Voile: "Il fallait juste que je survive", le skipper miraculé raconte ses 18 heures coincé sous son bateau

Sa voix traduit la joie, le soulagement de celui qui est enfin rentré chez lui. Rentré sain et sauf, après un énorme combat. Engagé dans une épreuve qualificative pour la Route du Rhum, le skipper français Laurent Camprubi a vu il y a quelques jours son bateau chavirer en pleine mer. Coincé sous la coque pendant des heures et des heures ("plus 18 heures que 16", explique-t-il), il a fini par être tiré d'affaire après l'intervention des secours. Mais il n'a rien oublié de cet effrayant épisode, comme il l'a raconté ce samedi, dans les Grandes Gueules du Sport sur RMC.
"Je vais très, très bien, j’ai super bien récupéré et depuis hier soir (vendredi) je suis avec mes proches, autant vous dire que niveau émotionnel c’était assez intense", a d'abord confié Laurent Camprubi. Avant de rentrer dans le vif du sujet, et de raconter ses mésaventures.
"Et là on se dit qu'on n'est pas bien"
"J’étais en qualification pour la Route du Rhum, rappelle-t-il. J’étais parti de Porto au Portugal, j’avais le Cap Finisterre à passer dans des conditions musclées. On le savait, on connait le coin, la mer est forte là-bas. Vers 6h du mat, les conditions étaient comme prévues, puis la mer s’est levée de plus en plus. J’ai préféré naviguer assez loin des côtes, puisqu’en solitaire il peut se passer des choses et il vaut mieux avoir du temps pour réagir. Le bateau marchait bien, j’avais quasiment fait le plus dur, et en arrivant à La Corogne (Espagne), j’ai tiré un bord vers le Nord. Je comptais encore sur 6-7h de dur avant que la mer se calme."
Quand soudain, tout bascule. "Je suis dans le cockpit, le bateau marche bien, je suis en semi-repos parce que je n’avais pas trop dormi depuis deux jours, et d’un coup sur une vague on va dire habituelle, le bateau part complètement anormalement, décrit Laurent Camprubi. Je comprends tout de suite. Je me lève rapidement pour essayer de choquer la grand-voile mais le mât est déjà dans l’eau, le bateau s’enfonce tout de suite, l’eau rentre dans le cockpit, et là sans réfléchir je saute à l’intérieur. (...) Je me retrouve en une dizaine de secondes à l’envers. Je n’ai pas réussi à fermer les portes avec l’eau qui arrivait avec trop de puissance. Et là on se dit qu’on n’est pas bien."
Un euphémisme. Même si le skipper assure n'avoir jamais paniqué. "Je suis quelqu’un de très calme, indique-t-il. J’ai analysé, j’ai regardé, et j’ai compris que ça n’allait pas être simple. En voyant l’eau qui montait je me suis dit : il va falloir survivre. Donc j’ai tout de suite essayé de récupérer mon sac de survie avec à bord deux combinaisons de survie. Mais à l’intérieur du bateau, en plus de l’eau il y avait un ressac terrible qui fait que ça commençait à arracher un peu tout… (...) J’ai mis un peu de temps à trouver, mais j’ai réussi à prendre une combinaison et filer à l’arrière du bateau. Deuxième opération: je déclenche ma balise, mes balises, mais je ne voyais rien sans mes lunettes. Et puis je suis parti me mettre à l’abri en espérant que les secours allaient entendre."
Le plus long pouvait commencer: des heures à passer seul, dans un bateau retourné, le corps en grande partie dans l'eau, dans une poche d'air assez étroite. "Quand on parle de 30cm d’air, c’est 30cm sur toute la longueur de la coque, donc je ne me suis jamais posé la question de la respiration, précise Laurent Camprubi. Avant la tombée de la nuit (et avant que la poche ne se réduise) j’avais à peu près 70cm de hauteur d’air jusqu’au plafond. Je n’ai jamais suffoqué."
"J'ai fait abstraction du temps, de la souffrance"
Le skipper a-t-il trouvé cet épisode interminable? A-t-il pensé au pire? "Pendant ces 18 heures ou presque, je n’ai jamais douté que j’allais réussir à survivre, dit-il. Mais j’ai souvent douté qu’ils viennent me chercher, et ça c’était dur. (...) L’eau était à 15-16 degrés, donc vraiment froide. J’avais quelques notions de ce qu’il fallait faire et de l’importance de mettre la combinaison de survie. C’était ma priorité mais j’ai mis beaucoup de temps à l'enfiler. La notion de temps est floue… Il faut comprendre qu’à l’intérieur du bateau il y avait un vacarme énorme, je n’ai même pas compris que l’hélicoptère arrivait la première fois. J’ai réalisé quand on a tapé sur la coque."
S'il ne peut alors pas répondre, car pris dans une bataille avec sa combinaison, Laurent Camprubi ne laisser pas passer sa chance une deuxième fois: "Quand ils sont revenus j’ai tout tenté pour taper, j’ai voulu ouvrir une trappe mais derrière il n’y avait pas d’air, donc j’ai fait demi-tour. Quand ils s’en vont une nouvelle fois, je me suis dit 'ok ils m’ont entendu, maintenant il faut juste survivre jusqu’à demain'. J’ai tenu dans une position improbable jusqu’au petit matin, avec le buste le plus possible hors de l’eau. C’était long, mais j’ai fait abstraction du temps, de la souffrance. Il fallait juste que je survive."
Désormais tiré d'affaire, le navigateur assure ne pas vouloir raccrocher. Mais cette folle histoire aura forcément des conséquences sur sa vision de la vie. "J’ai eu très peur de ne plus revoir ma femme et mes enfants, reconnait-il avec émotion. Une chose est sûre, c’est que je vais continuer à naviguer parce que j’en ai besoin. Mais je vais aussi essayer de consacrer beaucoup plus de temps à ma famille."