Tour de France: quatre étapes d'enfer et un chrono... Les sprinteurs vont-ils abandonner en masse avant Nice?

Direction les vacances? C’est peut-être ce que vont se dire certaines grosses cuisses du Tour de France ce mardi, après avoir enduré plus de quatre heures de course dans une terrible fournaise venue user un peu plus des organismes déjà bien entamés par deux semaines d’efforts intenses. Entre Gruissan et Nîmes, dans un décor de garrigue, le thermomètre a gentiment flirté avec les 35°C sur les routes de l'Aude, de l'Hérault et du Gard. Le cadre sera différent mais pas moins difficile dans les cinq prochains jours. Avec du dénivelé positif à foison et des pentes raides à souhait.
Cette 16e étape soufflée par Jasper Philipsen devant Phil Bauhaus et Alexander Kristoff représentait pour toute une caste de coureurs une ultime occasion de briller sur cette 111e édition. Alors que se profilent entre autres la cime de la Bonette (22,9km à 6,9%) vendredi, la route asphaltée la plus haute du pays, puis le col de la Couillole samedi (15,7km à 7,1%), et un dernier chrono casse-pattes en guise de feu d’artifice dimanche entre Monaco et Nice, la question se pose forcément: pourquoi ne pas bâcher dès maintenant au lieu de s’infliger ce surplus de souffrance?
Excluons tout de suite de la discussion Biniam Girmay, victime d’une chute dans les rues nîmoises mais toujours porteur du maillot vert, et son dauphin Jasper Philipsen, qui ne compte plus que 32 points de retard sur le champion érythréen. Entre eux, la bataille va se jouer jusqu’au bout, avec encore des sprints intermédiaires programmés dans les jours à venir. Mais pour les autres sprinteurs, y a-t-il concrètement un intérêt à serrer les dents cahin-caha, sentir sur son nuque le souffle de la voiture-balai et lutter contre les délais parmi les naufragés du gruppetto dès lors que la route s’élèvera?
La bataille des points UCI
Pour Arnaud Démare, seulement 18e ce mardi, la réponse est évidente: quitter le Tour n’est pas du tout envisageable, alors même qu’il aurait pu porter la flamme olympique à l’occasion de son passage dans sa ville natale de Beauvais ce jeudi 18 juillet. Une invitation qui aurait pu lui offrir l’excuse parfaite pour faire ses valises. Mais non, déclarer forfait n'est pas dans ses plans.
"Je devais être porteur de la flamme, mais j’ai envoyé un message pour dire que je faisais le Tour et que je devais décliner. J’espère voir des images de cette fête, ce sera un moment sympa pour Beauvais, l’Oise et la Picardie. (…) Je vais donner le maximum, ça reste le Tour, on a envie de le terminer", dit-il.
"Ce sera difficile, mais je vois ça comme une grosse charge de travail. L’an dernier, je n’ai pas pu faire de grand Tour et j’ai senti en début d’année que ça m’avait manqué. Finir un grand Tour, c’est un bonus pour la suite. On apprend tous les jours", assure le sprinteur d’Arkéa-B&B Hotels.
Même discours chez Bryan Coquard. Septième à Nîmes, où il s’est senti "en galère", le Nazairien de Cofidis n’a pas prévu de rentrer tout de suite chez lui malgré un Tour frustrant. L’idée sera de conforter sa troisième place au maillot vert. Et d’engranger de précieux points pour le classement mondial des équipes établi par l’UCI, alors que les relégations et promotions en World Tour, la première division du cyclisme avec 18 formations, sont jugées tous les trois ans.
Virtuellement 20e sur le cycle actuel démarré en 2023 et qui se terminera en 2025, Cofidis compte en partie sur Coquard pour relever la tête. "On se bat pour se maintenir en World Tour. La troisième place du maillot vert, c’est 120 points UCI. Le but va être de prendre des échappées pour faire les sprints intermédiaires parce que Pogacar n’est pas loin derrière (136 points pour le Slovène contre 179 pour Coquard, NDLR). Il risque de me passer devant s’il gagne toutes les étapes…", appuie Coquard, un brin inquiet. Une analyse partagée par son directeur sportif Bingen Fernández: "Dès qu’on met un dossard, on se bat pour donner le meilleur possible. Quand on va au lit le soir, il faut se dire qu’on s’est donné à 100%. C’est notre mentalité. On va aller jusqu’au bout. Il faut finir ce Tour."
Important de finir pour "le mental"
Chez d’autres sprinteurs, la motivation de s’accrocher viendra peut-être de l’arrivée particulière de cette Grande Boucle. En raison de l’organisation des Jeux olympiques de Paris, l’épilogue n’aura pas lieu aux Champs-Elysées mais sur la Côte d’Azur, où de nombreux pros disposent de leur base arrière. Boucler ce Tour à la maison, devant famille et amis, a tout de la perspective séduisante, même si l’Irlandais Sam Bennett, 4e à Nîmes, a d’autres objectifs en tête.
"Abandonner, ça reste quelque chose de négatif. Ce n’est pas dans notre état d’esprit. Sam participera après le Tour à des courses comme le Tour de Pologne, donc ce serait fort qu’il arrive physiquement à supporter les deux grosses étapes de montagne pour se préparer. Et ça fait longtemps qu’il n’a pas fini un Tour, ce serait bien qu’il y arrive pour son mental", développe Vincent Lavenu, son manager chez Decathlon-AG2R La Mondiale, qui ne serait toutefois pas surpris d’assister à une vague d’abandons et de non-partants chez les sprinteurs dès mercredi.
"On peut les comprendre. Ils sont tout le temps en souffrance. Quand on a vu que certains se faisaient lâcher au bout de deux kilomètres lors de la dernière étape de montagne… On peut comprendre que certains lâchent dans la tête." Et s'imaginent déjà au soleil. Et cette fois sur une plage, pas sur leur vélo en train de souffrir le martyre.