RMC Sport

Guerre en Ukraine: l'histoire déchirante des deux jeunes soeurs Yastremska, parties d'Odessa pour Lyon sans leurs parents

"Réveillées par les bombes": Dayana Yastremska, 128e joueuse mondiale en double, et sa jeune soeur Ivanna, 15 ans, ont raconté ce lundi leur fuite d'Ukraine pour se mettre en sécurité et participer au tournoi WTA de Lyon, où elles ont perdu au premier tour. Un témoignage bouleversant.

Invitées par le tournoi WTA de Lyon à participer au tableau de double, les sœurs ukrainiennes Yastremska ont perdu ce lundi au premier tour de la compétition. Mais l’essentiel était ailleurs. Trois jours après avoir fui les combats en Ukraine, Dayana Yastremska (120e mondiale, 21 ans) et sa sœur cadette Ivanna (15 ans) restent debout, à jouer au tennis, ce qu’elles savent faire de mieux.

Elles tiennent à témoigner de l’horreur qu’elles ont vécue en Ukraine et qui les a contraintes à se séparer de leurs parents restés au pays. Témoignage au cours d’une conférence de presse d’après-match saisissante où Dayana raconte ces derniers jours aux côtés de sa petite sœur, le drapeau ukrainien sur les épaules.

>>> Les dernières infos sur la guerre en Ukraine et les conséquences sur le monde du sport

Le début du conflit armé en Ukraine et la stupeur : "Tout le monde s’est réveillé à cause des bombes et des explosions"

"C’est une histoire émouvante, explique Dayana Yastremska. Après mon dernier tournoi à Dubaï, je suis rentrée à la maison et j’ai eu une petite blessure. Je me suis dit que je pouvais rentrer à la maison pour passer un peu de temps avec ma famille avant de longs voyages. Le 24 février nous avons pris la décision avec mon père de venir ici à Lyon pour le tournoi. La nuit du 23, tout était si bien, si calme. On était prêts à quitter Odessa puis en début de matinée tout le monde s’est réveillé à cause des bombes et des explosions. On ne réalisait pas ce qu’il se passait. Mon père nous a dit que c’était des bombes pas très loin d’Odessa. Je me demandais si c’était un film ou la réalité. Qu’est-ce qui se passait? Et ensuite j’ai vu les informations qui disaient que la guerre avait commencé. J’étais sous le choc car je devais partir dans la soirée mais on ne savait pas quoi faire parce tous les vols étaient annulés. On ne savait pas quoi faire."

Le refuge dans un souterrain d'Odessa : "On a passé deux nuits dans le parking sans vraiment dormir"

"On est sorties pour acheter de la nourriture, poursuit Dayana Yastremska. Il y a eu une énorme bombe quelque part à proximité d’Odessa et le son était totalement dingue. Il faut le ressentir pour comprendre. J’ai appelé mon père en lui demandant ce qu’il se passait. On a couru pour rentrer à l’appartement et après on est allé au parking souterrain. On attendait dans le sous-sol sans savoir quoi faire parce que les vols étaient annulés. On a attendu jusqu’au soir. On a donc passé deux nuits dans le parking et on n’a pas vraiment dormi pendant trois nuits à cause des explosions et des tirs que l’on entendait. On est allé dormir tout habillés au cas où on devait vite se déplacer. C’était dingue, totalement dingue et tellement effrayant."

La fuite à la frontière roumaine pour survivre, sans leurs parents : "Nous ne savons pas si nous allons les revoir un jour"

"On ne pensait plus au tournoi et notre père voulait simplement que l’on soit sauvées comme un parent normal qui s’inquiète et a peur. On avait plusieurs options pour partir: vers la Moldavie ou dans d’autres pays, mais après ils ont fermé les routes et c’était dangereux de prendre la voiture, raconte Dayana Yastremska. On a attendu la fin de la nuit et mon père a pris une décision finale en disant que peu importe ce qui allait arriver ou peu importe le coût, ma mère et nous deux allions partir le lendemain matin en direction de la Roumanie en voiture. Et de là on irait à Lyon.

Vers 7h du matin, on était déjà prêt à partir et cela nous a pris trois heures pour aller en Roumanie. Mon père conduisait, on était effrayés de croiser des tanks sur la route ou d’avoir des explosions tout près. Mais on a pu atteindre la frontière roumaine sains et saufs. Il y avait plein de voitures et c’était dingue. On aurait presque pu rester deux jours dans la queue. On a conduit le plus près possible de la frontière pendant le jour et mon père ne voulait pas que l’on parte pendant la nuit. On a laissé la voiture et on a fini en marchant pour atteindre la frontière. Notre père nous a demandé s’il pouvait nous accompagner de l’autre côté de la frontière puis revenir, et quelqu’un lui a dit que non, il ne pouvait pas quitter le pays. On pensait que notre mère allait venir avec nous mais elle nous a dit qu’elle restait avec notre père.

Il y avait beaucoup de larmes, j’ai dû garder pour moi mes émotions, je devais garder le contrôle car j’avais une grande responsabilité. Nous ne savions pas comment cela allait finir. Mon père m’a dit : 'je ne sais pas comment cela va se terminer mais vous devez prendre soin l’une de l’autre, vous devez construire votre nouvelle vie, poursuivre vos rêves, faire votre job. Après ces mots, nous sommes parties. Je ne peux mettre de mots sur ce que l’on a vécu. C’est très dur, nous ne savons pas si nous allons revoir un jour nos parents. Lorsque l’on a passé la frontière, et que l’on est monté à bord du bateau, on a vécu une situation folle. On voyait nos parents sur l’autre rive. Vous réalisez que vous êtes en lieu sûr, et que eux ils ne sont pas en sécurité. Tu ressens beaucoup de tristesse car tu veux rester avec ta famille, le tennis n’a aucune importance à ce moment-là. Mon père a pris la décision, et il sait ce qui est le mieux pour nous. Je dois respecter ce qu’il a fait, et je respecte le choix de ma mère de rester avec lui."

AR avec Edward Jay