UFC: Masvidal-Covington, les dessous d’une rivalité explosive

Jon Jones contre Rashad Evans. Chuck Liddell face à Tito Ortiz. T.J. Dillashaw et Cody Garbrandt. Ciryl Gane avec Francis Ngannou. Dans son histoire, l’UFC a proposé plusieurs combats – liste non exhaustive – entre anciens partenaires d’entraînement. Un moment toujours particulier, à l’image de la saveur qui entoure le choc explosif entre Jorge Masvidal et Colby Covington ce week-end à Las Vegas lors de l’UFC 272. Les deux hommes, sur qui on peut compter pour ne pas se serrer la main après, ont promis de se faire les pires choses dans la cage. Logique. Ils se détestent. Ils se sont pourtant tant aimés…
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Masvidal et Covington ont partagé des séances de sparring. Ils ont habité ensemble. Le second a souvent appelé le premier son "meilleur ami". Mais ça, c’était avant. Covington rejoint American Top Team (ATT) en Floride, en 2011, après avoir répondu à une petite annonce cherchant des lutteurs de haut niveau. L’ancien double champion de conférence à l’université y rencontre Masvidal, arrivé dans la salle en 2007, et les deux accrochent. Ils se mettent à "tourner" ensemble à l’entraînement. Masvidal, réputé pour sa boxe, compte sur Covington pour améliorer sa lutte. Idem dans l’autre sens. "Les opposés s’attirent, c’était naturel", se souvient Covington pour ESPN.
"On aurait dit qu'ils étaient en couple"
Réservé, de quoi sourire quand on le voit maintenant, le futur "Chaos" n’a pas beaucoup d’amis chez ATT. Mais avec "Gamebred", le courant passe. Fans de poker, les deux organisent des virées dans des casinos du coin. Quand ils combattent, l’un est dans le coin de l’autre. Au micro, ils parlent de "conquérir le monde ensemble". En 2016, quand Covington vit une sale période entre séparation avec sa copine et convalescence après une main cassée, Masvidal l’invite à venir habiter dans son appartement de Coconut Creek. Ils vont être colocataires pendant neuf mois. Avec un rituel: quand un va combattre, l’autre laisse de la junk food dans les parties communes pour tester sa capacité de résistance.
"On aurait dit qu’ils étaient en couple", s’en amusait Dan Lambert, patron et fondateur d’ATT. Selon Masvidal, qui dit qu’il nourrissait et fournissait tout à son pote, Covington et lui se seraient mis d’accord pour un loyer mensuel de 300 dollars. Mais il affirme ne jamais avoir reçu le moindre centime. Covington voit la chose autrement. Pour lui, il n’habitait pas chez Jorge mais chez sa femme Maritza. "Il n’avait pas de sponsors, ses combats ne rapportaient pas beaucoup, il était fauché. C’est elle qui mettait un toit sur nos têtes et de la bouffe sur notre table."
En 2017, à l’occasion d’un combat au Brésil contre Demian Maia, Covington entame sa mue. Celle qui va le transformer en personnage détestable pour sauver sa carrière à l’UFC. Ses insultes au peuple brésilien après sa victoire créent des tensions avec les combattants de cette nationalité chez ATT. Mais tout va encore plutôt bien avec Masvidal, qui lui avait conseillé de ne pas insulter tout un pays. Enfin… Pour Covington, les premières tensions apparaissent là. Cinq mois plus tôt, Masvidal a été battu par Maia. A son retour du Brésil, Colby se souvient avoir senti "un froid" chez Jorge. Il l’explique par une jalousie envers ses performances et raconte que Masvidal lui aurait alors lancé qu’il était OK s’il devait l’affronter quand cette idée n’avait jamais traversé l'esprit de Covington.
"Ça a fait mal, juge ce dernier, car je lui ai donné beaucoup. Au début, j’ai mis ma carrière au second plan pour lui. Je ne pensais pas à mes combats mais à le préparer pour les siens." Il faut attendre l’année suivante pour le point de bascule. Jorge à ses côtés, Colby bat Rafael dos Anjos en juin 2018 pour devenir champion intérimaire des welters. Mais la situation d’un autre homme dans son coin, Paulino Hernandez, va enflammer les choses. Coach de striking (combat pieds-poings debout) de Masvidal, pour qui il est "comme son père" et qui raconte qu’il est celui qui a cru en lui quand il n’était encore qu’un combattant de rue, cet exilé cubain – comme le papa de Jorge – pionnier du kickboxing et du taekwondo sur son île devient aussi coach de Covington quand les deux combattants se lient d’amitié.

Avec Masvidal, l’accord se base sur une poignée de mains : 5% de ses bourses de combat pour Paulino. Même deal avec Covington, qui le respecte. Mais après sa victoire sur Dos Anjos, les comptes se brouillent. Selon les médias, Covington a pris une bourse de 350.000 dollars. Il devrait donc 17.500 dollars à Hernandez. Ce dernier explique à MMA Junkie qu’il lui en a donné 5000. Manque 12.500. Jorge relance plusieurs fois Colby, qui esquive. Masvidal prétend même les avoir payés de sa poche car il se sentait mal après avoir présenté Paulino à Covington. "Je savais qu’il n’allait pas me payer, se souvient Hernandez, car Colby avait dit à Jorge que ça allait faire trop d’argent pour moi mais j’ai quand même fini mon job car je voulais qu’il soit champion."
Covington, lui, affirme n’avoir gagné que 200.000 dollars pour ce combat. Impossible à vérifier car la commission athlétique de l’Illinois, Etat où il avait eu lieu, ne révèle pas publiquement ces montants. "Ce n’est pas le cas mais même si sa version est bonne, les 5% auraient fait 10.000 dollars, il m’en devait toujours 5000, conclut le coach. Après tout ce que j’avais donné pour lui, il n’a pas honoré sa part du contrat. Depuis, on ne s’est plus jamais parlé. Je l’ai croisé une fois et j’ai compris à son regard que cette amitié était terminée. Il a oublié tout ce que j’ai fait pour lui." "Cette histoire a accéléré les choses, c’est là que notre relation a tourné à l’aigre", pointe Masvidal.

"Il y avait des signes qui me troublaient, la façon dont il parlait de sa sœur ou de sa mère, la façon dont il traitait sa famille"
Mais les graines étaient déjà plantées. "Vous ne trouvez pas d’interviews où je dis qu’il était mon meilleur ami car il y avait des signes qui me troublaient, la façon dont il parlait de sa sœur ou de sa mère, la façon dont il traitait sa famille. J’essayais déjà de m’éloigner de lui petit à petit mais avant même que je ne puisse le faire, il a trahi mon coach et j’ai su depuis ce moment-là que j’allais finir par lui faire mal." L’année 2019 va accélérer l’embrouille. Masvidal devient une superstar en quelques mois et s’inscrit comme un challenger pour le titre des welters que convoite Covington, qui a perdu sa ceinture intérimaire pour ne pas s’être mis d’accord avec l’UFC pour affronter le vrai champion Tyron Woodley. Colby appelle encore Jorge son "meilleur ami" en public à l’été 2019. Mais dans une interview pour MMA Junkie en juillet, il évoque leur relation comme "Batman et Robin". En précisant qu’il est Batman et Jorge son numéro 2. Première pique publique.
En août, à l’UFC 241, à Anaheim (Californie), Masvidal est assis juste au-dessus de Covington en tribunes. Il lui tape sur l’épaule et l’interpelle: "Pourquoi tu dis toute cette merde sur moi? Tu as mon numéro de téléphone. Pourquoi ne pas aller dehors pour parler comme des hommes?" Covington l’accuse de manquer de professionnalisme à vouloir se battre dans ce cadre et implique Dana White, patron exécutif de l’UFC. La sécurité change Masvidal de siège et le suit tout le reste de la soirée pour éviter les débordements. "Les choses se règlent dans la cage", lance (prédit?) Colby.
Quelques semaines plus tard, en septembre 2019, Masvidal arrive chez ATT et croise Covington. Jorge vient lui parler et lui demande de s’expliquer, le traitant de "salope" pour tout ce qu’il dit sur lui. "C’était plutôt amical", nuance Masvidal. Mais quand ce dernier se retourne pour partir, Covington hausse le ton: "Je vais te tuer, mec! Ne me parle plus jamais comme ça!" Les autres combattants de la salle s’interposent. Masvidal affirme que Covington a fait exprès d’attendre qu’il soit loin et Colby prétend que Masvidal est celui qui a commencé à gueuler. Masvidal raconte avoir ensuite invité Covington à le rejoindre dans un restaurant de sushis fréquenté par les deux près de la salle. Mais Covington ne vient pas. S’il l’avait fait? "Je lui aurais sans doute brisé une bouteille sur la tête", répond Jorge. Colby affirme que son rival l’a en fait invité à régler les choses sur le parking d’un supermarché.
En clash ouvert avec d’autres combattants chez ATT, Joanna Jedrzejczyk et Dustin Poirier, Covington voit ses horaires d’entraînement aménagés. "S’ils avaient été ensemble, Jorge aurait tenté de l’attraper", justifie Mike Brown, coach des deux chez ATT. En mars 2020, Dan Lambert fini par instaurer une règle: ses combattants ne doivent pas parler mal l’un de l’autre dans les médias. Masvidal, vexé qu’elle soit mise en place après tant d’attaques verbales de Covington, la brise direct avec un tweet où il parle de Covington comme le combattant "le plus fragile" et "le plus sensible" de l’histoire de l’UFC. L’attaque de trop. Lambert leur envoie un texto pour les virer de la salle: "Je vous préférais quand vous étiez fauché et que l’équipe était plus importante que vous-mêmes. Aucun de vous ne peut revenir. J’espère que vous combattrez l’un contre l’autre et que vous vous en mettrez plein la gueule."
"La situation commençait à affecter d’autres personnes dans la salle et je ne pouvais plus la garder sous contrôle", appuie-t-il aujourd’hui. Covington répond à celui qui est aussi son agent qu’il comprend sa décision et le remercie pour tout. Il ne reviendra plus jamais chez ATT, départ officialisé en mai 2020 pour rejoindre MMA Masters à Miami. Masvidal ne veut pas entendre parler de la sanction mais Lambert tient bon et l’oblige à un exil de trois mois, durant lequel Hernandez et Brown viennent l’entraîner à Miami, mais finit par le réintégrer à la demande de Brown et pour ses enfants qui avaient arrêté de lui parler (!) car proches de Masvidal. "Un seul gars est revenu chez ATT en pleurant et suppliant", s’en amuse Colby. Quelques combats perdus contre Kamaru Usman plus tard, les deux vont pouvoir régler leurs comptes dans la cage de l’UFC 272.
Favori derrière sa lutte de haut niveau et un striking en progrès, Covington raconte qu’ils ont sparré environ 1000 rounds ensemble et que Masvidal, qui a préparé leur choc en travaillant avec le triple champion universitaire de lutte Bo Nickal, n’a "pas pris l’avantage une seule seconde". Mike Brown tempère. Selon lui, Colby prenait le dessus en lutte mais Jorge la jouait "très facile" quand le sparring incluait toutes les facettes du MMA: "Il était à des années-lumière devant en striking". Tout va se régler devant les yeux du monde, enfermés dans une cage. Où chacun promet de faire le plus mal possible à l’autre. Au départ, beaucoup avaient pensé à une rivalité "fabriquée" par les deux pour générer de l’intérêt. Erreur. Kayla Harrison, double championne olympique de judo et double championne de l’organisation PFL, arrivée chez ATT en 2018 et qui longtemps considéré Covington comme un ami, résume la chose: "Ils vont venir pour se tuer. C’est bien réel."