Programmes, ambitions après la déception des JO 2024... les trois candidats pour la présidence de l’athlé français passent au révélateur

La Fédération Française d’Athlétisme ne sera bientôt plus dirigée par André Giraud, au pouvoir depuis 2016. Deux mandats globalement critiqués à cause de l’absence de direction sportive claire sur la durée. Durant ces huit années, les Bleus n’ont remporté que deux médailles olympiques, l’argent de Kevin Mayer au décathlon à Tokyo et Cyrena Samba-Mayela, vice-championne olympique du 100m haies à Paris en 2024. Si les résultats chez les jeunes et les derniers championnats d’Europe de Rome réussis sont à mettre au crédit de l’équipe managée par Romain Barras, l’athlétisme tricolore espère un vrai renouveau.
Pour la première fois, ce sont les 2.500 clubs d’athlétisme qui voteront pour élire le président le 14 décembre prochain. Trois candidats veulent succéder au Marseillais André Giraud. Il s’agit de Jean Gracia, actuel vice-président de la FFA, de Bertrand Hozé, directeur de l’Union Nationale des Sportifs de Haut-Niveau et de Philippe Lamblin, président de la Ligue Hauts-de-France d’athlétisme. Présentation des trois candidats, de leur programme, leur avis sur le bilan Giraud et leur vision de l’avenir de l’équipe de France.
Jean Gracia, le spécialiste des instances
A 69 ans, Jean Gracia connaît tous les échelons des instances dirigeantes de l’athlétisme. Vice-président de la FFA depuis 2020, il en a également été le directeur général de 1992 à 2015. Mais l’expérience de l’ancien sprinteur de 50m s’étend également à l’international puisque Gracia a été secrétaire général en 2016 de World Athletics et surtout vice-président de European Athletics depuis 2011. Le candidat tient à rappeler qu’il se lance dans la course à la présidence avec Emmanuelle Jaeger, qui sera sa vice-présidente s’il gagne l’élection.
Le programme Gracia
"Premièrement, je veux une fédération efficace, en partant des élus, des cadres techniques jusqu’aux ligues et aux clubs. Sans les 2.500 clubs, on ne peut rien faire. Je veux simplifier la vie de nos clubs et stabiliser les règlements dans le temps. A force de tout changer en permanence, les présidents ne savent plus où ils habitent. Par exemple, on manque d’éducateurs et de formateur. Mais si le parent d’un gamin veut aider, il doit passer une formation en e-learning… c’est trop compliqué. Je veux aussi retrouver un Outre-mer fort car il n’y a pas de raison que Sainte-Lucie ait une championne olympique (Julien Alfred sur 100m, NDLR) et pas les Antilles françaises."
"Ensuite, je veux un athlétisme innovant. Dans les pratiques, on doit accompagner le trail ou la marche nordique. Il y a 30 ans, on a raté le train de la course sur route et quand la Fédération s’est réveillée, c’était trop tard. Il faut également utiliser les nouvelles technologies pour attirer les jeunes et ne pas avoir peur. Que ce soit des nouvelles compétitions, comme la Dynamic new Athletics qui marche bien chez les jeunes ou réfléchir à de nouvelles règles. On a pensé à supprimer les planches d’appel pour le saut en longueur ou le triple. Je ne sais pas si c’est une bonne idée mais il ne faut rien s’interdire."
"Je veux un athlétisme plus inclusif. Il faut gérer et prévenir les violences sexistes et sexuelles. On a une responsabilité. La lutte anti-dopage est importante et j’ai prouvé au niveau européen que c’était sérieux avec la mise en place de ‘I run clean’."
Son avis sur le bilan André Giraud
"Déjà, je ne suis le vice-président de la FFA que depuis trois ans et demi, je ne suis en aucun cas l’héritier d’André Giraud. J’ai mon propre parcours et je n’assume le bilan en aucun cas. J’ai été un acteur, mais pas un décideur. Je reconnais qu’il y a eu des bonnes choses et des mauvaises. Et je pense qu’il faut savoir d’où vous venez pour savoir comment les choses fonctionnent. Sinon, quand on ne connaît pas, on peut faire croire au Père Noël."
Ses ambitions pour l’équipe de France d’athlétisme
"On a remporté une médaille à Paris. C’est le sport le plus universel, énormément de pays remportent des médailles. On me parle de trou générationnel. Que la moyenne française depuis 1948 c’est moins de deux médailles par Jeux. Mais ça ne me suffit pas."
"Il faut travailler sur la détection des talents à l’école. C’est essentiel. Il faut se poser la question de l’encadrement aussi. Notre seule médaille a traversé l’Atlantique pour s’entraîner aux Etats-Unis. Il faut analyser dans le détail en quoi cela a marché car d’autres s’y sont cassé la figure. La FFA doit accompagner ses athlètes, notamment en France en ayant des pôles d’excellence, avec suivi médical, nutritionnel, matériel de qualité, attractifs. On a l’exemple de Popendal aux Pays-Bas."
"Enfin, il faut continuer la professionnalisation des athlètes et des entraîneurs. Aujourd’hui, on a 80 athlètes financés par la FFA. Auparavant, avec la Ligue Pro, l’argent transitait par les clubs qui pouvaient rajouter au pot. Mais les athlètes pensaient que la Fédé ne les aidait pas dans ce système alors qu’on dépensait des centaines de milliers d’euros. La fédé a donc créé sa propre société coopérative pour gérer directement. Il faut continuer à appuyer sur cet accélérateur.
Quel DTN et quel Directeur de la Haute-Performance?
"Je n’ai aucun nom. Même si certains m’ont déjà fait coucou. Ce qui est clair, c’est qu’un DTN en athlétisme a un menu surchargé et doit donc savoir déléguer. Il faut s’occuper du développement, de la formation et de la haute-performance. Pour le directeur de la haute-performance, il faut un meneur d’hommes. Je ne suis fermé à aucun profil. Je ne veux me mettre aucune barrière."
Bertrand Hozé: rendre le pouvoir aux clubs
Bertrand Hozé a aujourd’hui 58 ans et connaît la FFA de près pour en avoir été le DTN adjoint entre 2005 et 2009. C’est également l’ancien président du club de l’Athlétisme Metz Métropole et actuel directeur de l’Union Nationale des Sportifs de Haut-Niveau.
Le programme Hozé
"Le vote est enfin donné aux clubs et ça change tout. La FFA ne s’occupe plus des clubs depuis trente ans! On veut faire bouger le centre de gravité fédérale. Ce sont les clubs qui font les licences, qui forment et donc les moyens financiers doivent parvenir jusqu’à eux. Pour l’instant, les ressources humaines et financières s’arrêtent aux ligues régionales. On veut une gouvernance à l’échelle du terrain. Aujourd’hui, c’est la FFA qui place des agents de développement unilatéralement dans les ligues. Mais les territoires régionaux sont immenses. Ce sont les comités départementaux qui doivent gérer. Les cadres techniques ont des missions nationales, dans les ligues mais jamais dans les clubs. Si les clubs vont mieux, tout le monde ira mieux."
"En termes de détection des talents, cela ira mieux aussi. Il faut former des entraîneurs, en repartant de la base pour avoir un nouveau vivier d’athlètes et de coaches. Il faut chercher les talents purs avant que d’autres sports ne nous les piquent. Et pour les garder, il faut continuer la professionnalisation à toutes les échelles. L’athlétisme doit s’inspirer du foot et des districts, des centres de formation. A partir de la seconde ou même de la troisième au collège, il faut des pôles d’excellence pour conserver les jeunes et qu’ils aient autant de facilités dans l’athlé que dans les sports collectifs. C’est un travail qui va prendre au bas mot six ans pour porter ses fruits."
"Enfin, on doit progresser sur le trail, sur le running… Actuellement, la FFA ne travaille quasiment pas avec eux. Les organisateurs ne s’affilient même plus avec la fédération. Quand on pense qu’au Marathon de Paris, à peine 5% des inscrits sont issus de clubs d’athlétisme, ce n’est pas assez. Il faut capter tous ces coureurs pour dynamiser le monde de l’athlétisme."
Son avis sur le bilan André Giraud
"Les résultats globaux sont assez décevants même si en termes de médailles je ne crois pas que ce soit une catastrophe. Le problème à mon sens, c’est que rien n’a été construit. Aucun système du haut-niveau n’émerge. La FFA a voulu professionnaliser les athlètes sans les clubs, c’est incohérent. Se couper du trail et du running, c’est incohérent. J’ai l’impression que les priorités sont à l’envers."
Ses ambitions pour l’équipe de France d’athlétisme
"Il y a une dilution complète du haut-niveau en France. Sur les 212 athlètes suivis dans les cinq cercles de performances de l’Agence Nationale sur Sport, on compte 169 entraîneurs différents. Et les études démontrent qu’il faut concentrer les moyens pour réussir. Autre problème actuel, sur les seize médaillés des Europe de Rome, dix s’entraînaient dans leur club avec leur entraîneur de club. Un seul avec un cadre technique. De moins en moins de cadres techniques produisent des résultats. Mais la FFA refuse d’investir sur des entraîneurs privés qui produisent des résultats. Pour moi, il faut produire de la performance. Aujourd’hui, la FFA veut orienter les jeunes vers des pôles qui n’ont pas de résultats et donc ils se barrent ailleurs. On va concentrer les moyens sur les clubs. Pour la génération actuelle, ce sera compliqué à mettre en place mais il faut d’abord recréer une grosse école d’entraîneurs, comme quand on avait des Renaud Longuèvre, des Jean-Hervé Stievenart ou Fernand Urtebise."
Quel DTN et quel directeur de la haute-performance?
"Pour moi, le profil du DTN doit venir du monde de l’athlétisme. Car c’est lui qui doit gérer les 75 cadres techniques, un immense potentiel pour notre pays. Le DTN doit aussi connaître les clubs, mettre en place un maillage territorial fort. Pour le directeur de la haute-performance, je suis beaucoup plus ouvert. La perf est beaucoup plus transversale."
Philippe Lamblin, le dynamiteur
Philippe Lamblin, 69 ans, a connu beaucoup de casquettes dans l’athlétisme français. Lui a déjà été président de la Fédération Française d’Athlétisme de 1997 à 2001, marqué par le bilan terrible de zéro médaille aux Jeux de Sydney 2000. Mais à son crédit, Lamblin peut s’appuyer sur l’organisation réussie des Mondiaux de Paris 2003, la création du meeting en salle de Liévin, sacré meilleur meeting du monde à plusieurs reprises. Il est également président de la Ligue d’athlétisme des Hauts-de-France.
Le programme Lamblin
"Je veux bouleverser le modèle. D’abord, le modèle économique de la FFA et des clubs. Les athlètes doivent arrêter de demander du pognon, il faut se bouger pour trouver des ressources. Dans ma Ligue, on a l’icône Cyrena Samba-Mayela, mais mes quinze meilleurs athlètes ont tous des partenariats avec des entreprises. Il faut arrêter de geindre mais il faut faire! J’ai vu des trucs déments dans mon tour de France comme des comités départementaux organiser des trails seuls et récolter des centaines de milliers d’euros. Le marathon d’Annecy par exemple. C’est un des plus beaux de France et ça permet de financer beaucoup de choses derrière."
"Je veux bouger la gouvernance aussi. C’est pas vingt mecs qui sont à Paris qui doivent faire la pluie et le beau temps. L’idée, c’est comment on fait pour que 2.500 clubs se sentent concernés. Pour l’instant, ils ne le sont pas. Avec moi, tous les clubs voteront les décisions importantes et seront invités aux Assemblées Générales."
"Je veux améliorer le suivi social et professionnel de la FFA. On doit être capable de parler aux entreprises et permettre aux athlètes de vivre. On veut libérer les énergies de l’athlétisme en France. Développer toutes les pratiques. Du lancer de marteau au trail. Et je veux développer le sociétal, c’est important, comme mettre des garde-fous sur les questions des violences sexistes et sexuelles."
Son avis sur le bilan André Giraud
"Je ne suis pas là pour juger. Simplement depuis vingt ans où certains sont à Paris, moi je bouge et je créé chez moi comme ‘Du stade vers l’emploi’. J’ai levé des millions d’euros pour aider des jeunes, des clubs. J’organise dix courses par an avec des clubs locaux, comme le semi-marathon de Lille, où il y avait 10.000 inscrits des mois en amont, c’est énorme. Ca permet de redistribuer l’argent. Je veux faire ça au niveau national. De plus, je veux être bénévole. Certains me disent que je vais tuer le ‘métier’ mais je suis à la retraite, je ne perds pas d’argent. Alors si je peux redistribuer la somme à un vice-président qui fait des efforts sur son boulot, je le fais."
Ses ambitions pour l’équipe de France d’athlétisme
"Il faut comprendre que dans le haut-niveau, il faut des tueurs pour gagner. On va individualiser les parcours. Par exemple, Cyrena Samba-Mayela a rencontré Marie-Jo Pérec en lui disant qu’elle voulait devenir la meilleure du monde. Marie-Jo lui a dit qu’elle devait avoir le meilleur entraîneur du monde. Elle est partie aux Etats-Unis. Je ne veux pas envoyer tout le monde à l’étranger mais il faut savoir la compétence qu’on a en France pour mener à la haute-performance. Je refuse que des structures françaises kidnappent des gamins. On fait le point chaque année et si tu stagnes il faut changer. Si on a la compétence pour progresser, c’est génial! Sinon, on s’ouvre."
Quel DTN et quel directeur de la haute-performance?
"Je veux un meneur d’hommes. Un type qui emmène les athlètes dans des rêves pas possibles! Tu dois savoir t’entourer d’entraîneurs, des bons. Connaître le potentiel de tes athlètes. Tu n’as pas le droit de mentir à un gars qui ne sera jamais champion du monde. Si tu racontes ça à un sauteur en hauteur d'1,80m, t’es un menteur et tu perds ton temps. Ces gars là doivent être capable de dire non, capable d’entraîner. La haute-performance, c’est comme ça, il faut être tueur."