"On m'appelle l'effaceur de sexes": on a suivi l'homme qui nettoie les routes du Tour de France

D'un simple coup de pinceau, il transforme des phallus en chouettes et des insultes en papillons. Tous les matins, à l'heure où le peloton somnole encore, Patrick Dancoisne - mais il préfère "Patoche" - embarque dans sa camionnette pour arpenter les routes du Tour de France. Sa mission: dénicher tout message susceptible de faire polémique durant la retransmission télévisée, et le recouvrir d'une peinture blanche avant le passage des coureurs.
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Un travail de l’ombre et de fourmi qu'il mène avec son acolyte Adrien pour le compte de Doublet, l'entreprise nordiste également en charge de la signalétique, la pose de panneaux publicitaires et le démontage de la ligne d’arrivée à chaque étape. "J'ai 65 ans, je pourrais couler des jours heureux et prendre ma retraite, mais ça me plaît toujours autant. J'étais parti pour faire un an sur le Tour de France, là j'en suis à ma 15e année! J'adore le Tour. Les paysages sont magnifiques, on fait de belles rencontres et puis les gens sont heureux. Quand on voit tout ce public attendre des heures pour voir les coureurs, on en prend plein les yeux", sourit derrière son volant "Patoche", rencontré par RMC Sport mercredi avant la 11e étape dessinée autour de Toulouse.
Ce matin-là, celui qu'on appelle "l'effaceur du Tour" attaque sa mission dès 7h. Tout juste le temps d'avaler un café, de pronostiquer la victoire de Mathieu van der Poel, et le voilà à pied d'œuvre. Avec l'œil porté sur chaque portion de bitume. Le premier arrêt survient au bout d'une poignée de kilomètres pour masquer un message politique. Rebelote un peu plus loin dans une montée, sous les yeux de quelques curieux. Tout est précieusement consigné dans un carnet. "J'efface tout ce qui est à caractère racial, politique ou sexuel. On voit toujours beaucoup de zizis, moi j'aime bien les remplacer par des hiboux ou des smileys", glisse le Nordiste, qui se veut garant d'une certaine idée du Tour de France.
"En ce moment, je fais des lapins"
"On est là pour que ça reste une fête, une belle image. Ça ne doit pas servir à exprimer son mécontentement ou je ne sais quoi. Il y a des familles, des enfants… Un sexe en plein milieu d'une route, ce n'est pas terrible. Mais on n'efface pas tout. Tout ce qui est positif, on n'y touche pas, évidemment", poursuit-il, en désignant les dizaines - voire centaines - de mots d'encouragements écrits sur plusieurs bornes à l'attention de Quentin Pacher, le rouleur de Groupama-FDJ installé près de Toulouse. Il faut parfois une bonne dose d'originalité pour modifier un tag encombrant, comme cet appel en lettres majuscules à soutenir la grève des taxis.

"Je dessine ce qui me vient en tête. On m'appelle grossièrement "l'effaceur de b****" mais en ce moment, je fais des lapins. C'est un peu compliqué à faire mais ça passe quand même… Pas besoin d'être bon dessinateur!", se marre Patrick, qui préfère "ces personnes qui écrivent des messages d'amour ou même des demandes en mariage". Lui a endossé ce rôle d'effaceur alors qu'il travaillait le reste de l'année en tant que croque-mort. "Je passais onze mois sur douze au boulevard des allongés. Ça me faisait du bien d'être avec des bons vivants...", se plaît-il à répéter, pas pressé de laisser sa place et de quitter ces passionnés "qui le plus souvent nous remercient d'être là et demandent parfois des autographes". Seul un spectateur lui a une fois jeté "de la peinture sur les chaussures", frustré de voir son graffiti évincé par un tendre papillon.
Pas une seule référence au dopage
Avant d'attaquer la haute montagne et l'entrée dans les Pyrénées, là où "les supporters se lâchent beaucoup plus", Patrick et Adrien ont droit à une journée "étonnamment calme" sur les routes de Haute-Garonne. Pas un seul "Macron démission", contrairement aux premières étapes. Pas non plus de seringue ou de mention au dopage sur 156km. "On n'en voit quasiment plus aujourd'hui, alors qu'il y avait plein de messages "EPO" quand j'ai débuté. On écrivait "888" à la place, ni vu, ni connu ! À l'époque de Chris Froome, c'était tendu... Là on est moins sollicités qu'avant. Je me souviens d'années où on utilisait 300 litres de peinture sur trois semaines. On en sera très loin sur ce Tour", observe Patrick, qui doit sa passion pour le vélo à son cousin, l'ex-coureur Laurent Desbiens, éphémère maillot jaune du Tour de France 1998.

À Toulouse, la mission du jour touche à sa fin en début d'après-midi. Plus qu'un dessin obscène à détourner, et une banderole déplacée par le vent à refixer. "On vous a reconnu! C'est vous qui recouvrez tout ce qui n'a rien à voir avec la course", l'interpelle alors un petit groupe de copains positionné dans la côte de Pech David. "La prochaine fois, faites-nous plaisir, essayez de dessiner un cassoulet!" Le pari est lancé.