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"Peut-être conjointement des mauvais choix": ancien manager de Cofidis, Yvon Sanquer, répond à Nacer Bouhanni sur les commotions cérébrales

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Retraité depuis 2023, l'ancien sprinteur Nacer Bouhanni a dénoncé sur RMC Sport la manière dont ses commotions cérébrales ont été gérées à l'époque par ses dirigeants. Yvon Sanquer, qui l'a bien connu à Cofidis, reconnaît "qu'aujourd'hui tout le monde est très prudent par rapport à ce type de situation".

Nacer Bouhanni a vécu plusieurs chutes traumatisantes lors de sa carrière dans les pelotons. Auprès de RMC Sport, l'ancien sprinteur de 35 ans, passé par la FDJ, Cofidis et Arkéa-Samsic, et retraité depuis 2023, a dénoncé la manière dont ses commotions cérébrales ont été gérées à l'époque par ses dirigeants. Avez-vous souvenir de ces chutes de Nacer Bouhanni?

Nacer était tombé en Angleterre, au Yorkshire (en 2017). Il avait morflé d'ailleurs avec des problèmes de vision, de mémoire, c'était ça qui avait été le plus long à récupérer complètement au côté d'un œil.

Nacer Bouhanni explique qu’à l’époque il a repris le vélo trop vite et qu'avec le recul, il n’aurait pas dû...

Je me rappelle des discussions qu'on avait avec Nacer à l'époque. Ça a été compliqué parce qu'il y a quand même une responsabilité en tant que manager d'équipe ou même les partenaires. Il a voulu aller au Dauphiné et il persistait encore ce petit problème de vue. Dans un peloton, ce n'est pas top non plus pour le coureur. Première étape, je crois qu'il avait fait quasiment tout en serre-fil pour pouvoir un peu évaluer comment ça se passait. Après, Nacer, c'était un combattant. Donc c'était assez difficile pour lui de se maîtriser et pour nous aussi. Au milieu du Dauphiné, je crois, sur une étape, il avait essayé de faire le sprint, et puis il avait fait le tour. C'est vrai qu'aujourd'hui, avec les protocoles et autres, je pense que ça ne se serait pas passé de la même manière.

Comment se faisait la prise en charge à l’époque?

Il y avait le médecin et Nacer avait un neurologue aussi qui le suivait sur Nancy, me semble-t-il, qui était quand même assez pertinent, mais aussi un peu dubitatif par rapport à la situation.

Nacer Bouhanni explique qu’il y a une pression finalement sur le médecin, il y a une pression sur le coureur parce qu'il est leader d'une équipe, ce qui était son cas, il y a les sponsors derrière, etc.

Je vais relativiser. Nacer c'était quelqu'un à la fois de professionnel et puis qui voulait toujours se rétablir au plus vite et faire le max. Je l'ai vu avoir des chutes sans commotions ou autre, et vouloir revenir à l'entraînement au plus vite et puis être performant, il y arrivait d'ailleurs. Donc après, c'est vrai qu'il avait un sens aigu de ses responsabilités, c'est vrai qu'il était leader à l'époque et c'était quelqu'un d'important pour l'équipe. Les choses se partageaient. Honnêtement, on n'a pas subi de pression du partenaire, nous disant, il faut que Nacer recourt absolument, qu'il fasse le Tour. Ça, pour moi, il n'en a pas été question. Après chacun a sa perception des choses, c'est plutôt sous-jacent. Mais bon, en tout cas, ça n'a jamais été formalisé. Là-dessus, moi, je tiens à être clair. Après, il y a d'un côté la volonté du coureur, et de l'autre, il y a aussi le fait qu'il est important pour l'équipe. Et puis après, c'est peut-être des fois conjointement des mauvais choix. Il n'y a personne qui a forcé le coureur au départ. Ça a été une discussion. On en a discuté assez longuement et à plusieurs reprises, même sur la reprise derrière de l'entraînement, après le Yorkshire.

Sans doute qu'aujourd'hui, le médecin dirait stop?

Ah, c'est clair. De toute façon, on s'adapte. Ça ne fait pas dix ans, mais presque. À l'époque, me semble-t-il, il n'y avait pas le protocole. En rugby, on fait un protocole commotion. Le gars, il sort. S'il est en état, après le diagnostic du médecin, il revient ou il arrête la partie. En vélo, quand il y a la chute, on le voit bien, sur le tour, les gars, le plus souvent, ils veulent repartir. Il n'y a pas suffisamment de temps pour prendre une décision totalement éclairée. La course continue et le peloton avance. C'est aussi une des problématiques du vélo pour ça. Mais je pense qu'il faut être hyper prudent, parce qu'on voit bien que ce n'est pas sans conséquences. Derrière, il y a des risques. Aujourd'hui tout le monde est très prudent par rapport à ce type de situation. Il y a aussi une veille épidémiologique par rapport à ça. On a vu que quelques années après, quand un coureur qui avait subi plusieurs commotions arrêtait sa carrière, il pouvait y avoir des troubles qui persistaient ou qui apparaissaient.

Ce que Marc Sarreau décrit est très fort. Dans une interview au Parisien, il a annoncé prendre sa retraite en raison de commotions cérébrales à répétition...

Oui, j'en ai discuté beaucoup avec lui. Il y a eu aussi Yoann Offredo, qui a été obligé de consulter pas mal de fois, et qui ressentait, par moments, des troubles non négligeables.

Les casques ne sont pas suffisants?

Les casques ont progressé, c'est vrai qu'ils sont bien adaptés, bien serrés comme il faut, ni trop, ni trop peu. Maintenant, quand on voit certaines chutes, la tête tape. Les coureurs, on le sait tous, quand on a tapé la tête par terre une ou deux fois, on sait ce qu'on peut ressentir. Ça secoue quand même. C'est clair. Et au niveau du cerveau, dans la boîte crânienne, ce n'est pas bon.

Pierre-Yves Leroux