"Il y a des champions du monde de l'entraînement": les athlètes des Mondiaux peuvent-ils battre leurs records en dehors des compétitions?

Il a battu 14 fois le record du monde en cinq ans. À seulement 25 ans, Armand Duplantis n'en finit plus d'écrire sa légende. Aux Mondiaux d'athlétisme de Tokyo, le perchiste suédois a atteint 6,30m, une barre qu'on pensait infranchissable. "Il est tellement phénoménal qu'il arrive peut-être à passer des barres au-delà du record du monde à l'entraînement", sourit Clément Rubechi, coach à Nice Côté d'Azur Athlétisme, auprès de RMC Sport.
C'est ce qu'assurait Vitaly Petrov, coach de Sergueï Bubka. D'après lui, le perchiste ukrainien, premier à franchir la barre des 6m et très longtemps détenteur du record du monde, battait régulièrement la meilleure performance de tous les temps à l'entraînement, atteignant même 6,25m. "Ce sont des légendes urbaines", avait rétorqué Philippe D'Encausse, ancien adversaire de l'Ukrainien et entraîneur de Renaud Lavillenie depuis 2012. La raison: le niveau d'engagement et de détermination que nécessite ce sport.
"Je suis déjà allé très loin"
Une justification validée par la star suédoise elle-même. Après son septième record du monde de septembre 2023 à Eugene aux États-Unis (6,23m), Armand Duplantis avait été clair: "Je n'ai jamais fait mieux que 6,15m. Contrairement à ce qu'on pense, je ne vais pas plus haut. Il me manque sans doute l'adrénaline de la compétition, et je prends aussi des perches moins dures à l'entraînement."
Mais en est-il de même pour les 21 autres disciplines individuelles disputées cette semaine au Japon? "Certains athlètes sont capables de battre leur record à l'entraînement parce qu'ils ont cette envie", avance Yannnick Dupouy, coach adjoint Étienne Daguinos, engagé sur le 5.000m ce vendredi. "C'est Jimmy Vicaut qui le racontait dans une interview. Il disait qu'avant, il avait le besoin de se prouver qu'il était fort, donc il battait ses records à l'entraînement. Une fois qu'il s'est fait confiance, il a mieux performé en compétition."
Le sprinteur, détenteur du record de France du 100m, racontait bien en 2022 s'approcher de ses meilleures performances à l'entraînement. "Je fais de très belles choses mais je dois me détendre un peu", confiait-il à l'époque à RMC Sport. "Ce que je veux ce sont des résultats et je suis impatient. Mais l’athlé n’est pas une science exacte, et l’entraînement reste l’entraînement… tu n’as pas l’adversité autour de toi."
Pour Jonathan Seremes, qualifié en finale du triple saut ce vendredi, même constat: "Je n'ai pas battu mon record à l'entraînement, mais je suis déjà allé très loin, à 17m sur 10 foulées à élan réduit (sachant que son record en 17,08m date du 20 juin dernier au Meeting de Paris, au stade Charléty, NDLR). Mais je pense que c'est possible."
"Cela dépend des disciplines sans doute", tranche de son côté Stéphane Diagana, ancien champion du monde du 400m haies. "Sur ma discipline, je pense que c'est jouable. Si on y va pour ça et qu'on se met dans les bonnes conditions, je pense qu'on peut se conditionner mentalement pour se dire que c'est important et que c'est le jour J. Sur certaines séances, je vois certaines choses que j'ai faites sur des bases plus rapides. Pas forcément sur un 400m haies complet car je n'en ai jamais couru à l'entraînement, mais sur 8 ou 6 haies, il y a des choses qui laissaient penser que j'aurais pu être pas loin de mon record."
"L'adrénaline change tout"
Si Stéphane Diagana n'a jamais fait de 400m haies complet à l'entraînement, impossible d'imaginer des marathoniens parcourir les 42,195 kilomètres à fond à l'entraînement. C'est d'ailleurs le cas pour toutes les épreuves de demi-fond selon l'entraîneur Clément Rubechi. "Il y a peut-être des champions du monde de l'entraînement mais dans les disciplines d'endurance, de demi-fond, cela ne se fait pas", rappelle-t-il. "Les athlètes ont besoin à la fois de l'adrénaline de la compétition et d'un rythme de course très important. Souvent les records sont battus en meeting car il y a des lièvres, des lumières..."
D'Armand Duplantis à Kévin Mayer, la notion d'adrénaline dans les grands événements sportifs revient sans cesse. Interrogé par RMC Sport, le double champion du monde du décathlon s'étonne: "Je n'ai jamais entendu parler d'un record du monde à l'entraînement, peut-être dans les lancers, parce que c'est nettement plus technique." Et d'ajouter: "Dans toutes les autres épreuves, je dis que non, parce que l'adrénaline change tout. Les connexions nerveuses se font beaucoup plus rapidement, ça circule beaucoup plus fort. En compétition, c'est là où tu as le plus de chances d'y arriver. Les sensations qu'on a dans les grands championnats sont totalement différentes de ce qu'on a dans les petites compétitions ou à l'entraînement."
Ryan Zézé, qualifié pour les demi-finales du 200m, va encore plus loin. "À l'entraînement, je suis vraiment éteint. Il y a un gros delta entre l'entraînement et la compétition. Je ne demande jamais les chronos au coach, mais je ne suis pas capable de battre mon record. C'est en compétition que je me réveille", répond-il. Le sprinteur français s'est bien réveillé ce mercredi en signant sa meilleure performance de la saison en 20"23, encore loin de son record personnel de juillet 2024 en 19"90. Rendez-vous ce jeudi pour - au moins - s'en rapprocher.