Nordine Oubaali, le Français à la défense d’un titre mondial… avant d’autres conquêtes

Il est le premier champion du monde français des poids coqs depuis Alphonse Halimi il y a soixante ans. Il a conquis sa belle ceinture verte WBC dans un des temples de la boxe, le MGM Grand de Las Vegas, "une fierté", en battant l’Américain Rau’shee Warren sur décision unanime en janvier dernier. Mais ce week-end, entre le départ du Tour de France, la fin de la Coupe du monde de football ou de la Copa America, Wimbledon, l’Euro féminin de basket et d’autres joyeusetés, Nordine Oubaali ne sera pas la star de l’actualité sportive en France pour la première défense de son titre face au Philippin Arthur Villanueva (32-3-1 ; 18 KO ; 30 ans) qui aura lieu ce samedi (16h, en direct sur RMC Sport 1)... à Nur-Sultan (ex-Astana) au Kazakhstan.
Une destination conséquence de son contrat avec la société de management MTK Global, la même que celle d’un certain Tyson Fury, mais qui rend difficile la mise en lumière d'un garçon pas assez connu du grand public français malgré son immense talent. "C’est malheureux pour nous car après ce titre acquis aux Etats-Unis, on aurait aimé qu’il le défende en France, ça aurait même été logique, mais il n’a pas été suffisamment suivi pour que ça puisse se faire, explique Brahim Asloum, consultant RMC Sport. Il faut certes des moyens mais ces boxeurs le méritent et on devrait trouver des solutions pour pouvoir le faire chez nous. J’espère qu’il remportera cette défense et qu’on aura l’occasion de le voir à domicile."
Espoir partagé. Mais si le boxeur de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), fils d'immigrés marocains, passe l’obstacle Arthur Villanueva, face auquel il s’avance en favori, la priorité sera sans doute ailleurs, tournée vers un mot: unification. Passé chez les pros sur le tard, en mars 2014, après sa double frustration olympique à Pékin (2008) puis Londres (2012), Nordine Oubaali (15-0 ; 11 KO) a été sacré champion du monde à 32 ans (il aura 33 ans en août). Alors il n’a plus de temps à perdre.
Oubaali: "Je sais que je suis capable de battre n’importe lequel"
L’appétit venant en mangeant, sa ration de ceinture planétaire lui a donné des envies d’encore. Dans le viseur après sa défense volontaire au Kazakhstan pour son troisième combat hors de France chez les pros, les trois autres champions de la catégorie: le phénoménal Japonais Naoya Inoue (IBF, WBA regular et The Ring), qu’on ne surnomme pas "The Monster" pour rien, l’expérimenté Philippin Nonito Donaire (WBA Super) et le Sud-Africain Zolani Tete (WBO). Les deux premiers s’affronteront avant la fin d’année en finale du tournoi World Boxing Super Series de la catégorie pour unifier leurs titres. Et forcément, prendre le vainqueur donne envie.
"Je dois d’abord me concentrer sur ma défense mais bien sûr que j’aimerais affronter le vainqueur du tournoi, confirme-t-il au magazine The Ring. Je ne pense pas que les gens me considéreraient comme le favori de tels combats mais je m’en fiche car le plus important est que je sais que je suis capable de battre n’importe lequel."

On adore Naoya Inoue, son rapport poids-puissance de feu, son crochet gauche dévastateur, sa mobilité de félin. Il est même un de nos boxeurs préférés, et considéré par tout le monde ou presque comme le meilleur coq de la planète (et un des meilleurs tout court toutes catégories confondues), donc on serait loin d’être aussi catégorique que l’ami Nordine dans la perspective d’un combat face à l’homme également titré chez les mi-mouches et super-mouches, qui reste sur une série de huit KO/TKO/abandon de l’adversaire et qui a remporté ses trois derniers combats au premier ou deuxième round.
Mais pas de quoi décourager le boxeur français managé par son frère Ali qui croit, et il a bien raison, en son talent pugilistique, sa boxe variée, vive et intense, son expérience et sa faculté à mettre n’importe qui au sol alors qu’il pourrait aussi être forcé dans les mois à venir à combattre son challenger officiel, le champion intérimaire WBC... Takuma Inoue, le frère de (moins fort, mais quelle famille, où l'entraîneur est le papa...), qu’il a déjà annoncé "pouvoir mettre KO", ou encore le très dangereux et invaincu Mexicain Luis Nery, que certaines sources annoncent comme le futur mandatory du Français s'il bat le Dominicain Juan Carlos Payano le 20 juillet à Las Vegas.
Asloum: "Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu un boxeur comme lui"
"Je crois que je suis le meilleur coq, lance-t-il sans forfanterie, simplement sûr de ses forces. Je suis puissant, je peux m’adapter à tous les styles et je suis le plus intelligent dans la catégorie." Brahim Asloum, ancien champion du monde et olympiques chez les mi-mouches qui s’y connaît dans les petites catégories, appuie les qualités du garçon : "Nordine Oubaali est sans doute le meilleur boxeur qu’on ait eu depuis des années dans les petites catégories. C’est un boxeur solide, technique, très intelligent, bienveillant, qui est aussi au quotidien à la salle pour transmettre son savoir. Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu un boxeur comme lui."
Dans la quête de multiplier les ceintures, boxer au Kazakhstan dans une réunion diffusée sur la plateforme ESPN+ en partenariat avec Top Rank pourrait lui servir à terme, le patron de Top Rank, Bob Arum, ayant expliqué qu’il cherchait à faire signer Naoya Inoue en contrat.

La date du choc Inoue-Donaire (ce dernier n’est pas n’importe qui non plus, également titré chez les mouches, super-coqs et les plumes) n’étant pas encore officielle, l’autre possibilité serait de défier Zolani Tete. Le champion WBA a dû se retirer du tournoi WBSS sur blessure à l’épaule alors qu’il devait y affronter Nonito Donaire en demi-finale. En convalescence pour plusieurs mois, le Sud-Africain a ouvert la porte à une unification avec Nordine Oubaali il y a quelques semaines sur le site de The Ring.
"J’ai discuté avec notre promoteur Frank Warren pour qu’il approche le champion WBC pour affronter Zolani, confiait alors son manager Mlandeli Tengimfene. Et ensuite, le vainqueur pourrait affronter celui du tournoi WBSS." Frank Warren, promoteur de Zolani Tete – qui a aussi annoncé vouloir défier le vainqueur du tournoi WBSS – mais aussi de Tyson Fury, qui partage la même société de management que le Français. La connexion peut donc facilement se faire.
Dovi: "S’il gagne, ça lui ouvre les portes de beaucoup de choses"
Mais au fait, après avoir tant attendu entre boxe amateur et pro pour atteindre le Graal, Nordine Oubaali ne devrait-il pas chercher des défis moins risqués pour profiter un peu plus de sa ceinture avant de la mettre en danger ? C’est mal le connaître.
"Ça dépend de l’état d’esprit de Nordine, répond John Dovi, manager de l’équipe de France qui le connaît très bien et consultant RMC Sport. Stratégiquement, c’est intéressant de faire quelques combats pour se faire connaître, notamment en France, car il y a aussi cette notion de notoriété dans les petites catégories. Mais en même temps, Nordine n’a plus vingt ans. Il a peut-être besoin de gros combats maintenant et ce serait un vrai challenge. Et c’est le risque du sport de haut niveau. S’il perd, il aura été un champion du monde éphémère. Mais s’il gagne, ça lui ouvre les portes de beaucoup de choses. Nordine est dans un état d’esprit où il veut aller chercher, il est comme ça. C’est un homme de défi et ça le botterait. Ce serait aussi plus excitant et ce serait important de le faire. Il pourrait rencontrer un Lituanien au Maroc, sur la terre de ses parents, pour faire le buzz, mais il préfère une unification de ceintures car c’est ce qu’il faut pour se faire reconnaître dans cette catégorie. Quand on regarde Vasiliy Lomachenko, le meilleur boxeur actuel, il n’y a que maintenant qu’il commence à faire un vrai buzz alors qu’on en parle depuis longtemps dans ce milieu. Une unification le mettrait sur le devant de la scène. Et au-delà de la victoire ou de la défaite, sa prestation sera forcément bonne. Parfois, des boxeurs sont connus pour ça même s’ils ont perdu. Ce serait un super beau challenge."

Et de conclure: "C’est le seul vrai champion du monde français et toute sa préparation, tout ce qui serait fait autour, ça mettrait tout le monde dans un engouement. Quand Neymar est arrivé au PSG, ça a mis la lumière sur le foot français, même s’ils n’ont pas gagné la Ligue des champions pour autant. Il faut des têtes de gondole, des gens qui relèvent ce genre de challenges."
"Il n’est pas tout jeune et il n’aura pas 150 opportunités d’unification. Mais comme d’habitude, ça va aussi dépendre de combien ils mettent sur la table, nuance Brahim Asloum, désormais expert dans ces négociations en coulisses dans son rôle de promoteur. Si les finances vont, ça compensera le fait de faire un combat ou deux de défense. Après, il faut voir s’il y a des options, comme une revanche d’office s’il perd. C’est de la négociation mais c’est bien évidemment intéressant et il a moins de temps que les autres. Je pense que c’est vraiment un défi qui le botte. Un scénario comme ça, c’est excitant pour tout le monde. C’est une opportunité à saisir. S’il prend Zolani Tete, qui me paraît le champion le plus abordable de la catégorie, qu’il le bat, qu’il a deux ceintures et que le vainqueur du tournoi WBSS a les deux autres, ses deux ceintures vaudront beaucoup d’argent."
Avant de penser à tout ça, il faudra bien sûr passer l’obstacle Arthur Villanueva, "qui donnera son meilleur pour (le) battre" et qu’il a "étudié en détails pour exploiter ce qui peut l’être". Mais quand le chemin a été long, un seul titre ne rassasie pas assez. Nordine Oubaali a encore très faim et ne compte pas ranger sa fourchette de sitôt.