UFC 311: pourquoi Merab Dvalishvili a fait de la Russie son adversaire numéro 1

Des bisous dans le dos de Sean O’Malley en plein combat, des sketchs avec un sosie de son adversaire pour faire monter la sauce, des memes à tout-va sur les réseaux sociaux… Personnage facétieux et provoc’, sanguin et drôle à la fois, Merab Dvalishvili, malgré son profil de lutteur monomaniaque et pas toujours spectaculaire, a su se faire une place dans le cœur de nombreux fans de l’UFC.
Devenu peu à peu une figure de l’organisation depuis ses débuts en 2017 (deux défaites initiales, puis onze victoires, série en cours), "The Machine" en est aujourd’hui l’un des principaux animateurs, un moulin à paroles omniprésent en ligne et dans les podcasts spécialisés. Mais il y a une situation où l’actuel champion des poids coqs (-61kg) fait systématiquement tomber le masque, enlève son costume de pitre et devient plus grave: quand il s’agit de la Russie.
Le combattant de poche, né à Tbilissi en janvier 1991, soit trois mois avant la proclamation d’indépendance de la Géorgie, se présente comme un patriote, fier de son pays, de son histoire, et soucieux de sa souveraineté. Un athlète qui, en dehors de la cage, s’est trouvé un adversaire d’ampleur: le régime de Vladimir Poutine, et sa politique expansionniste.
Or, ce dimanche 19 janvier (à partir de 2h sur RMC Sport 1), si Merab Dvalishvili va défendre sa ceinture en co-main event de l’UFC 311 à Inglewood (Californie), c’est sur une carte à l’accent très, très russe qu’il va combattre. Avant lui: Tagir Ulanbekov et Azamat Bekoev dans les duels préliminaires. Après lui: Islam Makachev, Russe du Daghestan, contre Arman Tsarukyan, Arménien élevé en Russie, pour le titre des -70kg. Et face à lui, donc, un autre Russe du Daghestan: Umar Nurmagomedov, cousin du célèbre et invaincu Khabib.
"Umar n'est pas de Russie, il vient du Daghestan"
La nationalité réelle de son adversaire, c’est d’ailleurs le débat lancé par Merab Dvalishvili, en septembre dernier, juste après avoir été couronné. Interrogé dans la foulée de sa victoire contre Sean O’Malley sur Umar Nurmagomedov, déjà pressenti pour être son futur rival, "The Machine" avait repris un journaliste en conférence de presse. "Umar, en réalité, n’est pas de Russie. Il est du Daghestan, et il combat sous le drapeau russe. Ce n’est pas pareil", assurait-il.
Une sortie anodine? Pas vraiment. Elle avait en tout cas irrité Islam Makhachev, interrogé quelques jours plus tard sur le sujet. "Merab vit aux Etats-Unis (depuis ses 21 ans, NDLR), il n’a aucune idée de quoi il parle. Le Daghestan fait partie de la Russie. Il essaye juste de nous provoquer."
Pas de quoi faire changer d’avis Dvalishvili. "Nous savons tous que Khabib (Nurmagomedov) et Islam sont du Daghestan. Khamzat (Chimaev) vient de Tchétchénie, Movsar Evloev d'Ingouchie. Ils sont tous de petits pays, de pays différents. (…) La Russie a pris le contrôle de ces pays et ils doivent représenter la Russie", a-t-il insisté fin septembre, dans le podcast de Jake Shields. "Donc si on me demande si Umar vient de Russie, je dis non, il vient du Daghestan. Nous sommes amis. Ce sont des gens durs comme les Géorgiens. (…) Il est du Daghestan, mais il ne fait que représenter le drapeau russe."
La guerre de 2008, un traumatisme et une rancœur
Si Dvalishvili a fait entrer ces considérations géopolitiques (qui n’intéressent pas vraiment le public américain, disons-le) dans son combat à venir, c’est que l’affaire le touche personnellement. Car quelques années avant de prendre son sac à dos et de partir à la conquête de l’Amérique, le lutteur géorgien a lui-même connu la guerre. La seconde guerre d’Ossétie du Sud, pendant quelques jours en août 2008, soldée par une défaite géorgienne et la perte d'un territoire toujours revendiqué par Tbilissi.
"J’avais 17 ans quand la Russie a attaqué la Géorgie et lancé des bombes sur la capitale, c’était tellement effrayant", racontait Dvalishvili en 2023. "Je voulais me porter volontaire pour m’engager dans l’armée et aider mon peuple." Il n’en aura pas eu le temps, mais a développé depuis une rancœur tenace à l’encontre du belligérant russe. En témoigne, le 8 août de chaque année, ce même message posté sur les réseaux sociaux: "Voici le jour où la Russie est entrée en guerre contre la Géorgie. Nous nous souviendrons toujours des personnes qui se sont battues pour notre pays et que nous avons perdues dans cette guerre."
"Gloire à l'Ukraine, gloire à la Géorgie"
Ce ressentiment ne l’avait pourtant pas empêché de combattre à l’UFC Moscou en septembre 2018, décrochant en terre hostile sa première victoire (contre Terrion Ware) dans l’organisation. Sauf que depuis, la donne a changé. La Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, et le ton est monté. Merab Dvalishvili s’est soudainement fait plus véhément.
"Avec Khabib (Nurmagomedov), nous venons de la même zone géographique, du Caucase. Sauf qu’eux vivent d’un côté, nous de l’autre. Nos peuples se ressemblent, à la différence qu’ils sont musulmans et nous chrétiens. Mais nous sommes proches. Le problème est qu’ils représentent la Russie", lançait-il en août 2022 après sa victoire contre José Aldo à l’UFC 278, en réponse à une question sur sa ressemblance (relative) avec l’ancien rival de Conor McGregor. "La Russie occupe 20% du territoire de la Géorgie, et ils font la même chose à l’Ukraine maintenant. J’espère que nous pourrons stopper la guerre. C’est fou que des gens meurent chaque jour, et que personne ne puisse rien y faire. (…) Donc j’ai du respect pour Khabib, mais je ne suis pas Khabib, mon nom est Merab Dvalishvili."
Du respect pour Khabib Nurmagomedov, mais nettement moins pour Petr Yan, son adversaire en mars 2023. Petr Yan, un dur à cuire de Sibérie. Beaucoup trop russe pour que Dvalishvili ne fasse pas de leur combat une affiche très politique, un duel à la portée symbolique. "Ce combat n’est pas un simple combat, c’est personnel à mes yeux", assurait le Géorgien quelques jours avant leur affrontement. "Il est de Russie, je suis de Géorgie. Nous savons tous ce que font les Russes aux Ukrainiens actuellement et ce qu’ils ont fait à la Géorgie. La Russie n’est pas un pays démocratique, et je veux gagner pour mon peuple. Je reçois du soutien de mon pays et de l’Ukraine aussi."
Sitôt la victoire décrochée, Dvalishvili en avait remis une couche dans l’octogone, scandant "Gloire à l’Ukraine, gloire à la Géorgie" sous les sifflets du public de Las Vegas. Et encore en conférence de presse: "Je sais ce qu’il se passe en Géorgie en ce moment, ils sont tellement heureux, c’est tellement important pour ce petit pays qu’un combattant géorgien ait battu l’ancien champion russe Petr Yan… Ça représente beaucoup pour moi. Je sais aussi que beaucoup d’Ukrainiens me soutenaient car j’affrontais un Russe. C’est du sport mais… Nous ne pouvons pas stopper la Russie, mais au moins nous pouvons la battre en sport."
En sport, et en com’. Quelques semaines avant son combat contre Yan, Merab Dvalishvili avait exhibé, sur son torse, un nouveau et unique tatouage. Le motif? Le drapeau géorgien, reprenant la forme du territoire, Abkhazie et Ossétie du Sud comprises évidemment. Le même dessin qu’il portait quelques mois plus tôt en pendentif autour du cou, avant que l’UFC ne lui demande de l’enlever. "Je portais ce collier, et l’UFC m’a envoyé un mail pour me dire que je n’avais plus le droit de le mettre", justifiait Dvalishvili. "Sauf que moi, j’ai justement commencé à combattre pour représenter mon pays, c’est ma motivation première. Je ne peux pas porter mon drapeau en collier? Alors je l’ai fait tatouer. Maintenant ils ne peuvent pas me l’enlever. Enfin, ne leur donnez pas l’idée."