KSW (MMA): Salahdine Parnasse, itinéraire d’un phénomène

Le public a cru à une simple formule de journaliste. Saladine Parnasse serait "le Kylian Mbappé du MMA français". Une comparaison pas simplement sortie de l’esprit d’un plumitif: le KSW, organisation polonaise dans laquelle évolue le combattant français, utilise le parallèle depuis de nombreux mois sur les réseaux sociaux. Précocité, talent XXL, le 93 comme terrain pour grandir (Aubervilliers pour Salahdine, Bondy pour Kylian), les points reliant Parnasse à Mbappé sont nombreux. Et font sourire l’intéressé. "C’est flatteur. Kylian marque les esprits dans le football et j’espère faire pareil dans mon sport." "On a un talent de fou furieux dans le foot avec Mbappé et on a le même dans le MMA avec Salahdine, appuie Stéphane 'Atch' Chaufourier, entraîneur et manager de Parnasse. Ce tempérament de feu, cette maturité dans le combat, c'est incroyable."
A vingt-quatre ans, Salahdine Parnasse ne combat pas encore dans la cage de la prestigieuse UFC, plus grande organisation de la planète MMA. Il n’était pas dans la cage à Bercy le 3 septembre pour la première de l’UFC en France. Mais pour beaucoup, le champion des plumes du KSW – en lice ce week-end contre Sebastian Rajewski pour la ceinture intérimaire des légers de l’organisation polonaise, une des meilleurs au monde – est déjà le meilleur combattant français de MMA actuel toutes catégories confondues. "Je suis le meilleur", confirme-t-il de sa douce voix, sans oublier de rendre hommage à tout ce que Ciryl Gane a déjà accompli à l’UFC. "Le numéro 1, c’est lui et personne d’autre, enfonce ‘Atch’. On a ce qui se fait de mieux. Un gars qui maîtrise tous les paramètres du MMA. Il sait tout faire, ce petit."
La conséquence d’un parcours qui démarre tôt. Petit, le garçon n’a pas de footballeurs comme idoles. Il préfère "Jean-Claude Van Damme ou Steven Seagal, tous les films d’action". "C’est dans ma culture, ajoute-t-il. Mon père regardait beaucoup de films de combats, il était à l'armée donc il avait aussi cet aspect de combat et il me l'a transmis. Ma mère vient du Maroc, un pays qui aime les sports de combats. Tout ça a joué dans mon développement." Le gamin d’Aubervilliers pousse les portes de la Atch Academy, aujourd’hui plus grosse structure de MMA française avec plus de 1700 adhérents, à seulement onze ans. "C’était un petit gros mais qui était très rapide et qui savait ce qu’il voulait, raconte son coach. Il était déterminé à être le meilleur dès son plus jeune âge."
Il s’en sert aussi comme exutoire. "J’étais un petit avec beaucoup d’énergie donc il fallait que je fasse quelque chose pour canaliser tout ça, se souvient le combattant. Je voulais faire plusieurs disciplines en même temps et j’ai choisi le MMA pour ça. J’aime tout dans ce sport. C’est du plaisir et une passion." "Il avait besoin de se défouler et le MMA lui apportait ça, confirme 'Atch'. Ça se voyait à l’entraînement." Et son "deuxième père" (c’est Parnasse qui le dit) de compléter: "Salahdine a trouvé une deuxième famille ici. On part en vacances ensemble, je connais sa famille. Avec lui, c’est une très grande histoire. Commencer aussi jeune n’était pas commun à l’époque, contrairement à aujourd’hui. Mais des jeunes comme lui, on n’en a qu’un."
En parallèle de ses études, un CAP et un Bac pro de technicien en installation des systèmes énergétiques et climatiques, l’adolescent squatte la salle, déterminé. "Il était là tous les jours", sourit son coach. Les premiers combats amateurs arrivent bien avant la majorité. La première sortie professionnelle aussi, à dix-sept ans, en juin 2015, en pancrace (un MMA "light", en gros, car la version complète n'était pas permise en France avant la légalisation en 2020). Les victoires s’enchaînent, avec au passage des succès sur William Gomis (aujourd’hui à l’UFC) et Morgan Charrière (Cage Warriors). A tout juste vingt ans, fin 2017, il fait ses débuts au KSW, une des grosses organisations européennes.
En avril 2019, il en devient le plus jeune champion de l’histoire en remportant le titre intérimaire des plumes à vingt-et-un ans, quatre mois et vingt-quatre jours. Après une année 2020 blanche, pandémie oblige, Parnasse subit sa première défaite début 2021 pour le titre incontesté des plumes contre l’Autrichien Daniel Torres. Un revers qu’il vengera en fin d’année pour prendre la ceinture. "Il m’avait mis un coup un peu bizarre du biceps derrière la tête, un truc improbable. C’était son jour de gloire mais je me suis entraîné encore plus dur pour prendre ma revanche Tout le monde a pu voir que c’était un accident. J’ai appris de cette défaite, appris qu’il fallait se relever et ne jamais lâcher l’affaire." Avec le temps, cet athlète hyper agile a aussi développé son bagage technique.

Représentant de cette nouvelle génération qui débute directement par le MMA sans passer par un autre sport de combat, celui qui aime "tout donner à l’entraînement, plus qu’en combat" la joue hyper polyvalent: bon debout, bon au sol (où il est ultra fluide), le tout avec un réservoir inépuisable. "C’est un combattant assez complet, qui a un très bon physique, avec un très gros cardio et un gros volume de frappe, détaille Benoît Saint-Denis, combattant français de l’UFC qui l’a pas mal aidé à préparer son prochain combat en sparring. Il est assez précis, il débite énormément. C’est aussi un gros bosseur."
"Il ne s’arrête pas, appuie son coach. Il s’entraîne quasiment deux fois par jour depuis six-sept ans. Salahdine, c’est un animal. Le chat, tu as beau le jeter dans tous les sens, il retombe toujours sur ses pattes. C’est pareil. Il va vite, il a le timing, il sait lutter, défendre les attaques de lutte, il a un sol improbable, un striking de folie. Qu'est-ce que tu veux de plus?" Et Parnasse de conclure: "On prend du plaisir à me regarder car j’échange beaucoup en striking et j’apporte du style dans mon combat. Je suis agressif tout en restant intelligent. On ne s’ennuie pas dans mes combats. Je les gère à l’instinct et il y a toujours un truc fou qui se passe. C’est beau à voir."
Tout cela l’a mené à un bilan de 16-1 (deux KO, six soumissions, huit décisions). Nouvel objectif ? Devenir double champion avec la conquête de la ceinture des légers du KSW. Il aurait dû affronter le champion, Marian Ziolkowski, mais une blessure au genou de ce dernier a reporté le rendez-vous et lui offre à la place un autre Polonais, Sebastian Rajewski (dont il avait battu le frère Lukasz sur décision majoritaire pour ses débuts au KSW en décembre 2017), pour le titre intérimaire. "Il n'y a aucun Français qui l'a fait dans une aussi grosse organisation, précise 'Atch'. On veut être les premiers." "Il faut prendre cette ceinture pour marquer l’histoire du MMA français", renchérit Parnasse.
Il sera ensuite peut-être temps de penser aux trois lettres qui font rêver tous les combattants: UFC. Vu son talent, beaucoup aimeraient déjà voir celui qui cite Conor McGregor et Jose Aldo parmi ses modèles (mais aussi d’autres noms des sports de combat comme les boxeurs Canelo et Gervonta Davis ou le kickboxeur Superbon Banchamek) dans cette organisation. Mais le phénomène français n’est pas pressé, bien traité par le KSW sur le plan financier (il gagnerait beaucoup moins avec un premier contrat UFC de base) et qui devrait selon son coach combattre bientôt dans un grand stade dans cette organisation.
"Les gens oublient aussi que je suis très jeune, rappelle-t-il. J’ai l’impression qu’ils parlent de moi comme si j’avais trente-quatre ou trente-cinq ans et que j’étais en fin de carrière. Il faut être prêt au bon moment. Là, je me forme. Je prends de l’expérience. Je viens de tout en bas, un quartier sensible d’Aubervilliers, et j’essaie de gravir les échelons étape par étape. On verra où la suite me mène mais je travaille pour être le numéro 1." On en revient à un parallèle avec Mbappé, qui a préféré rester au PSG plutôt que de plonger dans le bain du Real Madrid. "Kylian créé sa stabilité et je fais pareil." Jusqu’à expliquer qu’il n’aurait pas de regret s’il ne rejoignait jamais l’UFC, ce dont on peut douter: "Ça dépend de ma carrière, de ce que j’ai construit. Je veux juste laisser une bonne trace. Et je pense que je suis bien parti pour laisser mon nom dans ce sport."
"Si demain il me dit: 'Je veux l’UFC', on va à l’UFC, explique 'Atch', qui ne pense pas que l’usure du temps va vite rattraper son élève malgré des débuts précoces tant il prend peu de coups dans ses combats. Mais on a encore le temps. Ne pas le voir pour le première de l’UFC à Bercy, bien sûr que ça piquait. Qui n’aurait pas les boules? Mais ce n’est pas grave. On va parler de lui. Il faut juste être patient. Pour l’instant, si on se sent bien ‘chez soi’, pourquoi partir? Ce qui nous fera partir, c’est d’aller chercher cette première place car c'est un compétiteur qui veut montrer qu’il est LA pépite mondiale. Une double ceinture du KSW serait un levier de négociation pour espérer beaucoup plus quand on ira."
Peu adepte du trashtalking ("Il parle avec ses poings et ses jambes", sourit son coach) et pas très à l’aise devant les micros et les caméras ('Atch' le pousse à faire plus de media training car la chose est indispensable dans "cette génération où il faut savoir se vendre"), le combattant français n’a pas le profil d’une superstar populaire par ses mots. Mais ses qualités sportives emportent l’adhésion. Au point de se demander déjà ce qu’il donnerait face à Alexander Volkanovski, champion des plumes de l’UFC et meilleur combattant de la planète dans cette catégorie.
"Volkanovski est un super athlète mais il n’a jamais pris un animal comme Salahdine, estime 'Atch'. Salahdine peut le faire tombe car il a tout, le striking, le travail de transitions, le sol, et surtout cette capacité à tenir cinq rounds." Parnasse en a sans doute très envie. Mais chaque chose en son temps. "Je fais partie des cinq meilleurs prospects mondiaux dans le MMA, c’est déjà quelque chose d’énorme. Il faudra des années pour me rattraper dans ma catégorie en France. On est 7000 sur la planète dans cette division et j’arrive dans le top 20 mondial." Le sommet de la montagne n’est pas encore là. Mais Salahdine Parnasse a tout pour la gravir.