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Transat Jacques Vabre: "Je ne vais pas me transformer en défenseur, j’ai envie de rester attaquant", affirme Beyou

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Tandis que la 15e édition de la course transatlantique s’est élancée dimanche du Havre en direction de la Martinique et Fort-de-France, Jérémie Beyou a pris un bon départ avec son coéquipier Chistopher Pratt. Quatrième, le skipper de 45 ans assure s’être renforcé psychologiquement après un dernier Vendée Globe éprouvant.

Avant d'évoquer la Transat Jacques Vabre, revenons sur le dernier Vendée Globe. Est-ce que vous estimez aujourd’hui avoir digéré votre 13e place, après avoir dû faire demi-tour suite à un OFNI ?

JÉRÉMIE BEYOU. C'est un rouleau compresseur, le Vendée Globe. Et comme pour les JO, les gens regardent les résultats mais c’est trois ans de préparation, beaucoup d'intensité, des gros objectifs, beaucoup de travail... Donc c’est sûr que le scénario que j’ai trouvé sur ce VG n’était pas celui que j’étais venu chercher au départ. Il m’a fallu du temps pour me réadapter à cette course qui n’en était plus vraiment une, qui était devenue une aventure. Mais j'ai trouvé des ressources pour aller au bout de l'histoire. Et il y a beaucoup de fierté personnelle à faire un Tour du monde même en terminant 13e. Dans ce contexte, j'en suis sorti forcément fatigué. J'ai eu besoin d’un peu de temps pour m’en remettre, physiquement d’abord, arriver à débriefer, de façon assez froide, sur ce qu’il s’était passé. Puis lancer le projet suivant avec le prochain Vendée Globe, et un nouveau bateau.

En tant qu'homme et marin, est-ce que ça vous a changé ?

C’est la grande question mais forcément, ça change un homme. Trois mois tout seul, dans des conditions pas simples sur un bateau de dingue, forcément ça marque. Mais au final, pour moi, la compétition n'était quasi plus là, et je ne suis pas un aventurier dans l’âme. Je suis toujours venu sur le Vendée Globe en allant chercher la course, et là je me suis retrouvé en mode aventure. Humainement, je me suis rendu compte que j'aimais aussi simplement être en mer. Profiter des éléments, de la solitude, d’avoir un super bateau, et que j’étais capable de le faire juste pour ça. A l’arrivée, il manque quand même le résultat, il y a la frustration de ne pas être sur le podium, ou de ne pas avoir fait la course au-devant de la flotte. Forcément, ça me donne de l’énergie et de la motivation pour cette Transat Jacques Vabre.

Votre coéquipier "Chris" Pratt dit qu’aujourd’hui vous êtes peut-être un peu plus apaisé ?

Il a raison, j’ai muri. J’ai un an de plus… (Rires) Dans le sport et la vie, quand tu as des grosses claques, ça fait murir, ça calme. La compétition, j'en ai besoin. Et là, pendant trois mois, j'ai regardé les autres. J'ai tenu bon. Cela n'a pas calmé mon besoin de compétition et de bagarre, mais j'ai sûrement gagné en sérénité. C'est drôle car, même moi, je pensais que c'était impossible. Comme quoi, à 45 ans, ça peut arriver encore de changer.

Vous pensiez que la sérénité n’était pas vraiment un truc pour vous ?

J'ai toujours fait les choses avec envie et intensité, et j'ai toujours eu besoin de beaucoup naviguer, de faire beaucoup de courses, d'être dans l'action en permanence, de me remettre en question. Là, j'ai appris que ça pouvait aussi passer en finesse. Il faut sûrement faire un peu des deux, gérer les temps forts et faibles. Surtout dans un VG, une épreuve au long court, il faut savoir le faire. Ca va m’apprendre à mieux me gérer et à mieux gérer mes courses. Cette course-là m’a un peu changé, les gens autour de moi le disent aussi. J'ai mis du temps à m'en remettre. Il y a plusieurs mois où tu es un peu dans le dur. Mais quand tu as la chance d’avoir terminé la course, que tu as un beau projet derrière, ça te permet de retrouver rapidement l’envie de retourner à l’entrainement. Je reste très fier de ce que j'ai accompli sur ce Vendée Globe.

On peut parler de six mois pour récupérer ?

Oui c'est à peu près ça. Et je me suis rendu compte, moi qui compare souvent mon sport à d’autres, que je n’ai pas idée dans les autres sports du temps de récupération nécessaire. J’avoue que même dans mon sport, malgré l’expérience, je ne gère pas si bien que ça ma récupération. Quand est-ce qu’il faut retourner à l’entraînement, quand est-ce qu’il faut aller lever de la fonte… Pendant six mois, tu tâtonnes. Tu as envie d’y aller, alors tu y vas mais c’est trop tôt, alors tu te blesses. Et puis, tu as envie de voir du monde, et en fait d'être tout seul... Tu es un peu perdu, quoi. Là, je suis redevenu moi-même depuis le début de l'été.

Là, vous avez retrouvé l'envie de repartir ?

Là, j'en ai besoin. C'est revenu d'un coup, le besoin de la régate, parce que tu es aussi un peu en perte de repères, tu as donc besoin de retrouver la confiance. Je ne savais même plus si je savais prendre le départ. Mais en m’appuyant sur Chris, on a retrouvé le niveau. Jusqu'à fin juin, ça ne m'a pas manqué.

Vous aviez vraiment la sensation d'avoir perdu vos repères ?

C’était peut-être moi qui me remettais trop en question, mais c'est un sport tellement technique. Au bout d’un Vendée, tu sais tout faire les yeux fermés. Donc quand tu n’as pas remis les pieds sur ton bateau pendant six mois, tu te poses beaucoup de questions : est-ce que j’aurai le feeling, est-ce que je saurai encore prendre un départ... C’est un sport très technique. C’est comme pour un tennisman, il se demande si le premier revers va passer. Et puis, finalement ça revient.

Sur cette Transat, vous repartez avec Chris Pratt, qui était déjà votre coéquipier il y a deux ans. Vous rappelez-vous ce que vous lui aviez dit en arrivant du Vendée Globe ?

J’ai dit : « Plus jamais ça ». (Rires) Nan, je ne m'en souviens pas... A mes enfants, je sais que je leur ai dit : « J'espère que vous ne ferez jamais cette course à la con ».

Ne lui auriez-vous pas dit, "maintenant, on va aller les battre sur la Transat" ?

Chris représente la compétition. Il reste une frustration de la Transat d’il y a deux ans, une frustration du Vendée, donc oui, on a envie d’aller se battre. C’est un peu l’analogie avec le buteur, avec l’avant-centre qui, depuis 2 ou 3 ans, n’a l’impression de ne mettre que des barres, des poteaux. Que ça ne rentre pas… Mais je ne vais pas me transformer en défenseur, j’ai envie de rester attaquant. J’ai envie de reprendre le ballon de volée. J’ai envie de continuer à tenter, et j’ai vraiment envie que ça rentre sur cette Transat Jacques Vabre.

Justement, cette année, avez-vous un goût de revanche par rapport à cette Transat d’il y a deux ans, où vous aviez longtemps mené la course avant de rester englués dans le Pot-au-noir, et de finalement terminer 3e ?

Un petit peu, oui. Pas sur les autres concurrents, mais un peu sur le sort, sur le parcours. Ceux qui ont gagné, l’ont mérité. C’est la course à la voile, on avait balisé le terrain. On a juste envie que ça ne se reproduise pas et que si ça arrive à nouveau, qu’on en sorte plus vite. Mais on est conscients que ça peut encore se reproduire. On sait qu'il y a plein de scénarios. C'est la course. On a payé pour l'apprendre. Maintenant, on sait, on a envie de faire mieux.

Maureen Lehoux