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Jusqu'à 8000 calories par jour, le régime alimentaire complètement fou des coureurs du Tour de France

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Du petit-déjeuner au repas du soir en passant par les encas en cours d'étape, les coureurs du Tour de France doivent respecter des programmes bien précis en matière d'alimentation.

Non, les coureurs du Tour de France ne se contentent pas d'ingurgiter des feuilles de salade matin, midi et soir comme certaines silhouettes rachitiques du peloton pourraient le laisser croire. Il leur faut au contraire des menus bien précis et riches en glucides pour répondre aux exigences de trois semaines d’efforts pour le moins intenses. Et dans un sport toujours plus pointu où rien n’est laissé au hasard, l’alimentation joue un rôle clé. "C'est tout simplement le carburant du cycliste de haut niveau", confirme Cédric Vasseur, le manager de la formation Cofidis, qui s’appuie à l’année sur l’expertise de deux nutritionnistes et d’un chef cuisinier pour les plus grosses épreuves du calendrier comme la Grande Boucle.

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"C’est vrai qu’ils ont une lourde responsabilité, sourit l'ex-double vainqueur d'étapes sur le Tour. Il y a encore quelques années, on se focalisait surtout sur le vélo et ses accessoires alors qu'aujourd'hui on met vraiment le coureur dans les meilleures dispositions pour qu'il se sente bien et pour qu'il puisse donner 100% de son potentiel. On a les moyens d'analyser le niveau d'un athlète en fonction de sa nutrition. Et on voit vraiment que ses performances et son bien-être sont bien meilleurs quand son alimentation est optimale. A mon époque, il n'y avait pas de nutritionniste ni de chef cuisto. Je pense que la Sky a poussé tout le monde à aller chercher les limites. A partir du moment où vos concurrents le font, vous n'avez pas d'autre alternative que de suivre la tendance. Maintenant, la nutrition fait totalement partie de la performance."

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De la récupération post-course à la gestion de la fatigue, en passant par la qualité de l’entraînement, les techniques de nutrition sont reconnues comme des facteurs qui influent sur un grand nombre de paramètres dans le cyclisme moderne. Le fil directeur va se situer dans le suivi du rapport poids/puissance. Ce qui nécessite au sein des équipes un travail devenu plus régulier et individualisé au fil des années. "Les coureurs sont de plus en plus demandeurs de programmes de nutrition adaptés en fonction de leurs objectifs, leurs points forts et leurs faiblesses, estime Cédric Vasseur. Une équipe qui est capable d'apporter ce plus a un avantage par rapport aux autres. C'est un domaine en perpétuel changement. Il ne faut pas croire que la nutrition parfaite d'aujourd'hui sera la même dans cinq ans. C'est motivant de trouver des nouveaux protocoles qui permettent aux coureurs d'être toujours plus forts et de se sentir bien."

Des menus adaptés à chaque coureur

Mais alors que doit manger un coureur pour tenir jusqu’à Paris ? Premier point : personne ou presque ne mange la même chose sur le Tour. Les sprinteurs, même si certains ont intérêt à rester affûtés pour passer les bosses, ne sont pas confrontés aux contraintes propres aux grimpeurs, qui doivent éviter le moindre gramme inutile tout en conservant assez de muscle pour produire de la puissance. Pour correspondre aux spécificités de chaque coureur (masse corporelle, rôle de leader ou d'équipier…) et de chaque étape (plaine, montagne…), les menus concoctés en amont par les cuisiniers sont ajustés par les nutritionnistes et transmis aux athlètes pour qu’ils aient en tête ce qu'ils doivent manger à chaque repas et les grammages nécessaires. "Le plan nutritionnel change tous les jours, on essaie d'individualiser au maximum en fonction des profils des coureurs et des étapes. Chacun a des assiettes différentes. Chez nous, Warren Barguil et Matîs Louvel n’ont pas les mêmes besoins par exemple. La clé c’est de s’adapter. Au début c'était un peu nouveau pour eux, mais on a trouvé notre rythme. Sur le Tour, je fais des plans pour la journée et on en parle ensemble", témoigne la nutritionniste Lara Van Genechten, qui a rejoint Arkéa-Samsic cette année.

Commençons par le petit-déjeuner. Peu riche en fibres et en gras, il doit idéalement être pris trois ou quatre heures avant le départ pour éviter une mauvaise digestion susceptible d’entraîner des maux de ventre dans la journée. "On part souvent une base de porridge, avec des flocons d’avoine et une boisson végétale. On peut ajouter des fruits rouges, du miel et de la purée d’amande. Sans oublier l’hydratation (thé, eau, café…), du jambon blanc, des omelettes préparées par notre chef, et du bon gras avec de l’avocat. Le riz blanc et le pain sont aussi importants pour avoir une grosse base d’apports glucidiques. C’est le centre de la nutrition donc il faut fournir au corps un apport important en glucides le matin", détaille Laurie-Anne Marquet, nutritionniste chez Cofidis depuis cinq ans. Vient ensuite le moment de l’étape, ou là aussi, il est capital de se ravitailler grâce à quelques encas glissés dans les musettes.

"Il faut manger toutes les 20 minutes en course"

"L'apport en glucides pendant la course est primordial. On doit veiller à ce que les coureurs mangent et boivent assez pour ne pas avoir de problèmes. On a un rôle d'éducation pour qu'ils arrivent eux-mêmes à calculer en pleine étape ce qu'ils doivent consommer. Il faut que le coureur puisse se dire : ‘OK, là il faut que je prenne quelque chose de sucré pour avoir assez de glucides.’ Il faut absolument éviter la fringale", insiste Lara Van Genechten. "Il faut apporter de l’énergie en continu au muscle, complète Laurie-Anne Marquet. C’est ce qu’on appelle le substrat énergétique qui est principalement utilisé par les muscles lors des efforts à très haute intensité. Si on n’a plus de glucides disponibles, soit dans les réserves intramusculaires soit dans le sang, l’intensité va diminuer parce qu’on n’arrivera plus à produire de l’énergie à un débit suffisamment élevé. On doit vraiment faire un focus sur les glucides."

Lors des étapes les plus exigeantes, des coureurs peuvent brûler sur une journée jusqu’à 8.000 calories. Soit une dépense énergétique quatre fois supérieure à une personne sédentaire posée devant sa télé à regarder le Tour. En course, "le conseil c’est de manger toutes les vingt minutes et dès le début de l’étape", souligne Laurie-Anne Marquet. "Il ne faut surtout pas attendre d’avoir faim ou soif, dit-elle. Il faut commencer par prendre des aliments solides comme des gâteaux de riz, et sur la deuxième partie d’étape se nourrir de semi-solide ou semi-liquide avec des gels, des pâtes de fruits… C’est quelque chose qu’on explique à longueur d’année. Les stages de début de saison sont essentiels pour ça, ils nous permettent de mettre en place toutes les stratégies nutritionnelles de course. On entraîne l’estomac à savoir absorber ces quantités de glucides. Les coureurs ont des documents, ils savent combien de grammes de glucides il y a dans tel ou tel produit. On leur demande de faire un peu de maths sur le vélo, de calculer ce dont ils ont besoin. L’idée c’est d’automatiser ces stratégies nutritionnelles à l’entraînement pour que ça devienne naturel en course."

Pour les étapes de montagne, les coureurs doivent prendre de 100 à 120g de glucides, l'équivalent de trois portions de céréales, par heure!

Jus de raisin après l'étape, féculents le soir

Engagé sur son neuvième Tour de France, le Bas-Normand Anthony Delaplace se fixe ainsi pour objectif de prendre "six bidons minimum" et un certain nombre de gels selon le parcours du jour. "Depuis quatre-cinq ans, le vélo a vraiment progressé en matière de nutrition et sur tous les détails de la performance, confie le coureur de 33 ans d’Arkéa-Samsic. C'est une bonne chose. Moi j'ai toujours fait attention depuis le début de ma carrière, mais c'est vrai qu'aujourd'hui on est super bien accompagnés. Tout est pesé, on nous sert notre assiette en fonction des grammages dont on a besoin. Ça peut parfois être un peu dur psychologiquement quand on nous impose des choses, mais on a une super cuisinière, ça aide (sourire) ! Le problème, c’est lors des étapes où ça roule tellement vite, quand l'échappée met du temps à partir et qu’on n’a pas le temps de s’alimenter assez. On peut vite le regretter. Mais les vieilles fringales d'avant arrivent de moins en moins."

Une fois la ligne d’arrivée franchie, le périple culinaire se poursuit avec une attention encore portée sur les glucides et les protéines. "Les gars prennent le plus souvent une boisson au jus de raisin et dans le bus un shaker de protéines qui contient des protéines et des glucides. Ils peuvent consommer un peu plus tard une barquette avec une salade de riz ou de pâtes, du jambon ou du poulet, des protéines maigres, un peu de légumes pour donner du goût, même si on essaie de limiter les fibres parce que le système digestif a été mis à mal pendant l’étape. Il y a souvent une petite collation sucrée en plus comme un flan ou une tarte aux pommes", développe Laurie-Anne Marquet. La journée se conclut par le repas du soir. Un moment précieux sur le plan psychologique qui doit permettre aux coureurs de se détendre et de décompresser ensemble.

Le défi est de leur faire plaisir tout en suivant à la lettre les recommandations nutritionnelles. "On apporte toujours des glucides, dès l’entrée avec par exemple du taboulé ou des crudités, précise la nutritionniste de Cofidis. Il faut des féculents pour le plat, ça peut être des pâtes, du riz, des pommes de terre ou du quinoa avec un peu de légumes pour apporter des vitamines et des minéraux. Le dessert peut être très léger avec simplement une salade de fruits ou plus calorique avec une tarte fruits rouges-chocolat. Ça dépend encore une fois de chaque coureur et des étapes qui vont suivre." Pour les blanquettes de veau et les plateaux d'huitres chers à Jacques Anquetil, il faudra donc attendre le soir du 23 juillet et de l'arrivée sur les Champs.

Par Rodolphe Ryo (à Tarbes)