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Affaire Sinner: "Il faut que tous les athlètes soient logés à la même enseigne, ce n'est plus le cas avec l'Agence mondiale antidopage", estime un spécialiste

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Après avoir défendu Simona Halep à l’échelle mondiale pour son contrôle positif au roxadustat et ses anomalies sur son passeport biologique en octobre 2022 ou encore l’escrimeuse française Ysaora Thibus en début d'année, Jean-Claude Alvarez est très mobilisé dans le milieu du sport et dans la lutte contre le dopage. Ce mercredi, le directeur du laboratoire de toxicologie du CHU de Garches réagit à l'affaire Sinner.

Vous êtes souvent intéressé par les cas de dopage dans le sport, en défendant publiquement Simona Halep ou Ysaora Thibus. Lorsque vous avez découvert l’affaire Sinner, y a-t-il de nombreux points qui vous ont dérangé?

Dans cette affaire, c'est très simple: qu'il y ait eu contamination par la peau, c'est tout à fait possible. Ça a déjà été prouvé, ça peut exister, donc on ne peut pas l'exclure. Moi, j'attends la publication qui permettra de le prouver. Dans ce genre d'affaire, il faut prouver les choses scientifiquement. C'est-à-dire qu'en l'occurrence, il faut prendre son kiné, lui remettre de la crème sur la main, faire des massages à Sinner, et ensuite faire des prélèvements d'urine pour voir si on retrouve réellement la même concentration que celle observée lors de ses deux contrôles. Et là, je dirais, c'est exact, c'est prouvé, ça marche.

Quand on voit la suspension de Simona Halep à l’époque, peut-on dire qu’il y a un traitement différent?

C’est ce qui est surtout étonnant dans cette affaire: il n'y a pas la même procédure pour tout le monde. C'est extraordinaire. Pour Simona Halep, on a prouvé scientifiquement qu'elle avait été contaminée. La procédure a duré 18 mois. Elle a été suspendue provisoirement pendant 18 mois. Elle a demandé 5 ou 6 fois la levée de sa suspension provisoire, et cela a toujours été refusé. Et là, Sinner, on lui autorise la levée de sa suspension provisoire pendant 5 mois. Mais pour quelle raison?

D'ailleurs, je rappelle qu'il est obligatoire, selon les règles, de publier un cas positif. Vous êtes positif, vous êtes suspendu tout de suite, surtout que c'est une substance non spécifiée, un anabolisant. Il n'y a rien de pire dans le dopage. Vous êtes suspendu immédiatement. Ensuite, vous devez prouver votre bonne foi, et c'est publié. Là, en l'occurrence, pas de publication et la suspension provisoire est levée. Mais pour quelle raison? Il faut que tous les athlètes soient logés à la même enseigne, ce qui n'est franchement plus le cas avec l'Agence mondiale antidopage. L'exemple des nageurs chinois: pas de publication, pas de suspension immédiate obligatoire. Ils n'ont pas eu un seul jour de suspension. Mais pourquoi?

Cette substance dans son corps peut-elle expliquer les très bonnes performances des derniers mois de l’Italien?

Mais je n'en sais rien, malheureusement. Sur un ou deux prélèvements urinaires, on ne peut pas savoir si réellement il est dopé ou pas. Ça peut être une contamination, mais ça peut également être du dopage si c'est pris plusieurs jours avant. Il a une concentration très faible dans ses urines. Seule l'analyse des cheveux permet de distinguer la contamination du dopage. J'espère qu'il a eu des analyses de cheveux, mais je ne les ai pas encore vues. J'espère bien qu'on lui a fait des analyses capillaires qui permettront de montrer que ce n'est pas du dopage, mais juste de la contamination. C'est-à-dire qu'il a eu des toutes petites doses qui ne lui ont rien fait. C'est ça la différence entre le dopage et la contamination.

Pourquoi n’analyse-t-on pas directement les cheveux si c’est plus fiable?

C'est une excellente question. On se bat pour que l'Agence mondiale antidopage admette les analyses capillaires, mais ils ne savent pas les faire et tout ça prend du temps. Il faudrait qu'ils admettent que dans ces cas-là, il faut faire des analyses capillaires. Cela ne peut pas remplacer l'analyse urinaire ou sanguine, mais c'est un apport. Quand il y a un positif, cela permet d'aller plus loin et de comprendre les choses. Je ne comprends pas pourquoi ils s'entêtent à refuser l'analyse capillaire.

Pourquoi vous engagez-vous publiquement aujourd’hui?

Je trouve ça tellement honteux. Vous ne pouvez pas savoir dans quel état est Simona Halep, c’est elle qui me l’a appris. Elle ne comprend pas pourquoi on s'est autant acharné sur elle. Quand elle voit ça, elle ne comprend pas. Mais comment voulez-vous que les athlètes comprennent cette différence de traitement entre eux? Ce n'est pas normal, ce n'est pas normal. Il faut vraiment que tout ça change. Toutes les règles ont été bafouées: ça doit être publié, ce n'est pas publié, c'est caché. Il doit être suspendu. Il est suspendu provisoirement, mais on lui lève sa suspension. Pendant ce temps-là, il continue à faire des tournois et il les gagne. Il reste numéro un mondial. Mais aujourd'hui, après cinq mois d'arrêt, il devrait être 20e ou 30e mondial. C'est ça la différence. Simona Halep n'est plus classée aujourd'hui, et on lui refuse des wild cards parce qu'elle est soi-disant une ancienne dopée sur le circuit. Le tribunal a reconnu sa contamination, mais on la considère comme une ancienne dopée, c'est scandaleux.

Albin Teixeira