé, je pense que ça l’embête plus que ça ne m’embête de savoir qu’il a essayé de me briser et qu’il n’a pas réussi, souligne-t-elle pour le quotidien anglais. Il ne faut jamais laisser votre abuseur gagner. Regardez comme j’ai du succès. Cela n’a rien à voir avec lui ou avec ce qu’il m’a fait."

Bagarreuse à l’école, Claressa Shields est introduite à la boxe par son père à onze ans. Très vite, elle bat les garçons de sa salle et grimpe dans les rangs amateurs. Le talent est évident. Reste à libérer l’esprit. Un coach, Jason Crutchfield, l’encourage à s’ouvrir publiquement sur les abus subis dans sa jeunesse. La parole va lui faire du bien. Comme les mots de sa mère. "On n’avait jamais parlé du fait que j’avais été violée à cinq ans avant mes dix-sept ans. Quand on a enfin eu cette conversation, ça m’a enlevé un énorme poids. Elle s’est excusée auprès de moi, douze ans après. C’est à ce moment-là que j’ai su que ma mère m’aimait."

Chambreuse et grande gueule

Celle qui a mis du temps à mettre des mots sur les abus subis dans l’enfance en raison d’un bégaiement a retrouvé sa voix, grande gueule – elle n’hésite pas à parler de tous les sujets sur les réseaux sociaux, du noble art à la crise de l’eau potable dans sa ville de Flint – qui aime provoquer et chambrer ses adversaires comme le font plus souvent les boxeurs masculins. Les rangs amateurs mèneront cette chrétienne dévouée à deux titres mondiaux (2014 et 2016) et deux sacres olympiques. Sa carrière pro, débutée en novembre 2016, a déjà donné des ceintures dans deux catégories différentes, les super-welters et les moyens, une division qu’elle a l’occasion d’unifier face à Christina Hammer. Et ce n’est pas fini…

Son clan veut en faire une star internationale et possède un plan pour cela. Il y a l’idée de descendre défier Cecilia Braekhus pour un événement qui aurait sans doute droit au PPV aux Etats-Unis, privilège réservé aux plus grandes stars de la boxe masculine. Ou celle d’affronter la Costaricienne Hanna Gabriel, championne WBA des super-welters. Pour transcender son sport, on parle aussi de possibles combats dans un ring contre Cris Cyborg, Holly Holm (ancienne championne du monde de boxe) ou Amanda Nunes, stars du MMA qui combattent à l’UFC. 

"Elle veut remporter des titres dans trois catégories différentes et être la plus rapide à le faire hommes et femmes confondus, précise son manager, Mark Taffet, à ESPN. Vasiliy Lomachenko a remporté un titre dans une troisième catégorie à son douzième combat. Claressa a trois ou quatre combats pour l’égaler ou faire mieux. Ce sera le prochain objectif après Hammer."

"Je suis payé dix fois moins que n’importe quel homme"

Courtisée par des sponsors peu vus dans la boxe, amie de stars à l’image de l’actrice Halle Berry qui sera à Atlantic City pour l’encourager, Claressa Shields veut utiliser cette notoriété grandissante et le focus médiatique sur son combat contre l’Allemande pour poursuivre son cheval de bataille : le sexisme dans la boxe et les difficultés pour les meilleures combattantes de gagner correctement leur vie en comparaison de leurs homologues masculins. "La différence sur ce plan est embarrassante, pour être honnête. Des mecs combattent pour plusieurs millions sans unification d’une catégorie en jeu. Ce sera mon cas et je vais prendre 150.000 dollars ou un peu plus… Je suis payé dix fois moins que n’importe quel homme alors que je travaille peut-être dix fois plus."

Une figure de la lutte contre les inégalités hommes-femmes

Très frustrant pour celle qui fait régulièrement de meilleures audiences que beaucoup de ses homologues masculins sur Showtime, chaîne sur laquelle elle a été la première boxeuse de l’histoire en combat principal d’une carte mixte. Mais de quoi la motiver à briser des barrières comme Billy Jean King ou les sœurs Venus et Serena Williams dans le tennis. "Elle veut que les femmes à travers les Etats-Unis soient autonomes, fortes, qu’elles se lèvent pour ce en quoi elles croient et ce qu’elles méritent, lance son manager à ESPN. Elle ne s’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas atteint l’égalité à tous les niveaux dans la boxe. C’est ce qui la motive et je pense qu’elle l’accomplira." Pour changer la donne, elle réclame des combats plus longs (deux minutes par round et dix rounds seulement pour un championnat contre trois minutes par round et douze rounds chez les hommes) pour qu’il y ait plus de KO et donc de spectacle. "Ce sera toujours leur excuse pour ne pas nous payer autant…" 

Fascinante, son histoire va bientôt trouver place sur écran géant, sujet d’un biopic en cours d’écriture par Barry Jenkins, réalisateur qui a remporté l’Oscar du meilleur film pour Moonlight en 2017, dans lequel elle souhaite se charger des scènes sportives. "Je suis trop bonne dans un ring pour laisser une fille faire des erreurs sur la boxe comme dans Rocky", s’amuse-t-elle. Et elle compte bien le prouver face à Christina Hammer. "Elle a signé pour une chose pour laquelle elle n’est pas préparée. Elle va avoir mal. Surtout en cas de victoire. « Je ne me suis jamais entraînée autant, a-t-elle avoué en conférence de presse. Pas parce que je ne pense pas pouvoir la battre mais à cause de la lumière sur ce combat. Les boxeuses qui sont passées avant moi n’ont jamais connu un aussi gros combat et je ne veux pas les décevoir. Je veux faire un show pour que personne ne puisse dire que ce n’était que de la hype…" Atlantic City a bel et bien rendez-vous avec l’histoire. 

A.Herbinet