"Je suis le premier cycliste à avoir un groupe ultra, c’est une fierté": l'interview intégrale de Thibaut Pinot après sa retraite

Thibaut Pinot, comment avez-vous vécu cette communion avec vos supporters, samedi sur le Tour de Lombardie, lors de la dernière course de votre carrière?
"Avec beaucoup d’émotion, forcément. C’était juste incroyable. C’était fou, tout simplement. C’étaient mes derniers moments de frissons avec les supporters. J’étais pourtant loin de la victoire, je trouve encore plus beau."
Votre carrière est définitivement terminée, c’est une certitude?
"Oui, c’est sûr. C’est une décision qui a été réfléchie depuis de nombreuses années. Je savais qu’il fallait passer à autre chose. C’est important d’avancer aussi dans la vie. La vie d’un sportif, c’est une vie qui est quand difficile. Même s’il y a de très bons moments, il y a quand même des moments qui sont difficiles. J’ai besoin de retrouver une vie un peu plus simple, avec moins de pression. Vivre plus sereinement."
Vous-êtes vous senti apaisé au réveil ce dimanche matin?
"Oui, exactement. J’ai l’impression qu’il y a d’un seul coup un poids qui part, de ne plus avoir la pression de savoir si je suis fatigué, s’il y a entraînement le lendemain. J’ai l’impression que ça va être plus facile à vivre. Je pense que ça va me faire du bien."
"C'est presque plus beau qu'une victoire tout ça"
Le monde du cyclisme va tout de même vous manquer?
"Oui, forcément. Je ne pars pas du tout aigri ou fatigué du vélo. Je pars parce que j’avais le besoin de faire autre chose. Mais je reste toujours passionné de vélo. Je reste fan de mon équipe, dont je serai le premier supporter. J’irai les voir très prochainement. J’ai passé quatorze ans dans cette équipe, c’est presque la moitié de ma vie. Forcément, je ne peux pas tourner la page du jour au lendemain. J’espère rester dans la vie de l’équipe."
Arrivez-vous à comprendre ce soutien massif de vos supporters?
"Non, pas trop. Ça me dépasse un peu. Je suis loin d’être le plus grand coureur, mais j’ai les meilleurs supporters. Je premier le cycliste à avoir un groupe ultra, c’est une fierté. C’est presque plus beau qu’une victoire tout ça, au final. Plus tard, je retiendrai tout ça, ces moments que j’ai eu avec mes supporters durant ces derniers mois. Même eux, je pense qu’ils ont eu de sacrées émotions."
Êtes-vous heureux aujourd’hui?
"Oui. Même mes proches, je pense que c’est aussi un soulagement. Quand on est sportif de haut niveau, c’est toute la famille qui est mise à contribution. Pour eux, c’est un soulagement. Je pense qu’on aura une vie un peu plus calme. Je sais que ma mère est très contente que j’arrête, parce qu’elle se faisait toujours du souci. Elle va pouvoir profiter de la vie elle aussi maintenant."
"J'ai donné de l'espoir à beaucoup de gens"
Qu’est-ce que vous avez envie qu’on dise de vous dans dix ou vingt ans?
"Que j’étais un coureur à part, un coureur qui a fait rêver une génération. J’ai donné de l’espoir à beaucoup de gens de gagner le Tour dans une période qui était difficile. J’ai redonné envie aux gens de suivre le vélo après des années difficiles. Les gens ont toujours cru en mon honnêteté sur le vélo et dans la façon dont je le faisais. J’ai toujours tout donné par rapport à ce que j’avais dans les jambes. Je ne me suis jamais relâché dans quoi que ce soit. J’ai toujours travaillé énormément, mais je pense que les gens ont compris que je n’ai jamais triché. Ce que je retiens, c’est qu’ils ont cru en moi. Ils ont cru en ma victoire au Tour de France, parce que beaucoup de gens rêvent de ça. Malheureusement, ça ne sera pas moi. Mais j’espère que le prochain Français vainqueur du Tour arrivera bientôt, parce qu’on est un pays de vélo et on mérite d’avoir un vainqueur du Tour."
Comment décrivez-vous votre relation avec Marc Madiot, le patron de la Groupama-FDJ?
"Marc, c’est un sacré personnage. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec lui durant toutes ces années. On a une relation qui est quand même particulière. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de sportifs de haut niveau qui ont une relation si forte avec leur patron. Ça a été tendu dès fois. Il y a eu des moments difficiles ensemble, où on ne s’est pas mal frittés. Il a son caractère et j’ai le mien aussi donc forcément, il y avait dès fois pas mal d’étincelles. Mais il y avait toujours beaucoup d’amour et de respect. Moi, c’est ce genre de relations que j’aime. Il y a des hauts et des bas, mais quoi qu’il arrive, on se retrouve et on est contents de se retrouver."
Où vous classez-vous dans l’histoire du cyclisme français? Certains disent que vous être inclassable…
"Le mot "inclassable", je le prends vraiment positivement. Au niveau du palmarès, c’est sûr que je suis très loin des Hinault, des Fignon, de tous ces grands coureurs-là. Même de Julian (Alaphilippe) récemment, qui a été double champion du monde. Je suis très loin de ces coureurs-là, mais je pense que j’ai eu d’autres victoires et une carrière différente d’eux. On m’a souvent comparé à un Poulidor. Mais Poulidor avait un palmarès autre que le mien. J’ai juste donné de l’espoir à beaucoup de gens. Je pense que j’avais le potentiel pour réussir. Malheureusement, c’est comme ça. Je n’ai rien à regretter. J’ai le palmarès que je mérite."
"Physiquement, j'avais le potentiel pour gagner le Tour"
Vous pensez ne pas avoir réussi?
"Ce n’est pas que je n’ai pas réussi. On m’a collé une étiquette de vainqueur du Tour et beaucoup de gens attendaient ça. Physiquement, oui, le potentiel, je l’avais. Mais pour gagner le Tour de France ou être un très grand champion, ça ne suffit pas. J’étais un sportif fragile aussi, au niveau des maladies et des blessures, j’ai souvent été embêté, mais ça fait partie de la vie d’un sportif."
Savez-vous ce que vous allez faire de votre après-carrière?
"Pas spécialement. Ce que je sais de sûr, c’est que j’aurai une vie vers chez moi, avec mes animaux. J’ai envie de m’occuper d’eux et profiter un peu de la vie. Voyager, prendre le temps de faire les choses. Après, je verrai vraiment ce que je vais faire. Mais prendre le temps pendant quelques mois de souffler et vivre comme quelqu’un de 33 ans."