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Vendée Globe 2024: "Avec Jean Le Cam, on a choisi dès le départ d'être les cons de la foire", s'amuse Éric Bellion

Éric Bellion, skipper de Stand As One

Éric Bellion, skipper de Stand As One - IconSport

Éric Bellion prendra le départ de son deuxième Vendée Globe dimanche. Avec Jean Le Cam, les deux marins ont décidé de "co-construire" deux Imoca à contre-courant de la dynamique actuelle engagée avec les foils. Pour lui comme pour 'le roi Jean', l’avenir est aux dérives droites pour de multiples raisons.

Est-ce que vous êtes compétitif avec ces bateaux sans foils?

Oui, moi j'en ai la conviction. On ne s'est fondés que sur des faits du dernier Vendée Globe, les vitesses moyennes nécessaires pour gagner. Nous, on sait exactement ce qu'on va chercher. On cherche une vitesse moyenne. Les faits, pour l'instant, nous donnent raison dans notre choix. Maintenant, il faut aller dans la réalité. La réalité, c'est finir le Vendée et voir ce que ça donne.

Est-ce que la course d’il y a quatre ans, n'est pas un leurre car qu'on avait des conditions météo très particulières?

Je pense qu'on va avoir des scénarios de plus en plus complexes et inédits. C'est encore plus propice pour les '4X4' des mers. Mais quand tu regardes les faits, Jean (Le Cam), après toute la glissade de l'Atlantique, où il n'y avait pas des conditions si particulières, est dans les quatre premiers au Cap de Bonne-Espérance. Après, oui, dans les mers du Sud, effectivement, les premiers ont été un peu desservis. Ça a rattrapé par derrière, mais on verra bien qui a raison. Pour l'instant la balance penche très favorablement pour les 'foilers' parce qu'ils engrangent tous les résultats sur les transats et qu'on est tous les deux un peu comme des cons avec Jean. Mais on a choisi dès le départ d'être les cons de la foire. Moi, ça ne me dérange pas, je suis plutôt heureux de notre situation.

Est-ce que c'est aussi un choix politique, lié à l'environnement, à l'évolution de la planète?

Oui, évidemment. Et ce n'est pas que ça, parce qu'on n'aurait jamais fait des bateaux lents pour un choix politique. Donc, ce sont des bateaux qu'on veut d’abord performants. Et oui, pour moi, c'est le bateau du futur avec les deux innovations les plus fortes: la sobriété et la mutualisation. Et c'est un truc que fait la nature depuis des millénaires. C'est à nous de le faire maintenant. Ces deux bateaux ouvrent une nouvelle voie, une voie d'avenir.

Quel regard portent les autres skippers qui sont dans des projets beaucoup plus chers avec des foils? Est-ce que certains vous disent il va peut-être falloir qu'on revoit certaines choses?

Oui, j'ai de très nombreux skippers qui me disent que c'est une voie intéressante et qu'on ne peut pas aller dans le tout technique, tout finance, tout de plus en plus. À un moment, il va falloir se raisonner nous-mêmes si on veut continuer à pratiquer ce sport incroyable. Et puis il y a aussi d'autres skippers qui viennent me voir en disant qu'ils ne se voient pas sur des bateaux qui volent, mais sur des bateaux comme ça. Je regarde les images de la Coupe de l'América, je pratique le foil aussi, c'est une révolution extraordinaire. Mais sur le Vendée Globe, est-ce que c'est utile? Et est-ce que ces choix-là, qui sont merveilleux en vidéo, en photo, est-ce que ça ne nous pourrit pas la vie, nous, les marins du Vendée Globe? Est-ce que ça ne nous oblige pas à aller chercher encore plus d'argent, à former des équipes toujours plus nombreuses? Je trouve que oui. Quelque part, c'est un miroir aux alouettes, on est en train de se pourrir la vie. Je ne pense pas que ça soit vraiment utile. Je préférais avoir des bateaux beaucoup plus simples et passer plus de temps sur l'eau. Je pense que le rêve pour les spectateurs serait le même. Je ne veux pas dire que c'est ce qu'il faut faire. Je propose. Après, ça prendra ou ça ne prendra pas.

Est-ce que le public serait autant passionné? Est-ce que c'est dans l'air du temps?

Ça, c'est une sacrée question. Je n'ai pas la réponse. Je souhaiterais qu'il y ait un basculement de l'arrêt du toujours plus, toujours plus fort, plus loin, plus vite, et qu'on creuse d'autres choses. Ça serait génial. Après, c'est vrai que l'homme est ce qu'il est et il a envie de repousser les limites toujours. C'est hyper compliqué de faire de la simplicité. Tous les artistes le diront. Travailler dans la simplicité, se donner des défis d'avoir des bateaux de plus en plus propres, de plus en plus durables, qui respectent plus le marin. C'est pour ça que nous, on s'est posé la question avec Jean : « de quoi a-t-on véritablement besoin pour être performant sur le Vendée Globe ? » Et donc on s'est regardé, nous, avec nos moyens humains, financiers, le temps aussi qu'on avait, et nos capacités aussi de marin. Et c'est vrai que là, on a trouvé notre arme à nous.

Le budget de vos Imoca représente quoi par rapport à ceux des bateaux favoris de la flotte?

Nous, on a donné le prix d'un de nos bateaux, il est à moins de 5 millions, tout compris, avec l'électronique, l'ordinateur de bord, le jeu de voile, les bouts. Aujourd'hui, pour avoir un « foiler », tout compris, je pense qu'il faut plus être entre les 8, 9, voire 10 millions. Le choix du design sobre et la mutualisation nous enlève aussi quasiment un tiers de l'impact carbone. Et philosophiquement, ça me gêne que ça ne soit forcément que des gros projets avec des multinationales, des banques… qui s'emparent du graal de construire un bateau pour une course. Peut-être que le bateau va faire la même révolution que la Formule 1 ou la moto GP. La Formule 1 a trouvé Netflix pour refaire jaillir la flamme mais elle va s'éteindre. Elle s'éteindra. C'est sûr. On aura peut-être un certain nombre de réponses dans trois mois. On n'est plus dans la même époque. Entre 2020 et 2024 le monde a changé quand même.

Et s'il advient quelque chose, c'est sûr que ça va donner des envies à des projets en 2028 d'arriver. Il va falloir vraiment qu'on protège, qu'on les fasse venir, ces projets-là. Parce que c'est l'avenir du Vendée Globe. Le Vendée Globe, c'est une course à part. Depuis le début, le dernier est autant célébré que le premier, voire plus. On a tous besoin de plus d'humanité, que le Vendée Globe a une place très précise pour ça. C'est une course hyper humaine. Il faut vraiment qu'elle garde ça.

Propos recueillis par Pierre-Yves Leroux