Demain, tous malades comme les marins après le déconfinement?

Les organisateurs ont confirmé jeudi que la date de départ du Vendée Globe était pour le moment maintenue au 8 novembre des Sables d’Olonne. Deux à trois mois de mer pour des marins qui vivront un confinement cette fois voulu. Mais au retour, comme souvent bon nombre d’entre eux seront malade en raison d’un isolement éloigné de tous virus et d’une fatigue qui affaiblissent le système humanitaire. Est-ce que ce modèle peut s’appliquer aux humains qui à terre vivent un confinement forcé depuis un mois avec très peu de contacts?
"Trois ou quatre jours après ma victoire sur le dernier Vendée Globe j'ai été très très malade à Paris pendant la série d’interviews dans les différents médias." Armel Le Cléac’h, tenant du titre du tour du monde en solitaire après plus de 74 jours en mer n’a pas oublié son retour compliqué au pays des terriens. "J'ai eu une grosse crève qui m’a obligé à aller voir le médecin. J'avais une tension à 7 ou 8. Il m'a dit là il faut arrêter et se reposer. Michel Desjoyeaux m'avait dit tu verras tu vas tomber malade quand tu vas aller à Paris, je crois que lui avait vécu ça aussi. Ça fait partie du tour du monde. C'est la dernière étape!" Et le cas du Finistérien n’est pas unique. Jean-Yves chauve, médecin historique du Vendée Globe, s’interroge également sur la sensibilité des marins au retour des longues navigations transocéaniques. "On se pose la question à chaque arrivée de Vendée Globe. On constate, de façon statistiquement plus importante que la normale, des marins qui font de petites surinfections probablement d'origines virales du fait qu'ils sont projetés d'un seul coup au milieu d'une foule à l'arrivée. Donc la question peut se poser pour des gens qui sont confinés longtemps même si le déconfinement va se faire de façon progressive. Ça vaudrait le coup de faire une étude épidémiologique plus poussée pour voir si le confinement au large est finalement un facteur d'affaiblissement du système immunitaire et la porte ouverte à des infections à l'arrivée. Mais comme ça, intuitivement, après huit arrivées de Vendée Globe c'est quelque chose qui me semble une évidence."
Gestes barrières avant le départ
Il y a trois ans au départ du Vendée et de mémoire d’observateurs c’était la première fois que la question de l’hygiène était aussi souvent évoquée sur les quais des Sables d’Olonne. Précurseur, Armel Le Cléac’h qui visait la victoire tenait à mettre toutes les cartes dans son jeu: pas de poignées de main, utilisation de gel hydroalcoolique et embrassades interdites. "C'est la première fois que je me protégeais autant. On avait pas mal échangé sur nos retours d'expériences avant et après les courses avec l'équipe médicale qui nous suit à Port-la-Forêt. Comme on a des courses qui démarrent souvent l'hiver, on s’est rendu compte qu'avec les virus qui circulent à cette période-là ça pouvait être très handicapant sur les trois quatre premiers jours de course. C'est dommage de risquer d'être embêté sur les premiers jours de course et d’engendrer des conséquences pour la suite. Donc on avait eu ces conseils là de prévention, de faire attention les derniers jours et les dernières semaines avec les contacts, mains, bisous… En mer les seuls virus que l'on peut avoir ce sont ceux avec lesquels on part. Il faut donc éviter le moindre petit caillou dans l'engrenage."
Les bateaux comme les hommes sont bichonnés au mieux pendant les derniers jours avant le départ. Pour les machines comme pour les skippers l’approche a bien évolué ces dernières années depuis le premier Vendée Globe de 1989. "J'ai même vu des bateaux traités avec des ultraviolets pour tuer les bactéries à l'intérieur afin de limiter le risque d'infection ou le développement d'une pathologie virale une fois le départ donné, souligne Jean-Yves Chauve. C'est exactement comme le font les astronautes à la différence près qu'ils sont seuls donc avec moins de risque de contamination." Dans la Team Banque populaire d’Armel Le Cléac’h le même soin a été apporté au monocoque par tous les équipiers avant le départ afin de créer un environnement sans bactérie au skipper lors des premières heures de course. "Jusqu'au dernier moment l'équipe a travaillé sur le bateau. On n'est pas à l'abri qu'au sein du staff certains soient porteurs d'un virus ou d'une maladie qui pourrait être transmise au skipper donc le bateau est nettoyé de fond en comble."
Grosse fatigue
Puis vient la course. Comme dans une bulle pendant des semaines les marins ne vivent qu’avec leurs propres bactéries. "A terre le système immunitaire est tout le temps sollicité, poursuit le médecin de la course. On baigne dans un milieu où il y a toujours des bactéries des virus… Le système de défense est sollicité. A partir du moment où il ne s’active plus ça devient une sensibilité supplémentaire." Mais pour le dernier vainqueur du Vendée il faut surtout voir dans la fatigue générale les maladies déclarées aux lendemains des arrivées. "Toute la tension se relâche, la concentration n'es plus là, le stress diminue et la pression retombe. Il y a une grosse fatigue qui s'accumule quand on arrive à terre. On a beaucoup de contacts avec des gens qui veulent nous féliciter, nous saluer, nous embrasser et nous remercier. Avec la fatigue notre système immunitaire est affaibli. Je ne pense pas que ça soit le fait de ne pas être au contact des virus mais plus la fatigue. J'espère qu’à la fin du confinement les gens ne seront pas fatigués!"
Et beaucoup auront hâte de revivre des moments de sport comme ce Vendée Globe qui s’annonce. Mais l’incertitude de la situation sanitaire ouvre d’autres interrogations pour le corps médical. Jean-Yves Chauve réfléchit avec la commission médicale de la fédération de voile sur les conditions de départ de la course. "En dehors du fait qu'on demande un certain nombre d'examens, échographie cardiaque, épreuve d'effort, bilan sanguin et une fiche médicale avec ses antécédents pour avoir un profil de l'état de santé du skipper on aimerait savoir si certains sont immunisé ou pas contre le covid-19. Même si on ne sait pas encore si le taux d'anticorps est suffisant pour éviter une rechute, notre rôle au niveau de la commission médicale est d'assurer la sécurité des skippers pour les protéger d'un problème avec ce virus lors d'une compétition." Difficile effectivement d’imaginer un marin violemment malade en mer après quelques jours de course. Pour l’heure l’ensemble des skippers espère retrouver l’élément marin à partir du 11 mai. Une date qui plaît particulièrement à Armel Le Cléac’h, car il pourra fêter le déconfinement… et son anniversaire.