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Volley: "Ne plus se taire", ça balance sur les pratiques salariales envers les féminines à Cannes

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Des volleyeuses encore sur les Taraflex de la Ligue A féminine ont été scandalisées par la menace du président du RC Cannes de baisser les salaires si les objectifs ne sont pas remplis. Elles racontent à RMC Sport les pratiques de certains clubs chez les féminines.

"Ça suffit, je ne veux plus me taire!" La lettre du président du RC Cannes, Agostino Pesce, menaçant les joueuses azuréennes de baisser leur contrat de 15 à 30% si les objectifs du club le plus titré de France ne sont pas atteints a allumé la mèche. Et la déflagration a été ressentie bien au-delà de la Croisette. Elle a surtout délié des langues de volleyeuses féminines qui ne veulent plus se taire. Des joueuses, dont certaines ont connu le RC Cannes, ont parlé à RMC Sport des pratiques salariales de certains clubs… sous couvert d’anonymat, car la peur de représailles est réelle. La boîte de Pandore est désormais ouverte.

Paiements en retard, contrats décalés d’un mois, protocole d’accord différent du contrat officiel LNV… le tableau est peu engageant, à Cannes comme ailleurs. Il faut dire que le volley français a longtemps été le sport désargenté par excellence et a souvent vécu d’expédients financiers en tentant d’attirer (ou garder) ses meilleurs joueurs avec des bouts de ficelles. Des clubs sont déjà tombés pour retards de paiements des cotisations sociales, avant qu’une nouvelle génération de dirigeants ne tente de sortir le championnat de ces impérities. 

Pour les joueuses que nous avons interrogées, le début de saison peut être surprenant. Les moins expérimentées apprennent que le salaire, indiqué sur le protocole d’accord signé avec le club, est parfois différent du montant indiqué sur le contrat officiel envoyé à la Ligue nationale de volley (LNV). "On se retrouve rapidement dos au mur, désarçonnée par des pratiques, avoue une joueuse. On se demande si on doit continuer à faire confiance à une direction qui bafoue nos accords, et si on est la seule à se rebeller si on va demander des comptes." Le but pour certains clubs est de payer le moins possible de cotisations sociales, bête noire des budgets de certaines associations sportives.

Le flou des débuts de contrat

Et les volleyeuses interrogées racontent qu’elles ne sont pas au bout de leur peine. En cause, le contrat LNV, censé débuter lors du premier jour de la reprise qui se déroule mi-août dans la plupart des clubs: "C’est la théorie, embraye une joueuse. Les contrats commencent bien souvent le 1er septembre, pour ne pas avoir à payer les deux semaines d'août! Mieux vaut ne pas se blesser lors de cette période grise. C’est une pratique très courante mais dans notre petit monde du volley, tout se sait et les joueuses savent quel club est réglo - car il y en a - et lesquels ne sont pas dignes de confiance, même si tout le monde s’arrange avec la loi." 

Une ancienne joueuse azuréenne enchaîne: "Lors de la saison 2019-2020, on reprend l’entraînement mi-août, mais début septembre, nous n’avons toujours pas signé de contrat. Donc nous ne sommes pas payées. Arrive le 1er septembre, le 2 puis le 5 et le 20… finalement la direction nous explique qu’on ne sera payées qu’à partir du 1er octobre. La raison est simple: ’On ne peut pas vous payer en septembre’ nous a-t-dit." Bien sûr, rien n’est écrit, tout se fait à l’oral, entre deux portes même si "avoir à ses côtés un agent influent dans le club peut parfois aider", conclut une joueuse.

Et lorsque contrat débute en octobre, le premier salaire est alors payé en novembre, entraînant des répercussions insoupçonnées dans la vie quotidienne des volleyeuses: "Vivre sans salaire?! Ce n’est pas la peine de vous faire un dessin, se cabre une joueuse. Nous avions une coéquipière qui n’avait aucune ressource. Ses repas, midi et soir, étaient pris en charge par le club. Mais au bout de deux semaines, on s’aperçoit qu’elle arrivait à l’entraînement du matin sans avoir pris de petit-déjeuner. Comment voulez-vous qu’elle le paie! Une de nos joueuses l’a amené faire des courses pour lui acheter ses petits-déjeuners avant que le coach ne règle l’affaire. On parle d’un sport professionnel!"

Début 2020, une ancienne joueuse cannoise affirme que le groupe a contacté l’entourage du maire de la cité des festivals. "Certaines élues ont écouté nos sollicitations et ont même fait remonter notre ras-le-bol. Il y a eu du mieux car on était ensuite payées avant le 10 du mois. C’était déjà une petite victoire", s’exclame une joueuse. Hasard ou pas, cette adjointe aux Sports de la ville de Cannes, qui a écouté les volleyeuses du RCC, a été remplacée lors des précédentes élections municipales. Le nouvel adjoint chargé des Sports est Jean-Marc Chiappini, ancien kiné… du RC Cannes. 

Le paiement effectif des salaires, un critère pour choisir son club

Tout se sait dans le petit monde du volley français, tant masculin que féminin, entend-on à l’envi. "Tu as été payée?" Cette question revient comme un mauvais gimmick échangé entre les volleyeuses lorsqu’une joueuse doit s’engager dans un nouveau club. Aujourd’hui, le premier critère de la signature d’une volleyeuse dans un club est "qui paie honnêtement en temps et en heure", raconte une ancienne internationale.

"Quand il faut se rebeller, nous sommes nombreuses. Le groupe rend fort, explique une joueuse. Mais quand il faut parler, comme aujourd’hui, et dire ‘ça suffit’, on est un peu lâché par les copines, on se retrouve un peu seule. Mais ce coup de gueule est pour tout le monde. Les institutions françaises du volley doivent nous protéger car nous sommes avant tout les victimes de ce système. On doit toutes s’indigner contre ces pratiques où notre honneur de femme, notre statut de joueuse sont bafoués. Nous voulons être la génération qui fait bouger les choses de manière constructive, pour notre sport et pour toutes les femmes qui doivent jongler avec bien des obstacles dans le sport."

Ces femmes ne veulent pas que l’on se trompe de débat: "Il n’est pas question ici de clouer au pilori qui que ce soit gratuitement mais de faire avancer les choses. Nous sommes les actrices principales de notre sport et nous voulons seulement être respectées."

Alors si les langues se délient, les actes commencent à suivre. Début mars, le Conseil de Prud'hommes de Cannes devra juger une affaire de litige salarial entre le RC Cannes et son ancienne joueuse et internationale française, Héléna Cazaute.  

Le statut des volleyeuses de la LAF, trop longtemps bafoué, n’attend qu’à être réhabilité: "On ne doit pas en rester là avec cette menace de baisse de salaire. On doit témoigner. Le #MeToo social du volley féminin français débute aujourd’hui", gronde une joueuse. Comme un coup de tonnerre…

Morgan Besa