Tour de France: "Il est bluffant", du biathlon au Tour, l’étonnante trajectoire de Florian Lipowitz, candidat au podium

La scène se déroule en Bavière il y a cinq ans, au cœur de l’hiver 2020. Florian Lipowitz vient frapper à la porte de Ralph Denk, patron de l’équipe cycliste Red Bull-Bora Hansgrohe. Le jeune homme de 19 ans, en cuissard, lui fait part de son désir de devenir coureur professionnel. Ralph Denk se souvient: "C'était impressionnant car il faisait vraiment froid. A la fin de notre entretien, je lui demande si sa mère vient le chercher. Il me répond: 'Ben non, je rentre à vélo.' Ça lui faisait 200 km aller-retour, en plein hiver..."
L’anecdote ne surprendra pas ceux qui connaissent bien "Lipo". Et ils n’étaient pas si nombreux que ça il y a une dizaine de jours au départ du Tour de France. Arrivé à Lille sur la pointe des pieds mais après quelques perfs très remarquées (2e de Paris-Nice, 3e du Dauphiné), celui qui devait épauler son leader Primoz Roglic a été propulsé à la 3e place du classement général (trois rangs devant le Slovène, 6e), samedi, après l’abandon de Remco Evenepoel lors de la 14e étape. A lui la lumière même s'il n'aime pas trop ça et qu'il n'y était sans doute pas préparé.
A fond dans le biathlon dès l'âge de 8 ans
Désormais candidat au podium, Florian Lipowitz a percé sur le tard dans le cyclisme. Et pour cause, avant d’intégrer l'équipe continentale Tirol KTM, pépinière de Red Bull, puis de rejoindre les pros en 2023, le discret "Lipo" brillait au biathlon, un sport qu’il a commencé à pratiquer dès l’âge de 8 ans.
A Ulm, dans le sud de l'Allemagne, son frère aîné Philipp est lui aussi biathlète. Il deviendra même champion du monde juniors en 2021. Le jeune Florian, lui, est souvent blessé. En 2015, sa famille, très sportive, déménage à Seefeld, dans le Tirol autrichien où Florian Lipowitz intègre une section de sport-études. Mais une succession de blessures au genou l'oriente vers le cyclisme qu'il pratique aussi en famille. "A ce moment-là, je ne pouvais faire que du vélo pour m’entraîner", raconte-t-il à Direct Vélo en 2021. "Progressivement, j’en ai fait de plus en plus."

"Un chien de chasse qui veut absolument chasser"
Ado, il traverse les Pyrénées et les Alpes pour des randonnées parcourant jusqu'à 900 km par semaine. Le jeune athlète se fait aussi remarquer en remportant plusieurs marathons cyclistes. "Je me suis dit que je pouvais essayer le cyclisme en compétition", se souvient-il. Une bonne idée.
Séduit par son audace, Ralph Denk lui donne sa chance. Et réalise très vite qu’il a face à lui un athlète et un compétiteur hors-norme: "Il m’a fait penser à un chien de chasse qui veut absolument chasser. C’était un bon début."
Rolf Aldag, directeur sportif de la formation Bora-Hansgrohe est lui aussi impressionné : "Il est bluffant. On n'attendait rien de lui car il n'avait encore jamais couru à ce niveau. On ne savait pas comment ça allait se passer." Et le dirigieant de souligner son "gros moteur, incroyablement puissant. Et incassable." "Plus c'est dur, plus c'est long, mieux c'est pour lui", poursuit l'Allemand au pied du car de l'équipe. "Je ne lui ai pas trouvé de défaut encore. Il est même très agile sur le vélo ce qui est rare pour quelqu'un venu aussi tard au cyclisme."
Il a relancé la popularité du Tour en Allemagne
Propulsé en première ligne et adoubé par Tadej Pogacar himself ("Sur le vélo il est vraiment fort, avec une grosse marge de progression dans tous les domaines"), Florian Lipowitz a aussi réussi l'exploit de redonner une belle cote de popularité au Tour en Allemagne. Refroidis par les affaires de dopage frappant notamment Jan Ullrich, les Allemands qui attendent un coureur sur le podium depuis Andreas Klöden en 2006 s’emballent à nouveau pour la Grande Boucle (les chaînes ARD et ZDF avaient même arrêté de le retransmettre en direct entre 2012 et 2015).
"Il fait un bien fou au cyclisme allemand", constate son compatriote Nils Politt, coéquipier de Pogacar. L’enthousiasme du public allemand ne devrait pas faiblir cette semaine avec les étapes dans les Alpes, un terrain où Florian Lipowitz devrait encore jouer les premiers rôles. Jusqu’à semer la pagaille entre Pogacar et Vingegaard? Tous les rêves sont permis.