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ENTRETIEN RMC. US Open, rivalité Alcaraz-Sinner... La légende John McEnroe se confie dans Bartoli Time

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Invité exceptionnel de Bartoli Time sur RMC ce dimanche, la légende du tennis américain John McEnroe, vainqueur de sept titres du Grand Chelem en simple, se confie longuement sur l'importance de l'US Open pour les Américains et donne son favori entre Jannik Sinner et Carlos Alcaraz.

John McEnroe, si vous deviez décrire aux Français à quel point l'US Open est spécial pour vous, que diriez-vous?

Je dirais que j'ai grandi à 15 minutes d'ici. Je dirais que j'ai été ramasseur de balles ici. Je dirais que le premier tournoi auquel j'ai participé à huit ans et demi était l'US Open original à Forest Hills. Il y a donc beaucoup d'histoires à raconter. Alors, pouvoir participer à un événement aussi proche de chez moi, avec autant d'énergie… New York est une ville folle, mais j'adore ça. J'adore jouer ici, et puis jouer, être enthousiasmé par ce public, et j’adore revivre tous ces souvenirs, ces victoires et ces quatre titres en simple à l'US Open, je l'admets.

Vous l'avez dit, l'ambiance ici est incomparable. Comment avez-vous vécu ce match et de quel match en particulier vous souvenez-vous aujourd'hui en parcourant les couloirs de l'US Open?

Malheureusement, je n'ai jamais pu jouer sur le court Arthur Ashe. Il est arrivé après ma fin de carrière. Mais il a été un mentor pour moi. C'était un être humain formidable, et il me manque encore. Cela dit, les matchs nocturnes ont commencé ici à la fin des années 70. En 79, j'affrontais Ilie Năstase. C'était l'un des environnements les plus fous que j'aie jamais connus: il a été disqualifié puis réintégré. J'avais envie de le tuer. J'allais l'étrangler après le match. Il m'a dit : “Macaroni, j'ai quelques amis. Allons dîner.” Et j'ai fini par dîner avec lui après le match. Mais ma meilleure année personnelle, à mon avis, ça a probablement été celle d'après, en 1980. J'avais perdu contre Borg lors de cette demi-finale épique, du moins pour moi, à Wimbledon. J'avais gagné le tie-break, mais j'avais finalement perdu le match. Puis je suis revenu à l'US Open et je me suis dit: "Je ne peux pas tout gâcher à nouveau." J'ai fini par battre Ivan Lendl en quarts, Jimmy Connors 7-6 au cinquième, en demi-finale, et je suis revenu le lendemain, parce qu’à l'époque, il n'y avait pas de jour de repos. J'ai cru que j'allais à nouveau tomber en panne d'essence. J'avais deux sets d'avance sur Borg, et j'ai perdu les troisième et quatrième. Et puis j'ai remporté le cinquième et ce set a probablement été le plus beau moment que j'ai jamais vécu ici à l'US Open.

Vous avez vécu de très grands matchs ici à l'US Open. Nous sommes maintenant en 2025. Il y a une rivalité qui est en train de s'installer entre Jannik Sinner et Carlos Alcaraz, et Novak Djokovic, qui essaie justement d'aller remporter son 25e tournoi du Grand Chelem. Est-ce que le niveau actuel du tennis vous impressionne?

Ils sont tous les deux de jeunes hommes, mais ils sont de grands jeunes hommes. Ils représentent un réel atout pour notre sport. Mais je dois dire que Carlos Alcaraz est mon joueur préféré à regarder. Et c'est surtout parce qu'il est prêt à tout faire et tout essayer. Il n'est pas content de jouer juste du fond de court. Beaucoup de joueurs ont joué comme ça depuis longtemps, et c'est devenu un peu répétitif, avec le même style de jeu, et puis il y avait les gros serveurs. Donc, ils ont essayé de changer ça à Wimbledon, de ralentir le court pour que le service ne soit pas si important. Ironiquement, les courts ici à l’US Open sont assez rapides, et je pense que ça les rend plus intéressants, parce que les joueurs doivent être plus à l'aise de venir au filet. Sinner a travaillé dur sur ça. Leur rivalité est évidemment incroyable. Mais Alcaraz est le joueur de 22 ans le plus talentueux que j'ai jamais vu dans ma vie. Ça inclut Djokovic, Nadal et Federer, ce qui est assez incroyable. Il a la possibilité de les rattraper, mais je pense surtout qu'il a réussi à faire en sorte que les joueurs plus jeunes qui arrivent n’ont pas d’autres choix que d’être plus complets, donc j'aime ça. Et puis c'est évidemment une clé pour ce sport, je pense, pour nous. Je suis un peu chauvin en tant qu'Américain. Mais on a besoin d'un joueur américain pour être peut-être ce troisième gars après Sinner et Alcaraz. On a besoin de quelques gars pour venir s’intégrer là-dedans, pour amener de la vie à ce sport ici, en Amérique. Donc, j'espère que quelqu'un comme Ben Shelton peut être celui-ci.

J’ai eu la chance de vous croiser à Roland-Garros cette année. Nous étions tous les deux en train de commenter la finale de Roland-Garros entre Jannik Sinner et Carlos Alcaraz. Certains commentateurs ont dit que c'était la plus grande finale de tennis de tous les temps. En tout cas, elle en fait certainement partie. Avec la revanche qui a eu lieu à Wimbledon quelques semaines après, est-ce que pour vous, il y a un favori à l'US Open?

Je pense qu'ils sont tous les deux favoris pour aller chercher cet US Open. Évidemment, leurs personnalités sont différentes, mais je pense que, dans un certains sens, ça les rend plus intéressants. Borg et moi, nous étions totalement différents. Leurs jeux sont différents aussi. Carlos est plus un joueur de coups. Il prend plus de risques. Pour moi, quand ils vont tous les deux sur le court et qu'ils jouent tous les deux leur meilleur tennis, je pense que Alcaraz est le meilleur joueur du monde. Mais si Carlos faiblit juste un petit peu, Sinner le bat, je pense. Après, ce tournoi, c'est un long chemin à traverser… On leur met de la pression. “Bien sûr, Alcaraz et Sinner seront en finale !” Mais ce n'est pas si facile. Même Djokovic a un peu regardé dans le miroir. Après tout son succès, il pense qu'il doit, si je peux dire, être un peu chanceux pour en gagner un de plus et tenter de battre tous les records. Il n'a pas joué de matchs depuis Wimbledon. Mais quand on y pense, il était en demi-finale en Australie, en demi-finale en France et en demi-finale à Wimbledon. Donc, il est le troisième favori. Il n'y a pas de question autour de ça. Il dit qu'il a travaillé très dur en termes de santé. Est-ce qu'il a besoin de jouer des tournois à ce moment-ci ? Non. Il veut passer plus de temps avec sa famille. Il a d'autres intérêts. Tout le monde le comprend. Je veux dire, il va bien, mais ça va être difficile d'en gagner un autre.

Au fil des années, l'US Open a testé beaucoup de nouveautés, et cette année, c'était évidemment le double mixte. Que pensez-vous de ce format ? Pensez-vous que le tennis devrait se réinventer et changer certaines choses, ou êtes-vous satisfait de la situation actuelle?

Je crois toujours que, dans n'importe quel sport, il faut continuer à chercher de nouvelles façons pour amener les gens à s’intéresser au sport. Et je pense que le tennis en a besoin. Aujourd’hui, on ne nous accorde plus la même attention qu’à l’époque. Donc, ils doivent essayer quelque chose de différent. Je veux dire, nommez-moi les joueurs qui ont gagné les doubles mixtes à l’Open d'Australie. Avec tout le respect, vous allez avoir du mal à trouver la plupart des noms dans la liste. Donc, l'idée était de faire quelque chose de différent où ils savaient que les meilleurs joueurs joueraient. La seule façon de faire ça, c'est si vous le faites la semaine avant le tournoi. Et vous le faites dans un format qui n'est pas physiquement si difficile. Donc, je pense que c'était une victoire pour le tennis. Je pense que c'était comme une coup de poker pour beaucoup de joueurs. Ils n'avaient pas pratiqué ensemble, donc ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Mais ils le prenaient sérieusement. Je pense que les fans aimaient ça. Il y avait un buzz autour de ça. Et peut-être, pour les joueurs de doubles de l'ancienne école, c'était bien de voir que l'équipe qui a gagné l'année dernière a gagné cette année. Donc, ils se sentaient un peu mieux pour eux-mêmes. Mais la clé, c'est de donner plus d'attention à ce sport. Soyons honnêtes. Et je pense que quand l'US Open et les autres Majeurs ont essayé de faire plus pour créer de l'intérêt, ils ont réussi.

Vous avez beaucoup de projets en cours pour vous aussi, John. Une des choses les plus importantes pour la communauté ici à New York, c'est que vous avez beaucoup d'académies. J'ai eu la chance de participer à votre programme lorsque vous avez levé de l'argent pour votre œuvre caritative et vous avez fait de merveilleux projets. Pouvez-vous nous en parler un peu, de ce projet, de ce que vous faites pour ces enfants et de ce que vous essayez d'atteindre?

J'ai eu de la chance, quand j'étais jeune, de recevoir des opportunités que la plupart des enfants ne reçoivent pas. Je ne savais pas à quel point j'étais chanceux à l'époque. Les gens que j'ai rencontrés et le soutien que j'ai reçu avec les gens qui étaient dans le tennis depuis longtemps. Je suis biaisé. Je pense que la ville de New York est la plus grande ville du monde. Je pense qu'il devrait y avoir des événements de tennis ici. Je pense qu'il devrait y avoir une académie, mon académie, dans la ville de New York, où les enfants peuvent venir. Ce que je souhaite faire, en substance, c'est changer la vie du plus d'enfants possible. Des enfants qui n'ont pas vraiment de chance. La plupart ne vont pas devenir des joueurs de tennis, mais cela leur donnerait l'opportunité d'aller à l'école, d'obtenir une éducation, peut-être de jouer au tennis à l'école, et d'utiliser tout ce qu'ils ont appris en se développant en jouant au tennis pour avoir du succès dans la vie. La victoire ultime, parce que je suis né dans le Queens, à 15 minutes de là où nous parlons maintenant, ce serait que l'un des enfants qui vienne à mon académie réussisse à gagner un US Open. Ce serait vraiment incroyable, et je pense que cela apporterait beaucoup d'intérêt à notre sport. Mais les gens ne comprennent pas. Il y a beaucoup de courts publics dans la ville. D'une certaine manière, c'est probablement plus que dans n'importe quel autre endroit, n'importe quelle autre grande ville du monde. Mais vous devez toujours payer pour les raquettes, vous devez toujours payer pour les balles, vous devez toujours payer pour l'entraînement. Vous devez aller aux tournois. Les tournois sont aux quatre coins du pays. Donc, c'est un gros défi pour la plupart des gens. Pour 99 % des gens, ils n'ont pas l'argent pour le faire. Donc, j'essaie, vous savez, d'améliorer un peu l'état de la situation un peu jusqu'à mon dernier souffle. C'est ce que je vais essayer de faire.

Il y a la Laver Cup qui arrive (19-21 septembre à San Francisco). Vous avez été coach, jusqu’à l’année dernière. Est-ce que vous allez suivre la compétition ? André Agassi a pris vous suite. En face de lui, il y aura un champion français que l'on connaît tous, Yannick Noah. Quelle relation avez-vous avec Yannick ?

Laissez-moi juste dire que j'ai eu l'opportunité de faire la Lever Cup en tant que capitaine pendant sept ans. J'ai été viré l'année dernière. André Agassi, qui que soit cette personne, a pris la place de capitaine. Je pense qu'il va faire un bon boulot, comme je pense que Yannick fera un bon boulot. Je vais regarder et soutenir Team World, mais Yannick est une réelle inspiration. C'est un vieil ami à moi, l'un des gars avec qui j'ai passé le plus de temps sur le tournoi où nous jouions. Il a une façon de rendre meilleurs les gens autour de lui et son équipe. Il a gagné la Coupe Davis pour la France. Il a gagné la Fed Cup. Il a tout fait, donc je suis sûr qu'il est excité, mais il a cette personnalité et cette énergie qui vont causer des problèmes. Mais quelque chose me dit que Agassi a ça aussi, donc il devrait être excité aussi.

Quelles sont vos prédictions pour l'US Open?

Chez les femmes, c'est vraiment dur. Je pense que je vais me diriger vers les Américaines parce que le public les aide, même s’il me semble qu’elles ne jouent plus avec la même confiance qu'avant. Même si Coco (Gauff) a eu des problèmes de service incroyables récemment, je vais la choisir car je pense qu'elle peut utiliser le public mieux que personne. Quant aux hommes, je pense que les Américains se rapprochent. Mais je dois toujours aller sur Alcaraz ou Sinner. Je voulais voir ce qui allait se passer avec Alcaraz et Sinner à Cincinnati. Mais Jannik a dû abandonner. Je suppose que, dans mon cœur, je veux voir ces deux-là aller une fois de plus en finale. Mais je dois choisir Alcaraz.

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